En Birmanie, la contestation contre le coup d’État prend de l’ampleur

vendredi 12 février 2021.
 

Les manifestations qui dénoncent le coup d’État du 1er février se renforcent. La jeune génération birmane, imprégnée par la liberté dans laquelle elle a grandi durant les dix années de transition démocratique, reprend le flambeau des aînés, qui avaient eux aussi dû lutter contre l’armée.

Lundi 8 février, les rues de Rangoon, la capitale économique birmane, sont de nouveau noires de monde après un week-end marqué par des manifestations dont l’ampleur va croissant. Situation inédite, des rassemblements ont également lieu à Naypyidaw, la capitale administrative, siège de la puissante armée birmane. Les manifestants chantent leur opposition au coup d’État militaire “agitant le drapeau rouge marqué d’un paon de combat, symbole ancien de la lutte pour la démocratie”, raconte The Southeast Asia Globe.

Le mouvement de désobéissance civile se répand dans les administrations et le secteur privé. Le site Frontier, qui suit les événements en direct, a mis en ligne des photos des hôpitaux fermés dans le centre de Rangoon. Une réaction massive et pour l’instant pacifique au coup d’État militaire du 1er février dernier.

Le général en chef de l’armée, Min Aung Hlaing, a décidé de mettre un terme à la transition démocratique en cours dans le pays depuis 2011. Il s’est octroyé tous les pouvoirs, tandis que la chef de gouvernement de fait, Aung San Suu Kyi – dont le parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), a triomphé aux élections de novembre dernier –, était placée en résidence surveillée. Accusée de détention illégale de talkie-walkie, elle risque trois ans de prison.

Plusieurs générations face à un vieil ennemi

Les jeunes en première ligne, explique The Southeast Asia Globe, “font face, pour la première fois, au régime militaire, car l’élection d’Aung San Suu Kyi en 2015 avait mis un terme au joug de la junte militaire qui depuis 1962 gouvernait le pays sous des formes diverses. Parmi les manifestants, on retrouve des activistes expérimentés, en particulier ceux qui, en 1988, ont tenu tête aux militaires lors des manifestations violemment réprimées”.

“Certes, le monde dans lequel évoluent les manifestants d’aujourd’hui est très différent de celui de leurs aînés. L’activisme via les réseaux sociaux joue un rôle primordial dans la mobilisation. Mais l’ennemi auquel ils font face est ancien, si bien que l’expérience et les tactiques des mouvements du passé sont précieuses.”

Pas étonnant, donc, remarque le journal, que de nombreux activistes des manifestations de 1988 aient été arrêtés de façon préventive dès le 1er février. “Pour ceux qui ont vécu le soulèvement de 1988, il était évident que des arrestations auraient lieu, explique au journal Wai Hnin Pwint Thon, la fille de Mya Aye, un ancien de 1988 qui a été arrêté la semaine dernière. Dès les premières rumeurs du coup d’État, ils ont su que leur arrestation était de l’ordre du possible.”

Pour Bo Kyi, participant de la révolution de 1988 et emprisonné en 1989, aujourd’hui à la tête de l’Association d’assistance aux prisonniers politiques (AAPP), la tactique de l’armée procédant à des “arrestations massives, en 1988 comme aujourd’hui, permet de semer la panique parmi les activistes”.

“C’est un message de peur, un message qui souligne que l’armée peut faire ce qu’elle veut, quand elle veut. Si ce coup d’État réussit, les droits fondamentaux seront réduits et les dissidents persécutés.”

Selon l’AAPP, on compte 165 arrestations, et 152 personnes encore détenues depuis le 1er février.

Une génération qui a goûté à la démocratie

“Le coup d’État d’aujourd’hui et les efforts pour s’y opposer ne peuvent être cependant réduits à une répétition de l’histoire”, poursuit The Southeast Asia Globe.

“Ceux qui descendent dans les rues aujourd’hui viennent d’une génération habituée au numérique, imprégnée des possibilités et de l’horizon démocratique qu’elles ont pu entrevoir au cours des cinq dernières années, sous le gouvernement de la LND. Ces activistes sont jeunes et connectés. Ils agissent sans structures, au sein du mouvement de désobéissance civile qui s’est répandu dans le pays.”

D’ailleurs, selon Frontier, la majorité des banques étaient fermées. “Ce qui semble moins relever d’une politique délibérée, explique le journal, que de la décision du personnel de ne pas venir et de participer aux manifestations.”

Selon un conseiller d’une des principales banques du pays, cité par le média, aucune instruction n’avait été donnée de fermer les agences. Ainsi, les employés auxquels le journal a pu parler expliquent avoir décidé de leur propre initiative de ne pas se rendre au travail et de participer aux manifestations. On compte essentiellement de jeunes employés parmi le mouvement de désobéissance civile, constate encore Frontier.

Reste désormais à savoir comment les militaires réagiront.

Courrier International


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