Avec cinq autres associations, Amnesty International lance une action de groupe et mettons en demeure le Premier ministre et les ministres de l’Intérieur et de la Justice d’apporter des remèdes à la pratique généralisée des contrôles d’identité discriminatoires, appelés aussi « contrôles au faciès ».
De longue date, les forces de l’ordre en France se livrent à une pratique généralisée de contrôles d’identité dits « au faciès ». Cette pratique est stigmatisante, humiliante et dégradante pour toutes les personnes qui en sont victimes en France. De nombreuses études établissent le caractère systémique de ces contrôles fondés sur des caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée. Malgré ces nombreuses études et de multiples condamnations publiques, les gouvernements successifs se sont limités à des changements cosmétiques et ont renoncé aux réformes structurelles nécessaires.
Forts de ce constat, nous lançons avec la Maison communautaire pour un développement solidaire (MCDS), Pazapas, Réseau - Égalité, Antidiscrimination, Justice - interdisciplinaire (Reaji), Human Rights Watch et Open Society Justice Initiative, la toute première action juridique de groupe contre l’État français pour discriminations policières.
Le 27 janvier 2021, nous avons adressé au Premier ministre et aux ministres de l’Intérieur et de la Justice une mise en demeure afin que les autorités françaises engagent des réformes profondes et prennent des mesures concrètes pour que cessent ces pratiques discriminatoires systémiques par la police. Il est temps que le gouvernement s’attaque aux causes profondes de ces contrôles “au faciès”.
Cette initiative intervient dans un contexte de crise de confiance entre la police et la population en France. Après le passage à tabac violent du producteur de musique noir, Michel Zecler, fin novembre 2020 par quatre policiers, le dernier d’une série d’incidents de violences policières à caractère raciste, le Président Emmanuel Macron a reconnu, lors d’une interview sur le média Brut le 4 décembre, le problème des contrôles au faciès réalisés par la police.
La pratique des contrôles au faciès est ancienne, persistante, généralisée et largement connue et documentée. La police utilise des pouvoirs trop étendus, insuffisamment contrôlés, pour procéder à des contrôles d’identité discriminatoires et abusifs basés sur des caractéristiques physiques d’une personne associées à une origine réelle ou supposée. Des études quantitatives ont démontré que les jeunes hommes et les garçons perçus comme noirs ou arabes sont ciblés de manière disproportionnée, par les contrôles et les fouilles. Des études qualitatives soulignent les effets dévastateurs de tels contrôles sur les victimes, y compris des enfants âgés de seulement douze ans.
Notre action en justice comprend également de nombreux témoignages de victimes de contrôles au faciès, effectués dans différentes villes à travers la France - Paris, Rennes, Beauvais, Lorient, Châtellerault, Eybens, Lyon, Toulouse, Lille - ainsi que des déclarations de policiers. L’une des victimes citées témoigne des contrôles au faciès qu’elle subit depuis l’âge de 16 ans « parfois trois fois dans la journée » et relate l’un des derniers dont il a fait l’objet : « ils me plaquent sur le mur violemment. Un des policiers touche mes parties intimes. Puis, il me met un coup dans le ventre et me traite de « sale bougnoule ». L’ensemble des preuves accumulées démontre un schéma de discrimination qui ne peut être réduit à des incidents isolés ou sporadiques.
Le Défenseur des droits, institution nationale indépendante des droits humains, a critiqué à plusieurs reprises les contrôles d’identité discriminatoires et a appelé à des réformes. En 2016, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire, la Cour de cassation, a jugé que les interpellations de trois jeunes hommes par la police révélaient un profilage ethnique et constituaient une « faute lourde engageant la responsabilité de l’État ». Depuis de très nombreuses années, les rapports d’organisations non gouvernementales, les études universitaires, statistiques, les avis d’instances, nationales, européennes et internationales, se succèdent pour constater, dénoncer les contrôles d’identité discriminatoires en France et recommander des mesures pour y mettre fin.
La mise en demeure envoyée aujourd’hui au Premier ministre et aux ministres de l’Intérieur et de la Justice ouvre une période de quatre mois qu’ils peuvent mettre à profit pour engager des discussions avec les organisations. À l’issue de cette période, en l’absence de mesures satisfaisantes, les organisations pourront décider de saisir la justice.
Après des années de travail sur les discriminations par les forces de l’ordre en France et ailleurs, nous appelons à la mise en œuvre d’un ensemble de mesures :
l’introduction dans le Code de procédure pénale de l’interdiction explicite du contrôle d’identité fondé sur des motifs discriminatoires.
l’exclusion des contrôles d’identité de routine (dits administratifs)
l’encadrement des pouvoirs de la police afin que les contrôles ne puissent être fondés que sur un soupçon objectif et individualisé ;
l’adoption de règlements et d’instructions spécifiques pour les contrôles ciblant les mineurs ;
la création d’un système d’enregistrement et d’évaluation des données relatives aux contrôles d’identité, et de mise à disposition de toute personne contrôlée d’une preuve de contrôle ;
la création d’un mécanisme de plainte efficace et indépendant ;
la ratification du protocole 12 de la Convention européenne des droits de l’homme sur la non-discrimination pour permettre un recours plus efficace devant la Cour européenne des droits de l’homme ;
des modifications dans les instructions et la formation de la police, par exemple la suppression de tout objectif chiffré dans l’activité policière et la révision des objectifs de performance quantitatifs poussant à multiplier les contrôles d’identité.
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