COVID : La ligne d’horizon recule en permanence

lundi 1er février 2021.
 

Divisé sur les mesures à prendre face à la recrudescence épidémique, l’exécutif sombre dans une communication erratique, qui peine à masquer ses contradictions.

Par Ellen Salvi

L’exécutif a cherché la bonne formule toute la semaine. Il a d’abord été question de « confinement très serré », puis de « confinement hybride ». Mais finalement, le problème résidait peut-être dans le mot même de « confinement ». Trop de mauvais souvenirs. Alors on a parlé de « prolongement des vacances scolaires », formulation jugée moins anxiogène. Les confidences anonymes ont envahi les colonnes des journaux, les ballons d’essai ont été envoyés tous azimuts, les divisions gouvernementales sur les mesures à prendre et les humeurs du président de la République contre « la pression des scientifiques » ont été étalées au grand jour.

Rythmée par les atermoiements rhétoriques des uns et les coups de com’ des autres, la semaine s’est finalement conclue vendredi soir par une prise de parole du premier ministre, organisée dans la précipitation à l’issue d’un Conseil de défense, lui-même convoqué à la dernière minute. À 20 h 30 passées, heure de la soupe sous couvre-feu, Jean Castex est apparu sur les écrans des chaînes d’info, à la surprise générale de son propre gouvernement, pour dérouler une série de nouvelles restrictions, et expliquer que « notre devoir est de tout mettre en œuvre pour éviter un prochain confinement ».

Le locataire de Matignon a ainsi annoncé, entre le fromage et le dessert, l’interdiction des déplacements en dehors de l’Union européenne, « sauf motif impérieux », et la fermeture, dès dimanche, des « centres commerciaux non alimentaires d’une surface supérieure à 20 000 m2 ». Il a également déclaré que le « recours effectif au télétravail devra être renforcé dans toutes les entreprises » et que « les policiers et les gendarmes seront mobilisés pour contrôler le non-respect du couvre-feu, l’organisation de fêtes clandestines et l’ouverture de restaurants, de manière renforcée ».

Alors que résonnait au loin la rumeur du « tout ça pour ça », l’opposition a commencé à réagir à ces « annonces surprises » – qu’est-ce qu’on s’amuse : le chef de file de La France insoumise (LFI) Jean-Luc Mélenchon a déploré le « temps perdu » ; la présidente du Rassemblement national (RN) Marine Le Pen s’est félicitée de la fermeture des frontières ; le secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) Julien Bayou a estimé que le gouvernement choisissait « l’économie au lieu de la santé » ; et celui du Parti communiste français (PCF) Fabien Roussel a noté qu’il n’y avait « rien sur la campagne de vaccination et pas de sortie du tunnel en vue ».

Damien Abad, le patron des députés Les Républicains (LR), a quant à lui jugé « particulièrement dangereux de jouer sur la corde psychologique des Français en faisant monter la menace du confinement ces derniers jours pour finalement envoyer à la volée un premier ministre embarrassé faire des annonces mineures ». Car c’est bien là tout le problème : un an après le début de la pandémie, le pouvoir continue de jouer avec nos nerfs en faisant des coups politiques. Parfois pour cacher ses propres manquements. Le plus souvent parce qu’il ne sait rien faire d’autre.

La période est instable, le virus imprévisible, et la gestion de crise forcément évolutive. Il n’est pas question de prétendre le contraire. Mais convoquer un Conseil de défense en urgence, un vendredi soir, faire monter la sauce en rappelant à quelques journalistes que le procédé n’est pas commun, puis lâcher trois mesures en expliquant à d’autres qu’il ne s’agit que d’« un répit d’une semaine pour empêcher la fermeture des écoles »… Tout cela est en revanche inacceptable. Et nourrit largement la défiance et la morosité.

En milieu de semaine, face aux présidents de groupe du Sénat, Jean Castex a reconnu que « la complexité, c’est l’acceptabilité ». Mais comment faire accepter à des millions de personnes des décisions prises d’en haut, par un noyau resserré d’individus qui pourraient tenir dans une cabine téléphonique ? Comment permettre aux Français de s’approprier des mesures dont ils ne comprennent pas le sens ? Comment oser les taxer de « procureurs » quand aucune des questions qu’ils posent légitimement, depuis un an d’état d’urgence sanitaire, ne trouve de réponses ?

Dans les cabinets ministériels et jusqu’au sein du gouvernement, beaucoup ne savent toujours pas expliquer pourquoi les musées sont fermés, alors que les magasins restent ouverts. Pourquoi il est possible d’aller s’acheter une paire de baskets, mais pas d’aller visiter une exposition. Nul n’est capable, non plus, de savoir si un confinement très strict, sur une courte période, serait mieux accepté par la population que des mesures moins contraignantes, mais plus étalées dans le temps. Personne ne sait si d’autres alternatives sont possibles. Personne ne le sait, parce que personne n’en a débattu.

Les annonces de vendredi sont survenues après deux jours de « consultations » menées par l’exécutif avec les partis politiques, les associations d’élus, les syndicats, ainsi que des laboratoires ou encore des psychiatres. Le premier ministre avait aussi promis un débat et un vote – non contraignant – au Parlement, en cas de nouveau confinement. Mais, depuis un an, toutes les décisions sont prises dans le huis clos du Conseil de défense. Et toutes se discutent, si l’envie nous en prend, a posteriori. Le rôle des parlementaires s’est réduit comme peau de chagrin. Et les ministres qui ne sont pas directement concernés par la crise ont tout simplement disparu.

L’équilibre à l’œuvre depuis le début de la pandémie est de plus en plus précaire. Comme le soulignait récemment l’ancien président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), Didier Sicard, dans Le Monde, « le dégât neuronal est immense, quand une société est privée de sociabilité, de culture, de plaisir » et « l’enfermement a des conséquences incalculables ». La ligne d’horizon recule en permanence. Le décision publique, dans un tel contexte, n’est pas seulement sanitaire : elle est profondément politique. Politique, mais pas politicienne.

Plutôt que de se soucier des critiques et de son image, de mettre en scène ses colères ou ses doutes, de distribuer les bons points aux enfants sages, de rabrouer ceux qui ne le sont pas, de faire des tweets-mantra – samedi, il a encore posté sur son compte : « J’ai confiance en nous. Les heures que nous vivons sont cruciales. Faisons tout pour freiner l’épidémie ensemble » – et de jouer avec le bouton de l’ascenseur émotionnel, Emmanuel Macron pourrait commencer par éclairer ses choix et partager sa prise de décision. Sans cynisme ni condescendance. Sans théâtralité. Et sans penser aussi fort à la présidentielle de 2022. Parce qu’on n’entend que ça.


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