Le général Dumas au cœur de la bataille identitaire

jeudi 11 février 2021.
 

« Enfin, te voilà Alexandre ! »

Sur la place du Panthéon, le samedi 30 novem­bre 2002, Alain Decaux, Président de la société des amis d’Alexandre Dumas, com­mence ainsi son dis­cours. Presque 20 ans après et 150 ans après le décès de notre grand écrivain, j’ai envie de crier la même phrase à son père, né esclave à Saint Domingue et devenu géné­ral sous la Révolution de 1789.

Car si le par­cours du Général Dumas fut héroï­que, exem­plaire et par­semé d’embu­ches, aussi bien mili­tai­res que poli­ti­ques – il osa s’oppo­ser à Napoléon, aux Bourbons de Naples,..-, l’épopée de sa statue est une véri­ta­ble allé­go­rie de notre Histoire. Erigagée par la 3ème République à côté de celles de son fils et de son petit-fils (l’auteur de La Dame au camé­lia), elle ren­dait hom­mage à un héros de la République par­ti­cu­liè­re­ment encensé par Anatole France. Elle fut détruite par les Allemands sous l’occu­pa­tion en 1942.

Il aura fallu des décen­nies pour qu’une nou­velle statue voit le jour. La ques­tion n’exis­tait appa­rem­ment pas avant les années 2000. Était-elle oubliée à l’image du grand auteur du Comte de Monte Cristo qui n’avait droit qu’à une note de bas de page dans le Lagarde et Michard ? La ques­tion resur­git enfin en 2008 où la mairie de Paris lance un appel à projet.

Las, il ne s’agit pas alors de retrou­ver la gloire du géné­ral. Sous la pres­sion du CRAN (Conseil repré­sen­ta­tif des asso­cia­tions noires de France), le maire de Paris de l’époque, Bertrand Delanoë, donne son accord à un monu­ment du sculp­teur Driss-Sans-Arcidet repré­sen­tant seu­le­ment des chai­nes d’esclave. L’offi­cier révo­lu­tion­naire libé­ra­teur dis­pa­raît sous la sym­bo­li­que imper­son­nelle de la ser­vi­tude à laquelle il avait pour­tant fini par échapper. Comme pour sou­li­gner encore davan­tage l’allé­go­rie, notons que les édiles pari­siens avaient refusé le projet du célè­bre sculp­teur séné­ga­lais Ousmane Sow, mon­trant le géné­ral domp­tant un cheval en grand uni­forme d’une Révolution émancipatrice.

J’avais à l’époque pro­testé contre ce choix. Mais telle était alors l’ambiance. Le com­mu­nau­ta­risme effa­çait la citoyen­neté ; le rôle des per­son­na­li­tés noires dans l’his­toire répu­bli­caine était, pour l’essen­tiel, ignoré. Avait-on le droit de rap­pe­ler que l’écrivain Alexandre Dumas avait com­battu pour la République en 1830 ? Pouvait-on pro­tes­ter contre un dis­cours péremp­toire pré­ten­dant qu’il n’y avait jamais eu de minis­tres de cou­leur en France alors qu’il s’en est fallu de peu que le guya­nais Gaston Monnerville devienne Président de la République ? Avait-on le droit de rap­pe­ler l’abo­li­tion de l’escla­vage par un vote enthou­siaste de la Convention répu­bli­caine le 4 février 1794 ? Et se rap­pelle-t-on que, ce jour-là, 3 dépu­tés de la Convention, Jean-Baptiste Belley, Louis-Pierre Duffay, Jean-Baptiste Mills, un noir, un blanc, un métis, furent portés en triom­phe par leurs col­lè­gues ?

Je suis mal­heu­reux de cons­ta­ter à quel point l’igno­rance de l’Histoire de France sert à beau­coup pour raconter n’importe quoi et à remet­tre en cause la citoyen­neté. Certes des formes de dis­cri­mi­na­tion, voire de racisme, exis­tent et ont existé sur le ter­ri­toire fran­çais. Mais sait-on que les colons des Antilles étaient, en 1794, dans un droit contraire à celui de la métro­pole où l’escla­vage était aboli depuis le 14ème siècle, que l’esclave qui tou­chait le sol métro­po­li­tain était auto­ma­ti­que­ment affran­chi malgré les efforts des colons pour faire abolir cette règle de droit ? Sait-on, d’ailleurs, que la pre­mière abo­li­tion pro­cla­mée en 1793 à Saint-Domingue et en 1794 à la Guadeloupe, n’a jamais été appli­quée à la Martinique qui, aux mains des Anglais, a main­tenu l’escla­vage sans dis­conti­nuer ?

Depuis l’érection des chai­nes d’esclave en 2008 à Paris, la ten­dance s’est-elle inver­sée ? On peut le penser puis­que le Conseil de Paris vient de voter le prin­cipe d’ins­tal­ler une statue iden­ti­que à celle d’avant 1942. On peut même subo­do­rer un chan­ge­ment radi­cal de la pensée puis­que cer­tains des pro­mo­teurs de la statue de 2008 sont aujourd’hui parmi les plus ardents défen­seurs de la nou­velle et que, deman­dant cette statue du géné­ral Dumas, ils oublient qu’ils en ont demandé une bien contraire il y a pres­que 15 ans.

Il est encore trop tôt pour savoir si l’épopée de la sta­tuaire duma­sienne illus­tre les fluc­tua­tions d’une idéo­lo­gie domi­nante inculte et sen­si­ble à l’air du temps ou si elle inau­gure le retour de la pensée répu­bli­caine appuyée sur une vraie connais­sance fine de l’his­toire émancipatrice de notre pays. Je veux croire en la deuxième option. Je pense sou­vent à Jean-Baptiste Belley, à Aimé Césaire, à Felix Eboué qui ont fait, citoyens de la répu­bli­que comme nous le sommes tous, l’Histoire de la France. Je me plais à croire que nous allons la conti­nuer.

Voir https://www.pou­ru­ne­cons­ti­tuant...

André Bellon

Ancien Président de la Commission des affai­res étrangères de l’Assemblée natio­nale

Membre de la société des amis d’Alexandre Dumas


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