Marxistes... nous ne sommes pas une religion

mardi 9 février 2021.
 

Le marxisme est tellement marginalisé qu’il n’est qu’une goutte dans l’océan de la classe ouvrière au sens large. C’est pour cela que nous avons trop souvent tendance à ne penser qu’à nous-mêmes pour savoir que dire sur les événements. Il ne peut pas y avoir de plus grosse erreur. Nous devrions plutôt commencer par penser à un collègue ou à un voisin – un travailleur réfléchi qui n’est même pas nécessairement socialiste mais qui voit la situation désespérée dans laquelle le capitalisme nous a conduits. Que dirions-nous à cette personne ?

La réponse de la gauche sectaire au plan d’aide/Covid de Biden est révélatrice, tout comme la réponse au simple fait de l’élection de Biden. Cela montre que ce n’est pas ce que de nombreux marxistes essaient de faire.

« Aux Etats-Unis, les Allemands ne savent pas comment utiliser leur théorie comme un levier pour mettre les masses américaines en mouvement ; la plupart d’entre eux ne comprennent pas la théorie eux-mêmes et la traitent de manière doctrinaire et dogmatique comme quelque chose qui doit être appris par cœur et qui satisfera alors toutes les exigences sans plus de peine. Pour eux, c’est un credo et non un guide pour l’action. » (Friedrich Engels)

L’un de ces écrivains a évoqué les élections et déclaré que nous devions être « presque indifférents aux particularités des capitalistes au pouvoir », en d’autres termes, le fait que Trump n’ait pas été réélu est sans importance. Comment ce camarade pense-t-il qu’un travailleur réagirait à cela ? En ce qui concerne les plans actuels de Biden, y compris son plan d’aide de 1,9 milliard de dollars, dont la quasi-totalité est destinée aux travailleurs et aux pauvres, un autre a déclaré : « rien de nouveau à voir là-dedans ». Selon ce camarade, quelle serait la réaction d’un travailleur qui envisage d’obtenir un chèque de 1 400 $ plus un complément de 100 $ par semaine en indemnité de chômage ? Ou à la mère célibataire paupérisée qui pourrait recevoir une aide supplémentaire pour la nourriture ? Ou le travailleur de la ville dont l’emploi pourrait être sauvé si la proposition de Biden de centaines de milliards d’aide aux villes passe ?

Il semble que beaucoup trop pensent à prouver leurs références révolutionnaires à d’autres marxistes plutôt que de penser au reste de la classe ouvrière.

Ce problème remonte à la question du vote pour Biden. Après cinquante ans de refus de voter pour quelque Démocrate que ce soit comme alternative aux Républicains, j’ai voté pour Biden. Je rends ce fait public, sachant que je serais attaqué pour cela. Un camarade, une personne que je respecte profondément, a dénoncé cela parce que j’ai appelé à voter pour « le parti impérialiste », comme si c’était une sorte de question morale.

Mais pensez à ceci : le Parti travailliste britannique a une longue, très longue histoire de soutien à l’impérialisme britannique. Pourtant, Lénine a conseillé à ses partisans en Grande-Bretagne de rejoindre ce parti. Et gardez à l’esprit que l’adhésion signifie nécessairement voter pour lui.

Prenons un autre exemple : la Révolution russe. A l’époque où les conseils ouvriers – les soviets – étaient contrôlés par les mencheviks, les marxistes dans cette révolution (les Bolcheviks) exigeaient « tout le pouvoir aux soviets ». Comme l’expliquait Trotsky, cela revenait à appeler les Mencheviks à prendre le pouvoir à travers les soviets et à leur promettre un soutien pour ce faire. Pourtant, les mencheviks soutenaient la Première Guerre mondiale impérialiste qui faisait rage à cette époque. Eux aussi étaient un parti impérialiste.

C’est pour cela que j’ai décidé de voter pour Biden, en opposition à ma position précédente :

Pendant toute ma vie d’adulte, élire un Démocrate aurait souvent légèrement réduit les inconvénients d’avoir un Républicain au pouvoir. Cette différence, cependant, est complètement dépassée par le rôle de la direction syndicale qui fait tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher les moindres premiers petits pas de la classe ouvrière américaine vers son indépendance politique. Je fais référence à la construction d’un parti ouvrier de masse, bien sûr. Faire tout ce qui est en notre pouvoir pour lutter contre ce rôle de la direction syndicale était, de loin, la chose la plus importante.

Ce que l’on fait dans le bureau de vote était et reste secondaire, mais cela doit compléter la tâche principale – ce que l’on fait au quotidien. Ainsi, dans cette situation, le refus d’accepter le choix que la direction syndicale imposait à la classe ouvrière américaine était de loin le plus important. Cela signifiait, en effet, insister sur le rôle indépendant de la classe ouvrière au sein de la démocratie capitaliste.

En d’autres termes, voter pour les Démocrates signifiait accepter le rôle de la direction syndicale dans son ensemble.

Et puis, nous arrivons aux élections de 2020. Voici une situation où non seulement un président hors de contrôle a fait tout ce qu’il pouvait pour attiser les braises du sectarisme et de la division ; non seulement il a fait tout ce qu’il pouvait pour encourager le déni le plus hystérique des faits ; il a également incité à renverser la démocratie capitaliste elle-même. Il l’a fait en essayant de s’emparer complètement de toutes les composantes du gouvernement fédéral. Cela a été combattu par la majorité des bureaucrates fédéraux, aussi bien ceux de haut niveau, que ceux des niveaux intermédiaires et inférieurs. (Voir cet article .) En octobre de l’année dernière, Trump a tenté de faire un autre pas dans cette direction en essayant de placer des dizaines de milliers de fonctionnaires fédéraux sous son contrôle immédiat. Il a essayé d’en faire des salariés susceptibles d’être licenciés par lui. Cela faisait partie intégrante de son plan visant à annuler les élections de novembre si nécessaire et à renverser la démocratie capitaliste elle-même .

Soyons clairs : il ne faut pas se faire d’illusions sur la démocratie capitaliste. Sous ce régime, Jim Crow, y compris les lynchages, a été la règle pendant plus de 100 ans. À ce jour, la police est autorisée à brutaliser et à abattre les Noirs – et d’autres aussi – en toute impunité. Les droits des femmes sont régulièrement bafoués, tout comme les droits des personnes LGBTQ et d’autres. Les enfants d’immigrés sont enfermés dans des cages. Le droit démocratique des travailleurs d’organiser un syndicat est entravé de mille manières différentes, tout comme le droit de grève effectif. Mais ce n’est pas tout, la liberté d’expression est restreinte parce que la classe capitaliste ne contrôle pas seulement les médias ; elle contrôle également les salles de réunion et autres lieux où les travailleurs peuvent se rencontrer et discuter. La même chose vaut pour nos élections « démocratiques » elles-mêmes.

Il y a pourtant une chose : le pouvoir capitaliste concentré en une personne – également connu sous le nom de bonapartisme – est encore pire. Bien pire. Il est beaucoup plus difficile pour les travailleurs de s’organiser sous cette forme de régime capitaliste. Cependant, c’est vers cela que Trump se dirigeait réellement, et même en y ajoutant une dose de fascisme.

Il est vrai que toutes sortes de démagogues radicaux, ainsi que les libéraux, ont crié « fasciste » à propos de chaque président républicain depuis Reagan. Mais si « fasciste » ne correspond pas exactement à la forme de gouvernement exercé pendant le règne de Trump, la qualification de Bonapartiste convient. Trop de marxistes ont refusé de reconnaître où allait Trump. Ils ont continué à insister sur le fait qu’il n’était vraiment pas si différent des présidents précédents. Ils n’auraient pas pu se tromper davantage.

En d’autres termes, la situation a changé. Le problème était la continuité de l’existence de la démocratie capitaliste contre le bonapartisme. Dans cette situation, sans oublier la tâche à plus long terme de l’indépendance de la classe ouvrière (et du socialisme lui – même), la tâche principale était de sortir Trump. C’était clairement le point de vue des travailleurs noirs, par exemple ceux de Géorgie, qui se sont mobilisés deux fois : la première fois en secouant la nation en faisant basculer cet État vers Biden, puis encore une deuxième fois, en provoquant un choc encore plus grand en élisant un noir et un juif démocrates en tant que sénateurs américains. Et si les marxistes ne sont pas nécessairement d’accord avec ce que disent les travailleurs, même les plus déterminés et les plus sérieux, nous ne pouvons pas les ignorer.

Voir cela comme la tâche immédiate ne signifiait pas ignorer celle à plus long terme de la construction de l’indépendance de la classe ouvrière. Au contraire : cela coïncidait avec elle. Oaklandsocialist a expliqué que la meilleure façon de sortir Trump était de mobiliser la classe ouvrière contre ses attaques et les attaques du capitalisme lui-même – pour construire le mouvement dans les rues. Comme nous l’avons expliqué, cela ne renforcerait pas seulement l’indépendance de la classe ouvrière, cela transformerait également l’état d’esprit général afin que Trump et les forces qu’il représente deviennent pratiquement hors sujet.

Ironiquement, beaucoup de ces mêmes marxistes qui crient contre les Démocrates à chaque pas, ne parviennent pas à s’opposer sérieusement aux forces mêmes qui amènent l’intrusion des Démocrates dans la classe ouvrière : les dirigeants syndicaux et les ONG.

Malheureusement, la même méthode du refus de reconnaître la transformation de la situation dans les quatre dernières années est maintenant appliquée à celle d’aujourd’hui. Le fait même que ce que propose Biden représente plus du double du plan de sauvetage proposé par Obama, et le fait que l’argent ira aux travailleurs plutôt qu’aux grandes entreprises et aux banques – trop de marxistes nient l’importance de cela. Il en va de même pour l’inattendue annulation par Biden du pipeline Keystone XL. Nous devrons voir, mais cela semble montrer une préoccupation croissante de la classe capitaliste. Préoccupation sur deux choses :

Premièrement, je pense qu’ils ont été vraiment secoués par l’invasion du Capitole le 6 janvier. Cela a porté au premier plan une menace sérieuse à la domination de la classe capitaliste à travers la démocratie capitaliste. Ce n’est pas qu’ils sont attachés à des normes « démocratiques » par principe, mais ils ont gouverné au moyen de cette méthode pendant plus de 150 ans et ils ne l’abandonneront pas aussi facilement. À l’avenir, cela changera, mais je pense que c’est la position qui fait leur consensus pour le moment. Ils comprennent également qu’une grande partie de cette menace déstabilisante provient du désastre économique auquel sont confrontés des dizaines de millions de travailleurs et de petites entreprises. Ainsi, les plus sérieux d’entre eux, représentés par Biden, savent qu’une aide du gouvernement fédéral est nécessaire.

Quant au pipeline Keystone XL : à un moment donné, les principales composantes de la classe capitaliste américaine devront être sérieusement préoccupées par la façon dont le changement climatique mondial menace leur propre société. Ils ne peuvent pas et ne feront jamais ce qui est nécessaire pour inverser cette tendance, mais ils sont capables d’effectuer des pas significatifs. Nous devrons voir si c’est ce que signifie ce pas, mais nous ne devons pas exclure cette possibilité.

Plutôt que cela, un camarade qualifie simplement cet acte comme « un exemple de plus de la complaisance des démocrates envers les mouvements sociaux pour gagner en légitimité ». Quel mouvement social ? Les manifestations contre le pipeline ont pris fin il y a longtemps. Et reconnaissons-le : ces manifestations ont échoué.

Les secteurs les plus réfléchis et courageux de la classe ouvrière américaine sont conscients des changements de la classe capitaliste. Ils savent que nous devons nous adapter à ces changements, et non prétendre qu’ils n’existent pas. Avoir une analyse générale correcte, sans comprendre également comment adapter cette analyse à de tels changements, c’est se moquer de l’analyse. Cela fait que quelque chose de formellement « correct » est au mieux une erreur. Cela relève moins du « marxisme » que d’une religion doctrinaire.

Les marxistes ne gagneront pas le moindre début de pertinence dans le schéma général des choses sans gagner un petit secteur de la classe ouvrière à nos idées et à nos méthodes. Pour ce faire, il est nécessaire d’expliquer nos idées générales. Mais cela ne sera entendu que si nous pouvons relier ces idées à chaque évolution, à chaque nouveau développement objectif, à chaque changement de tactique et même de stratégie des différentes ailes de la classe capitaliste. Nous ne pouvons pas nous permettre le luxe d’être si terrifiés à l’idée de paraître opportunistes aux yeux d’autres marxistes au point de refuser de reconnaître ces changements et de nous y adapter.

Traduction par le site aplutsoc

https://aplutsoc.org/2021/02/03/les...


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message