Sénégal : Solidarité avec la révolte populaire !

samedi 20 mars 2021.
 

Depuis le 3 mars, le Sénégal est entré dans un processus de crise socio-politique suite à l’arrestation du député Ousmane Sonko, accusé de viol et de menaces de mort. Cette affaire judiciaire survient après que deux autres « présidentiables » Karim Wade et Khalifa Sall ont été écartés de la possibilité d’être candidats par des condamnations judiciaires.

On connaîtra peut-être un jour les tenants et les aboutissants de cette affaire : le capitaine de gendarmerie ayant instruit la plainte vient de démissionner de la gendarmerie pour dénoncer les pressions exercées sur lui par le procureur au risque d’être poursuivi pour désertion.

Cet évènement n’est que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Il a été le détonateur d’une immense révolte populaire contre le régime de Macky Sall qui a été totalement surpris et débordé par les événements. Depuis lundi 8 mars au soir avec l’intervention télévisée de Macky Sall attendue depuis plusieurs jours, l’heure est à l’apaisement mais sur le fond, la crise est loin d’être réglée.

A la date du 9 mars, à la suite de cinq journées de manifestations, on a atteint un bilan de 11 morts, tous des jeunes voire avec parmi eux des mineurs.

Ces morts sont dus pour la quasi-totalité à des tirs à balles réelles par les forces de l’ordre. Par ailleurs selon la Croix Rouge sénégalaise, on a décompté 590 blessés. Le président a annoncé au soir du 8 mars que les familles des victimes seraient indemnisées mais la question des responsabilités de ces morts reste entière.

Plusieurs militants ont été arrêtés sous des chefs d’inculpation vagues (trouble à l’ordre public ou appel à l’insurrection) sans qu’il y ait de mobiles autres que politiques.

Le plus en vue de ces militants, Guy Marius Sagna du Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine (FRAPP), a été placé nu dans sa cellule. Il avait commencé une grève de la faim qu’il a arrêté, il y a quelques jours et qu’il va reprendre prochainement. A ce jour, sa libération n’est pas en vue et deux autres membres de son organisation le FRAPP ont été arrêtés hier.

Par ailleurs, au mois de février, des enseignants avaient été arrêtés préventivement avant les mobilisations de ces derniers jours parce qu’ils étaient membres du parti de Sonko, le PASTEF, qui est légalement reconnu. Au moins l’un d’eux a été arrêté dans sa classe devant ses élèves ce qui a déclenché une journée de grève parmi les enseignants la semaine passée à l’appel de plusieurs syndicats.

Le 7 mars, c’est le représentant du groupe Amnesty International de Kaffrine qui a été interpelé et battu.

On a vu aussi sur de nombreuses vidéos, des nervis armés de gourdins qui s’attaquaient aux manifestants, ce que le ministre de l’Intérieur a justifié en disant qu’il y avait aussi des policiers en civil dans les manifestants. Au total, à la suite des manifestations ce sont 500 personnes qui ont été arrêtées dont 150 sont aujourd’hui en prison.

Au niveau de l’information, durant 72 heures, le signal de deux télévisions privées SEN TV et Walf a été coupé de manière arbitraire sur une décision du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) sans que cela passe par une procédure légale.

Au sujet de la violences ayant eu lieu en marge des manifestations, certains biens associés à des intérêts français ont été visés (magasins Auchan, stations TOTAL, Agence Orange) mais également de nombreux bâtiments publics symboles de l’Etat sénégalais (commissariats, gendarmeries, tribunaux, mairies) ou privés (domiciles de certains responsables politiques ou sièges d’organes de presse). Mais il est important de souligner quand on entend parfois parler de « sentiment anti-français » que les émeutiers n’ont jamais jusqu’à présent visé des personnes.

L’ambassade de France a voulu maintenir ouverts les établissements français d’enseignement au risque d’exposer les élèves ou les personnels. Les autorités françaises ne s’y sont résignés qu’après qu’ait été officialisée la décision des autorités sénégalaises de fermer toutes les écoles pour toute la semaine jusqu’au 15 mars. Dans l’avenir, au vu de la situation, il n’est pas certain qu’elles ne vont pas chercher à ouvrir à tout prix ces établissements au risque que de nouveaux incidents se produisent (le vendredi des manifestants se sont engagés dans l’impasse qui mène au lycée français et il y a eu quelques dégâts matériels).

Dans un entretien accordé à la presse il y a environ un an, l’ambassadeur de France ne s’était pas privé de chanter les louanges de Macky Sall. Dans ce conflit politique, ce qui est en jeu aussi c’est la relation entre l’Etat du Sénégal et l’Etat français, autrement dit la rupture avec un certain néocolonialisme.

Par ailleurs, les propos de récents d’Eric Zemmour sur le fait que Macron voulait envoyer la marine française et qu’il a « fait pression sur Macky Sall pour qu’il libère » Ousmane Sonko ont été largement commentés au Sénégal. Ils nous rappellent que les vieux réflexes de la Françafrique sont toujours considérés comme la norme dans les relations entre l’Etat français et le Sénégal.

Face à cette situation, l’Union syndicale Solidaires :

Condamne la répression exercée par le régime contre sa jeunesse. L’action de celle-ci va au-delà de la défense d’un opposant qui par le biais d’une instrumentalisation de la justice se retrouverait empêché de prendre part à la prochaine élection présidentielle.

Elle s’est révoltée pour défendre son droit à un avenir décent face à un régime autoritaire et corrompu ;

Demande la libération des centaines de manifestants et de militants qui sont emprisonnés pour des motifs politiques ;

Dénonce la dérive autoritaire du régime de Macky Sall qui, depuis des années, interdit et réprime pratiquement toutes les manifestations, et qui s’en prend maintenant ouvertement à la liberté d’informer ;

Dénonce le maintien des relations néocoloniales entre l’Etat français et ses anciennes colonies africaines (maintien du franc CFA, présence militaire, sommets France-Afrique etc.).

Celles-ci favorisent la collusion entre les intérêts français et les élites dirigeantes qui s’enrichissent au dépens de leurs propres populations ce qui constitue un des ressorts de la révolte de la jeunesse sénégalaise qui a visé des symboles que sont les entreprises telles que Auchan, Total, Orange, Eiffage…

Paris, le 14 mars 2021


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