15 mars 1871, protestations de Blanqui et de Flourens sur les murs de Montmartre

lundi 15 mars 2021.
 

Michèle Audin est l’autrice de cinq ouvrages sur le sujet, parus de 2017 à 2021. Deux fictions aux éditions Gallimard, Comme une rivière bleue (2017) et Josée Meunier, 19 rue des Juifs (2021), ainsi que trois livres historiques chez Libertalia. Le dernier La Semaine sanglante. Mai 1871. Légendes et comptes propose un nouveau décompte des morts de la Semaine sanglante, allant jusqu’à « certainement 15 000 morts ». Michèle Audin est également cooptée à l’Oulipo (L’Ouvroir de littérature potentielle) depuis 2009.

Nous l’avons vu (dans notre article du 10 mars), un conseil de guerre a condamné à mort par contumace les citoyens Blanqui et Flourens pour cause de 31 octobre. Quelques jours après, la presse rapporte que tous deux ont fait afficher des protestations sur les murs de Montmartre, « près de leurs chers canons », dit le Journal des Débats. Et un autre, Paris-Journal, va recopier ces protestations. Je les ai copiées dans Le Messager de Paris (daté du 17 mars). Les citations sont en italique. close

Voici le texte de Gustave Flourens :

Citoyens,

En présence du jugement qui me frappe, il est de mon devoir de protester de la façon la plus énergique contre la violation de tous les droits inscrits dans toutes les constitutions.

L’accusé doit être jugé par ses pairs. Tel est le texte de la loi. Or je dénie complètement aux assassins patentés de la réaction le titre de juges. Nommés par un pouvoir qui n’avait encore été reconnu par personne, le 31 octobre 1870, ils ne peuvent puiser leur puissance qu’en dehors de la loi. D’ailleurs, j’ai appris par une longue expérience des choses humaines, que la liberté se fortifiait par le sang des martyrs.

Si le mien peut servir à laver la France de ses souillures et à cimenter l’union de la patrie et de la liberté, je l’offre volontiers aux assassins du pays et massacreurs de janvier.

Salut et fraternité.

G. FLOURENS.

Et voici la proclamation du citoyen Blanqui — envoyée par la poste à un de ses amis ? Nous l’avons dit dans notre article du 19 février, Auguste Blanqui se trouve à Loulié, près de Figeac (voir aussi notre article à venir du 17 mars) :

Citoyens,

Le 4 septembre, un groupe d’individus qui, sous l’empire, s’était créé une popularité facile, s’était emparé du pouvoir. À la faveur de l’indignation générale, ils s’étaient substitués au gouvernement pourri qui venait de tomber à Sedan. Ces hommes étaient les bourreaux de la République de 1848. Cependant, à la faveur du premier moment de surprise, ils se sacrèrent arbitres de la destinée de la France. Les vrais républicains, ceux qui, sous tous les gouvernements avaient souffert pour leurs croyances, virent avec douleur cette usurpation des droits de la nation. Pourtant le temps pressait, l’ennemi approchait : pour ne pas diviser la nation, chacun se mit de toutes ses forces à l’œuvre de salut. Espérant que l’expérience avait appris quelque chose à ceux qui avaient été pour ainsi dire les créateurs de l’empire, les républicains les plus purs acceptèrent sans murmurer de servir sous eux, au nom de la République.

Qu’arriva-t-il ? Après avoir distribué à leurs amis toutes les places où ils ne conservaient pas les bonapartistes, ces hommes se croisèrent les bras et crurent avoir sauvé la France. En même temps l’ennemi enserrait Paris d’une façon de plus en plus inexorable, et c’était par de fausses dépêches, par de fallacieuses promesses que le gouvernement répondait à toutes les demandes d’éclaircissement.

L’ennemi continuait à élever ses batteries et ses travaux de toute sorte, et à Paris, 300,000 citoyens restaient sans armes et sans ouvrage, et bientôt sans pain sur le pavé de la capitale. Le péril était imminent, il fallait le conjurer. Or, au gouvernement issu d’une surprise, il fallait substituer la Commune, issue du suffrage universel. De là le mouvement du 31 octobre. Plus honnêtes que ceux qui ont eu l’audace de se faire appeler le gouvernement des honnêtes gens, les républicains n’avaient pas ce jour-là l’intention d’usurper le pouvoir. C’est du peuple, réuni librement devant les urnes électorales, qu’ils en appelaient du gouvernement incapable, lâche et traître. Au gouvernement issu de la surprise et de l’émotion populaire, ils voulaient substituer le gouvernement issu du suffrage universel.

Citoyens,

C’est là notre crime. Et ceux qui n’ont pas craint de livrer Paris à l’ennemi avec sa garnison intacte, ses forts debout, ses murailles sans brèche, ont trouvé des hommes pour nous condamner à la peine capitale.

On ne meurt pas toujours de pareilles sentences. Souvent on sort de ces épreuves plus grand et plus pur. Si l’on meurt, l’histoire impartiale vous met tôt ou tard au-dessus des bourreaux qui, en atteignant l’homme, n’ont cherché qu’à tuer le principe.

Citoyens,

Les hommes ne sont rien, les principes sont seuls immortels. Confiant dans la grandeur et dans la justice de notre cause, nous en appelons du jugement qui nous frappe au jugement du monde entier et de la postérité. C’est lui qui, si nous succombons, fera, comme toujours, un piédestal glorieux aux martyrs de l’échafaud infamant élevé par le despotisme ou la réaction.

Vive la République !

BLANQUI.

Ce texte, sous le titre de « Proclamation Blanqui », sera re-publié dans le Journal officiel (qui sera alors celui de la Commune) le 21 mars.

*

Eh bien les voici, « leurs chers canons ». Je ne sais pas dans quel périodique est parue l’image de couverture, mais elle est aujourd’hui au musée Carnavalet.


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