Produits toxiques dans les pesticides : les autorités européennes mises en cause

mardi 2 mars 2021.
 

S’emparant d’une étude scientifique relevant des résidus de pétrole et des métaux lourds dans quatorze pesticides autorisés sur le marché, un large groupe d’eurodéputés et de parlementaires français somme l’agence européenne EFSA d’évaluer correctement ces produits.

25 février 2021 Par Amélie Poinssot

C’est une découverte potentiellement déflagratoire pour le marché du phytosanitaire et les autorités qui le régulent. Fin novembre, les biologistes Gilles-Éric Séralini et Jungers Gerald publiaient une étude dans laquelle ils étudiaient les molécules composant quatorze pesticides ou herbicides à usage du grand public, certifiés sans glyphosate et autorisés sans restriction sur les marchés français et européen.

Ces produits chimiques que l’on trouve aisément dans les jardineries (Monsanto, Compo, marque française Jade, marques polonaises Target et Bross…) se sont avérés contenir d’autres substances tout aussi toxiques, voire davantage, que le fameux glyphosate désormais interdit à la vente aux particuliers.

Or ces substances ne sont pas déclarées sur les étiquettes. Il s’agit de résidus de pétrole cancérogènes comme le benzo(A)pyrène, mais aussi de métaux lourds comme le plomb, le nickel, le silicium, le zinc, le titane ou encore l’arsenic. Et tous ont été détectés dans des proportions supérieures aux seuils de toxicité définis par les agences de santé internationales. Des métaux lourds ont ainsi été trouvés jusqu’au niveau de 39 mg/L sur le désherbant « Biocontrôle Starnet Jardin d’Eden » du fabricant français Jade.

Les résultats de cette recherche, qui relativise grandement la focalisation du débat sur le glyphosate, ont été publiés dans la revue scientifique Food and Chemical Toxicology. « Ces niveaux variables de substances chimiques toxiques non déclarées violent les règles de l’Union européenne sur les pesticides et peuvent avoir des conséquences sanitaires et environnementales, en particulier en cas d’exposition sur le long terme », écrivent les chercheurs.

Pour un certain nombre d’élus mobilisés sur la question phytosanitaire, cette découverte n’est pas passée inaperçue. Jeudi 25 février, près de 120 députés européens et parlementaires français se sont saisis de la publication scientifique pour interpeller l’EFSA, l’Autorité européenne de sécurité des aliments responsable des autorisations de mise sur le marché de tous ces produits chimiques.

Selon ces élus, l’EFSA a failli dans sa mission en ne tenant compte ni des substances autres que le glyphosate, ni de l’« effet cocktail » produit par l’association de différentes molécules.

Or un arrêt rendu en 2019 par la Cour de justice européenne concluait que l’EFSA ne devait pas limiter son évaluation aux substances actives prises isolément comme le glyphosate, mais devait également les analyser avec les composés avec lesquels elles étaient mélangées.

« Les procédures conduisant à l’autorisation d’un produit phytopharmaceutique doivent impérativement comprendre une appréciation non seulement des effets propres des substances actives contenues dans ce produit, mais aussi des effets cumulés de ces substances et de leurs effets cumulés avec d’autres composants dudit produit », dit l’arrêt de la Cour européenne rendu en octobre 2019.

Dans un courrier envoyé à l’organisme européen, les élus notent que cet arrêt « révèle à l’évidence que l’EFSA n’applique pas convenablement la méthode prescrite par le législateur européen ». Ils demandent par conséquent à l’EFSA de « mettre en place une prise en compte des effets cumulés de la substance active […] avec tous les autres composants de pesticides qui sont présents dans les formulations commerciales, et ce dès la procédure d’autorisation ou de renouvellement d’une substance active déclarée ».

Ils demandent en outre à l’organisme européen d’« assurer la publication des données brutes, articles et références sur lesquels se base l’EFSA dans ses évaluations ».

« En ne regardant que la substance active, l’EFSA minimise les risques et ne respecte pas la réglementation, souligne Michèle Rivasi, élue Europe Écologie-Les Verts (EELV) au Parlement européen. Or cette autorité joue un rôle clef dans l’évaluation des pesticides. Nous attendons à présent qu’elle justifie la non-prise en compte de l’effet cocktail. »

Pour Manuel Bompard, de La France insoumise (LFI), « il y a un enjeu démocratique et de transparence. Trop souvent, les entreprises phytopharmaceutiques font la loi. Nous nous battons contre cela, mais aussi pour une certaine conception de l’agriculture : l’agroécologie ».

Au total, aux côtés de 29 députés et 27 sénateurs français, 63 députés européens ont signé cet appel. On y trouve principalement des élus Verts, GUE (Gauche unitaire européenne) – où siège La France insoumise –, et S&D (sociaux-démocrates) – où siègent PS, Place publique et Nouvelle Donne. Seulement trois députés Renew, le groupe des macronistes de LREM, ont signé l’appel (parmi eux les Français Pascal Canfin et Pascal Durand) ; aucun à droite ni à l’extrême droite de l’échiquier.

La délégation française est majoritairement représentée, mais l’on compte également des élus allemands, espagnols, italiens, portugais, belges, autrichiens… À l’exception d’un élu roumain et d’un autre bulgare, aucun représentant de l’Europe centrale et orientale ne figure toutefois parmi les signataires.

Selon Gilles-Éric Séralini, co-auteur de la publication scientifique, le fait que ces pesticides et insecticides soient vendus sans aucune précision sur leur toxicité constitue « une fraude », et l’EFSA, pourtant censée suivre les avancées scientifiques sur la question, serait parfaitement au courant que « les industriels ne déclarent pas toute la composition de leurs produits ». « C’est de la compromission scientifique », dit-il.

Depuis la publication de cette recherche, neuf ONG et associations françaises – parmi lesquelles Générations Futures, Campagne Glyphosate et Nature et Progrès – sont déjà allées au pénal. Début décembre, elles ont déposé plainte contre X pour « fraude à l’étiquetage, mise en danger de la vie d’autrui et atteinte à l’environnement » et contre l’État français pour « carences fautives ».

Interpellée par les parlementaires, l’EFSA n’a pas tardé à envoyer ses éléments de réponses à la presse. Dans un communiqué diffusé à la mi-journée, elle indique que c’est la législation européenne sur les pesticides qui exige d’elle qu’elle évalue « les substances actives prises isolément et non les formules de pesticides ». Pour l’évaluation sur ces formules, l’Autorité européenne de sécurité des aliments renvoie la balle aux États-membres, à qui revient le pouvoir d’accorder ou de refuser une autorisation au niveau national.

Or en France, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), responsable de ces évaluations, ne vérifie pas les effets à long terme de toxicité ou cancérogénicité des produits commercialisés. L’Anses se contente d’une analyse de toxicité aiguë, ce qui manque une partie du problème.

Sollicitée par Mediapart au sujet de l’arrêt de la Cour de justice européenne, l’EFSA n’a pas répondu à nos questions (voir sous l’onglet Prolonger).

La question de la réglementation européenne sur les pesticides est pourtant cruciale dans la mesure où elle détermine en grande partie les politiques nationales vis-à-vis des produits phytosanitaires. En France, l’Anses s’appuie sur les avis de l’EFSA pour ses autorisations de mise sur le marché. Et les débats hexagonaux ont jusqu’à présent éclipsé la question des substances cachées et des effets cocktails pour se concentrer sur le glyphosate – dont l’interdiction dans tous ses usages a été repoussée sous la présidence Macron.

L’EFSA est tenue de répondre dans les deux mois au courrier des parlementaires. Pour ces derniers, ce n’est toutefois qu’une première étape. Suivront, si nécessaire, une saisine du Parlement européen (lequel peut envisager une carence de l’organisme) et une saisine juridique (par la Cour européenne de justice).


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message