La COVID-19 n’est pas une pandémie mais une syndémie

mardi 9 février 2021.
 

par Richard Horton, directeur de la plus célèbre revue médicale au monde.

Cet article de Richard Horton (paru dans la célèbre revue britannique The Lancet – dont il est depuis 1995 le rédacteur-en-chef – et traduit de l’anglais par Emmanuelle Stambach) a voulu attirer l’attention sur le terme de « syndémie », concept qui décrit bien plus globalement le problème sanitaire auquel nous faisons face en soulignant tout particulièrement sa dimension sociale, et par conséquent attire l’attention sur les limites d’une approche limitée au traitement des cas de SARS-CoV-2 et à la vaccination. Parler de syndémie n’est pas un raffinement sémantique mais un changement profond de perspective.

Alors que le nombre de morts dues à la COVID-19 dans le monde approche le million, nous devons revoir notre gestion trop restreinte de cette épidémie du nouveau coronavirus. Nous avons considéré que la cause de cette crise était une maladie infectieuse. Toutes nos actions se sont concentrées sur l’interruption de la transmission virale, cherchant à contrôler par ce biais la diffusion du pathogène. La « science » sur laquelle se fondent les décisions du gouvernement est essentiellement issue des connaissances des épidémiologistes et des infectiologues qui, et c’est compréhensible, traitent l’urgence sanitaire actuelle avec les mêmes prérequis, séculaires, que ceux qui prévalaient pour la peste. Ce que nous avons pourtant appris jusqu’ici montre que l’histoire de la COVID-19 n’est pas si simple. Deux types de pathologie interagissent actuellement au sein de populations spécifiques :

- une infection présentant d’importants syndromes respiratoires aigus de coronavirus 2 (SARS-CoV-2)

- et un panel de maladies non transmissibles (MNT).

Ces maladies se concentrent sur les groupes sociaux les plus profondément touchés par les inégalités de nos sociétés. L’association de ces deux types de pathologies aux disparités socio-économiques exacerbe leurs effets néfastes respectifs. La COVID-19 n’est pas une pandémie : c’est une syndémie. La nature syndémique de la menace que nous affrontons signifie que nous devons adopter une approche plus nuancée afin de protéger la santé de nos communautés.

Le premier à conceptualiser cette notion de syndémie fut Merrill Singer, un médecin anthropologue américain, dans les années 1990. Avec Emily Mendenhall et d’autres collègues, Singer écrit dans The Lancet en 2017 qu’une approche syndémique révèle des interactions biologiques et sociales, cruciales tant pour les pronostics que les traitements et nos politiques de santé. Si nous voulons limiter les dommages causés par le SARS-CoV-2, nous devrons dorénavant prêter une attention bien plus grande aux MNT et aux inégalités socio-économiques. Une syndémie ne se définit pas simplement comme une comorbidité : elle se caractérise par des interactions biologiques et sociales entre conditions socio-économiques et état de santé, interactions qui s’entrelacent et se renforcent mutuellement pour augmenter le risque pour certains groupes sociaux de voir leur état de santé et/ou leurs conditions socio-économiques se dégrader. Dans le cas de la COVID-19, Il est nécessaire de se confronter aux MNT pour pouvoir l’endiguer. Comme le prouve notre récent Compte à Rebours des MNT 2030 (NCD Countdown 2030) publié récemment, bien que la mortalité prématurée pour cause de MNT décroisse, le changement reste trop lent.

Le nombre total de personnes devant vivre avec des maladies chroniques augmente. Faire face à la COVID-19 implique de s’attaquer à l’hypertension, à l’obésité, au diabète, aux maladies cardiovasculaires et respiratoires chroniques, ainsi qu’aux pathologies cancéreuses. Par ailleurs, les MNT ne constituent pas une source de préoccupation uniquement pour les pays riches : nous ne soulignons pas assez leur importance dans l’état de santé des pays les plus pauvres. Dans leur Lancet Commission, publiée la semaine passée, Gene Bukhman et Ana Mocumbi ont décrit une entité qu’ils ont baptisé MNTB-Pauvreté, ajoutant à la catégorie des MNT des blessures telles que : morsures de serpent, épilepsie, maladie rénale et drépanocytose. Les MNTB comptent pour un tiers de la charge de morbidité du milliard de personnes les plus pauvres dans le monde aujourd’hui. La Commission a avancé que la mise à disposition d’interventions abordables pourrait prévenir près de 5 millions de morts parmi les populations les plus pauvres de la planète dans la prochaine décennie. Et cela sans prendre en considération les risques de décès liés à la COVID-19.

Considérer la COVID-19 comme une syndémie a comme conséquence majeure d’en souligner les origines sociales :

- Vulnérabilité des citoyens les plus âgés

- Noirs, Asiatiques, minorités ethniques

- les travailleurs essentiels, en général peu payés et dotés de couvertures santé moindres.

Ces données viennent mettre en évidence une vérité trop peu reconnue : peu importe l’efficacité du traitement ou du vaccin, une solution purement biomédicale à la COVID-19 échouera. À moins que les gouvernements ne conçoivent des politiques et des programmes enclins à s’attaquer à ses profondes disparités, nos sociétés ne pourront jamais être à l’abri de la COVID-19. Comme Singer et ses collègues l’ont écrit, « une approche syndémique permet une orientation très différente de la médecine clinique et de la santé publique, car elle montre comment une approche intégrée de la compréhension et du traitement des maladies peut être bien plus efficace qu’un simple contrôle des maladies épidémiques ou que le traitement individuel des patients. »

J’ajouterais un avantage supplémentaire : nos sociétés ont besoin d’espoir. La crise économique qui nous attend ne sera pas résolue avec un médicament ou un vaccin. Nous avons besoin d’une renaissance nationale, rien de moins. Proposer une approche syndémique à la COVID-19 nous invite à travailler à une vision plus large, une vision qui engloberait éducation, emploi, logement, nourriture et environnement. Ne considérer la COVID-19 que comme une pandémie exclut cette perspective plus large mais nécessaire.

Complément

Enfin, même du point de vue strictement sanitaire, à l’heure d’une profonde mondialisation des relations économiques et sociales, comment imaginer en finir avec ce virus dans les pays dits développés sans se préoccuper sérieusement de son élimination dans les pays dits du Sud.


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