Refus de voter Macron face à Le Pen : derrière le déni, l’inquiétude grandit à LREM

samedi 13 mars 2021.
 

À un an de l’élection présidentielle, plusieurs figures de La République en marche s’interrogent sur l’éloignement du centre-gauche et sur le refus de faire une nouvelle fois barrage à l’extrême droite. « Il y a eu des blessures pour une partie de notre électorat », dit l’une d’entre elles.

Le sujet a été identifié depuis fort longtemps, y compris dans l’entourage le plus proche du président de la République. On parlait alors pudiquement d’« évolution de son électorat », on s’agaçait de cette image de « président des riches », on comprenait toutefois qu’elle puisse lui coller à la peau, mais on assurait que « les choses allaient évoluer » et qu’il suffisait de « remuscler la jambe gauche ». Pourtant, lorsque Libé a titré sur ce nombre grandissant d’électeurs de gauche affirmant qu’ils ne voteraient plus pour Emmanuel Macron, même en cas de second tour face à Marine Le Pen, le ton a changé.

En plein débat auto-alimenté sur le « séparatisme », l’« islamo-gauchisme » ou la prétendue « mollesse » de Marine Le Pen, certaines voix de La République en marche (LREM) ont dénoncé la « dérive » d’une « partie de la gauche » (l’ancien ministre de la transition écologique François de Rugy), faisant part de leur « honte » face à cette « soi-disant “vraie gauche” qui a tout perdu, ses valeurs, sa boussole, sa dignité » (la députée Anne-Christine Lang). « J’ai déjà fait barrage. Et je le ferais encore. #FrontRepublicain Ceux qui épargnent les extrêmes, toujours et encore, portent une responsabilité », a également tweeté la patron de la majorité Christophe Castaner.

« 19 ans. Il n’aura fallu que 19 ans à une partie de la gauche pour perdre la boussole, renier ses valeurs et espérer le pire, dans l’attente illusoire de jours meilleurs pour elle. Trump, Poutine : les amis de Mme Le Pen sont connus de tous, leurs méfaits aussi. Des somnambules », a aussi écrit l’eurodéputée Nathalie Loiseau, en postant la une que Libé avait publiée en 2002 pour dire « NON » à Jean-Marie Le Pen. Un message qui l’a contrainte à passer le reste du week-end à répondre à tous ceux qui lui rappelaient sa présence sur une liste d’extrême droite lorsqu’elle était étudiante à Sciences-Po. La voir « donner des leçons à la gauche » a consterné plus d’un élu LREM.

Si ces réactions ont gêné plus d’un macroniste, c’est surtout parce qu’elles tranchent avec les inquiétudes que formulent bon nombre d’entre eux depuis des mois, pour ne pas dire des années. Inquiétudes formulées le plus souvent sous couvert de l’anonymat, mais cette fois-ci exprimées publiquement par certains, comme le député LREM Jean-Baptiste Moreau, qui a tweeté : « @libe a raison de nous alerter sur l’état de l’opinion et de l’électorat. Il n’y aura plus de front républicain, c’est un fait. Le RN au pouvoir serait une catastrophe. Nous ne l’empêcherons pas par l’incantation mais par notre action, notre humilité et notre force de conviction. »

Mediapart a longuement questionné plusieurs figures de la majorité, au Parlement comme dans le parti. Elles s’interrogent sur l’éloignement d’une partie de leur électorat de 2017 et sur le refus de faire une nouvelle fois barrage à l’extrême droite, 20 ans après l’arrivée de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle.

Jacques Maire, député des Hauts-de-Seine, cofondateur du courant « En commun »

« Ce qu’évoque Libération n’est pas secondaire. Chacun d’entre nous connaît, un an avant les élections, des gens de gauche qui disent qu’ils ne veulent plus voter Macron. Cela ne veut pas dire que ce sera le comportement au moment du vote, mais si on ne le prend pas en considération, nous faisons une erreur profonde du point de vue de la gestion de la majorité. Quand on désigne son adversaire, on désigne son successeur. Et donc quand nous ne parlons que du deuxième tour, nous renforçons encore la capacité de leadership de Marine Le Pen.

De la même manière, diaboliser ceux qui ne sont pas d’accord avec nous, en en faisant les idiots utiles du RN, ne fait pas non plus une stratégie. On désigne à la vindicte les oppositions alors qu’il faudra bien les rassembler au deuxième tour. Cela ne sert donc à rien d’hystériser nos relations avec tout le monde. Il n’est pas non plus question de trianguler sur les positions du Rassemblement national. Donc toute communication qui tend à dire que le centre de gravité de la campagne doit se situer sur le terrain du RN pour le combattre affaiblit totalement la possibilité d’appeler ensuite à faire barrage, au nom d’un front républicain.

Quelles leçons tirer de tout ceci ? Affirmer l’importance de notre agenda. À cet égard, je ne crois pas que la loi « Séparatisme » était la loi de trop, même si le paquet antidiscriminations qui l’accompagne n’est pas encore suffisant. Mais évidemment le débat Le Pen-Darmanin était une erreur car ce que l’on en retient, ce sont quelques phrases problématiques sur la compétition entre le RN et le ministre de l’intérieur.

Même si une grosse partie de l’agenda a été consacrée à l’emploi, à l’attractivité de la France et à l’environnement, la promesse de 2017 a été mal tenue. Oui, il y a eu des blessures pour une partie de notre électorat. C’est pour cela que nous avons écrit au premier ministre sur l’état d’urgence, que nous avons alerté sur la précarité des jeunes. Des choses ont été menées en matière de probité des élus mais nous avons toujours un exécutif très présent et une très grande faiblesse du mouvement et du Parlement, et ça, c’est notre responsabilité.

Nous ne serons jamais élus en 2022 sur un bilan. Nous devons être capables de construire un projet et pour cela, il faut que le mouvement existe, élargir notre base. La « maison commune » est une tentative dans ce sens. Nous vivons une crise de régime depuis plusieurs années, au sujet de laquelle un diagnostic profond avait été élaboré il y a quatre ans, et on doit encore faire plus aujourd’hui. Un parti politique n’est pas juste un instrument de co-construction avec les ministres. Un parti, ça assume d’avoir des propositions et de les porter dans le débat public. »

Sonia Krimi, députée de la Manche

« Mes collègues s’indignent du matin au soir, ils alignent les éléments de langage, on a l’impression qu’ils ont 40 ans de vie politique derrière eux, cela ne m’intéresse pas. En revanche, on devrait se poser des questions. Avec tout ce qu’on a fait, qui dépasse largement tout ce qu’ont fait les socialistes ou Sarkozy sur le plan social, pourquoi notre message ne passe pas ? Pourquoi ne retient-on que l’arrogance de notre camp, les petites phrases d’Emmanuel Macron ?

Je suis inquiète, mais je reste un soutien du président de la République et de son projet de dépassement. Je comprends cependant, en tant que femme de gauche, que l’électeur puisse être heurté par nos choix depuis le début du mandat, la loi Silt, l’article 24 de la loi sur la « Sécurité globale », etc. Je ne reviens même pas sur la loi « Séparatisme »…

Mais il y a aussi chez cet électeur de gauche une part de déni. Sortons de nos postures ! À qui profite le plan de relance ? Est-ce que le porte-monnaie, crise mise à part, est moins bien rempli ? Qui a fait les petits déjeuners gratuits à l’école ? La GPA, le cannabis, la fin de vie sont également autant de sujets sur lesquels nous devons nous pencher rapidement au cours de cette fin de mandat.

Concernant le barrage au RN, je ne suis certainement pas un ayatollah de la pensée unique. Mais ne pas appeler à voter Macron, comme Jean-Luc Mélenchon l’a fait en 2017, me semble un aveu d’échec pour toute la gauche. Le débat devant nous porte sur la manière dont les gauches contestataires et progressistes vont faire revenir leurs électeurs. La responsabilité se trouve dans les partis : il doit y avoir un débouché politique pour cet électorat. »

Claire Pitollat, députée des Bouches-du-Rhône

« Il faut s’inquiéter de la banalisation de l’extrême droite, rappeler ce que ce parti représente. C’est pour cette raison que nous réagissons vivement, en répétant que le front républicain doit avoir lieu et qu’il ne peut y avoir de lassitude vis-à-vis de ça. L’extrême gauche qui appelle à ne pas faire front, nous l’avons vécu à Marseille. Dans le secteur de l’ancienne socialiste Samia Ghali, il n’y a pas eu d’appel au front républicain de la part du Printemps marseillais aux municipales.

Dépasser les clivages ne veut pas dire, cependant, renoncer à des sensibilités. Dans cette « maison commune », que nous appelons de nos vœux, tous les progressistes sont les bienvenus, pour créer une cohésion dont le pays a besoin.

Mais je ne vois pas comment on peut s’affranchir de discuter avec des partis qui ont eu des milliers d’électeurs aux élections. Et je ne suis pas sûre qu’un débat entre Gérald Darmanin et Marine Le Pen installe le RN comme un adversaire comme les autres. Il faut montrer l’énormité du programme que ce parti propose et dont on ne veut pas !

Les déceptions, je les entends. Dans ce cas, je réexplique le quinquennat : l’ambition que nous avions de libérer, puis de protéger. Oui, il y a des lassitudes, une impatience, mais nous savions que le chantier était grand. Si les réformes sociales faisaient plus de bruit dans les médias, cela nous ferait du bien. Cela permettrait de recentrer le débat en dehors de la polarisation menée par les extrêmes. »

Roland Lescure, député des Françaises et des Français d’Amérique du Nord, porte-parole de LREM

« Une des raisons pour lesquelles je me suis impliqué en politique, c’est le risque populiste. Depuis trois ans et demi, mon premier souci quand je me lève le matin, c’est de me demander si ce qu’on fait aujourd’hui va renforcer ou affaiblir l’extrême droite. Donc, quand je vois des gens qui expriment un tel ras-le-bol et une telle lassitude, ça m’interpelle forcément. Ça vient aussi conforter mes craintes. Car je ne pense pas qu’on puisse se contenter d’un barrage républicain pour convaincre des électeurs d’aller voter. On doit évidemment se poser des questions, mais on a quand même un bilan à défendre.

Je pense notamment à l’Europe, qui a beaucoup changé, en grande partie grâce à Emmanuel Macron. Ensuite, il y a la dimension plus sociale de notre politique. Et là, je pense qu’il y a au minimum une incompréhension, voire un schisme idéologique. Notre volonté de corriger les inégalités avant qu’elles ne s’expriment, plutôt que de poursuivre un arrosage d’aides sociales, n’a pas toujours été bien perçue. Mais j’espère qu’on nous donnera crédit de la politique tournée vers la protection des plus faibles, engagée depuis 2020. On peut nous reprocher la manière dont elle a été faite, mais les montants sont sans commune mesure dans le monde.

On a aussi un enjeu d’incarnation, parce que même si je vous répète 100 fois qu’on a fait beaucoup pour les plus démunis, je ne vais pas vous convaincre en le répétant une 101e fois. Nos ministres historiquement de droite gardent l’avantage sur ceux de gauche. C’est un sujet qu’il faut qu’on corrige. Mais le raz-de-marée des législatives de 2017 a tout de même confirmé que le vote pour Emmanuel Macron n’était pas un simple vote de blocage. C’était une énorme victoire. D’ailleurs, on était tellement puissants démocratiquement qu’on s’est peut-être insuffisamment inquiétés des réserves qui s’exprimaient ici ou là.

Je ne pense pas que le scénario du premier tour soit joué. Marine Le Pen a tout de même pas mal de défauts personnels. À jouer au chat et à la souris, avec une colonne vertébrale idéologique beaucoup plus fuyante que celle de son père, je ne sais pas si elle va réussir à convaincre. En tout cas, je vais tout faire pour éviter qu’elle soit au second tour. Mais ce n’est pas à nous de convaincre qu’il y a une alternative au match Macron-Le Pen. Nous, notre job, c’est de faire en sorte qu’elle fasse le moins possible. Le barrage républicain, il faut déjà qu’il ait lieu au premier tour, avant de se poser la question du second. »

Prisca Thevenot, porte-parole de LREM

« La première réaction d’un bon nombre d’entre nous à la vue de ces unes de Libération relevait de l’affect. Moi-même j’ai eu du mal à prendre ça avec philosophie, d’autant que je me considère de gauche. Mais ce que cette affaire révèle, au fond, c’est qu’une partie de plus en plus grande de l’opinion dit de manière simple et ferme son désintérêt du monde politique, au-delà de la punchline Macron-Le Pen. Et donc il faut changer l’angle d’analyse, il faut se concentrer sur les Français. Pourquoi cette colère ?

Le RN est une force politique indéniable. Ce serait un tort démocratique de le sortir du débat. Oui, il faut faire rempart, mais il faut surtout que nous allions sur les sujets de fond, point par point. Marine Le Pen elle-même essaie de se doter d’un nouveau vernis économique, ce sur quoi elle avait péché en 2017. C’est à nous d’être bons sur le bilan et de faire ce boulot sans ego. Il peut y avoir eu des déceptions, mais sur le volet social, le quinquennat a rempli ses promesses.

Les électeurs de 2017 peuvent-ils nous faire confiance à nouveau ? Il est certain que nous avons beaucoup mis la focale sur les éléments de droite traditionnelle ces derniers mois. Mais le sujet de la lutte contre les séparatismes, par exemple, ce n’est jamais le bon moment pour s’y attaquer. Il y aura toujours des partis qui vont se placer sur ces thématiques comme des sangsues, dans une surenchère raciste à droite ou criant au fascisme à gauche. Sauf que pendant que des partis mènent ce jeu, rien n’est fait contre ceux qui s’en prennent à la République.

La mise en œuvre du plan de relance dans cette crise sanitaire reste impressionnante sur le plan social. Si nous n’étions qu’une droite libérale, on aurait certainement agi différemment. À nous aussi de communiquer là-dessus et d’y aller franchement au sein du mouvement. »

Saïd Ahamada, député des Bouches-du-Rhône

« J’ai mené avec d’autres un combat de 25 ans pour que l’avenue Ibrahim-Ali [rappeur marseillais assassiné par des colleurs d’affiches du Front national en raison de sa couleur de peau – ndlr] soit inaugurée. Je suis entré en politique après ce drame. Donc, je n’accepte pas les procès d’intention. Je pense depuis longtemps que le RN devrait être interdit, je n’ai pas une once de respect pour ce parti, dont les idées tuent. Malheureusement, ce combat de l’interdiction, nous l’avons perdu. Et aujourd’hui, la question de faire ou pas barrage ne doit pas se poser. S’abstenir, c’est favoriser le RN. Il faut des lignes rouges dans le débat politique et c’en est une.

Ce qui nous piège, c’est l’incapacité des autres forces politiques à se structurer. Emmanuel Macron n’est pas responsable de ce qui se passe chez LR, au PS, à gauche ! Où sont les oppositions ? Il faut que les militants forcent les politiques dans lesquels ils se reconnaissent à constituer une alternative à ce duel qui nous pend au nez. Moi je ne rêve que d’un vrai débat politique avec des forces démocratiques et républicaines.

Quant au fait de débattre avec Marine Le Pen, citez-moi un homme politique qui refuserait cette opportunité ? Ce parti, il aurait fallu arriver à faire en sorte qu’il n’existe plus. Aujourd’hui, c’est trop tard. Quant aux dernières lois votées par notre groupe, j’habite dans un territoire où les islamistes comme les trafiquants utilisent la population comme chair à canon. Ce mal qui est en nous, on doit l’affronter, peu importe ce qu’en dit ou ce qu’en pense le RN.

Je ne dis pas que nous sommes parfaits. La loi « Séparatisme » n’est pas l’alpha et l’oméga de notre politique et nous sommes nombreux à continuer de pousser sur l’égalité des chances. Mais nous, au moins, on fait le job. »

Jean-Louis Touraine, député du Rhône

« Ma génération a subi toutes les outrances et les inquiétudes générées par les propos de Jean-Marie Le Pen. Donc je suis viscéralement préoccupé par la nécessité de combattre les tenants de l’extrême droite, du populisme.

Ce débat du barrage est permanent, il est légitime, il se posera néanmoins différemment dans un an, car on ne sait pas aujourd’hui qui seront les protagonistes de 2022. Je sais aussi, ayant été longtemps au PS, ce que ressent cet électeur frustré qui voit que son camp active la machine à perdre. Pour une partie de ces électeurs, LREM n’a pas apporté ce dont ils rêvaient.

Par contre, il me semble inenvisageable de parler de « peste et de choléra » au sujet d’un duel Macron-Le Pen. Emmanuel Macron n’a aucune indulgence pour les idées d’extrême droite. Je ne crois pas non plus qu’il faille voir dans la politique menée depuis quatre ans une manière de cultiver une extrême droite qui servirait à la fin des fins de repoussoir. Malheureusement, l’extrême droite n’a pas besoin de l’aide de quiconque pour fleurir en France et au niveau mondial.

En France, les hommes politiques au pouvoir ont essayé les uns après les autres de s’attaquer à ce malaise, c’était aussi l’objectif d’Emmanuel Macron. L’équation économique et sociale n’est pas simple, entre les contraintes budgétaires, une société corsetée et un appareil bureaucratique très conservateur. Malgré de bonnes réformes, et il y a en a eu beaucoup, la situation est pré-insurrectionnelle et dans certains lieux du territoire, on sent un fort niveau de désespoir.

En 2002, nous étions tous dans la rue, la réaction était unanime. Il fallait faire barrage, c’est tout. Et puis l’extrême droite sous Sarkozy s’est banalisée et cette course effrénée s’est malheureusement poursuivie. Elle a prospéré et on a laissé dire. Mais j’ai confiance. Je crois que les électeurs de gauche, dans des moments graves, savent différencier le danger suprême de ce qu’ils perçoivent comme un demi-danger. Et se résigner. »


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