Attaque du Congrès : aux Etats-Unis, la tentation fasciste

lundi 18 janvier 2021.
 

En regardant mercredi soir tard, comme tout le monde avec sidération, les images de violence et de vandalisme au sein du Capitole, je n’ai pu m’empêcher de penser à l’incendie du Reichstag à Berlin en février 1933, à la manifestation des Ligues factieuses devant l’Assemblée nationale à Paris en février 1934, à la marche sur Rome des fascistes de Mussolini douze ans plus tôt, en octobre 1922.

Bien sûr, rien n’est jamais vraiment comparable. Question d’époque et de moyens mais aussi parce que l’Amérique, par son modèle et la puissance de ses contre-pouvoirs, par l’idéal de ses Pères Fondateurs aussi, a repoussé cette tentation à de nombreuses reprises au cours de son histoire.

Leur nostalgie d’une identité américaine en train de leur être volée

Je n’ai pu m’empêcher aussi de repenser à l’un de mes derniers reportages réalisés aux Etats-Unis à la fin de mes sept ans de correspondance à Washington, en 2010. C’était en février à Nashville à l’occasion de la première Convention nationale du Tea Party. Les militants que j’y avais rencontrés, affichaient leur dégoût de la présidence Obama, leur nostalgie d’une identité américaine en train de leur être volée, leur volonté de restaurer la grandeur des Etats-Unis. Et lorsque je leur demandais qui incarnait le mieux cet esprit dans l’histoire récente du pays, deux noms leur venaient à l’esprit : Dwight Eisenhower le plus souvent mais aussi Ronald Reagan. Le premier était un général devenu président au cœur des années 1950 en plein début de guerre froide face à l’URSS. Le second était un ancien acteur d’Hollywood devenu gouverneur de Californie puis président avec un programme basé sur la restauration des valeurs traditionnelles de l’Amérique.

Qui pourraient dire sérieusement que Donald Trump est le digne héritier de ces deux hommes ? Pas grand monde, tant le milliardaire new-yorkais a flirté toute sa vie avec l’amoralité, l’argent qui coule à flots, l’indécence et la démagogie. Mais ses partisans interrogés mercredi par les reporters au pied du Capitole voient en lui malgré tout un restaurateur viril et blanc d’une Amérique où "c’était mieux avant". Et qu’importe si tout le monde ne peut pas voter, notamment à cause de la couleur de sa peau, si le système de scrutin par le biais du Collège électoral freine le suffrage universel où un homme égale une voix et dont les démocrates depuis près de 20 ans sont les bénéficiaires au détriment du parti républicain. Cette démographie américaine qui verra naitre d’ici 2050 un pays où les Blancs seront minoritaires, un pays dont les protestants ne seront plus les maitres, est la grande coupable aux yeux des partisans identitaires de Donald Trump. Ils l’ont exprimé à leur façon en lui accordant dix millions de voix en plus par rapport à 2016 ! Comment ne pas y voir une victoire ?

Cette Amérique de demain, ce n’est pas celle de Trump

Hélas pour eux, ce ralliement massif à leur président, est insuffisant. En quatre ans, les démocrates ont amélioré leur méthode de fabrication de coalition des minorités : Noirs, Latinos, femmes et jeunes, diplômés, urbains restent aujourd’hui non seulement la majorité du pays mais aussi celle des Etats qui comptent, même si c’est à quelques dizaines de milliers de voix près. Le simple fait que Joe Biden ait obtenu un score identique à celui de Trump en 2016 au sein du Collège électoral en dit long sur le rétablissement des lignes dee fracture. L’Arizona et la Géorgie qui basculent dans le camp bleu pour la première fois depuis près de 30 ans, voilà qui s’inscrit dans un phénomène non seulement démographique mais générationnel. Cette Amérique de demain, ce n’est pas celle de Trump, encore moins de ses partisans.

Alors que faire pour inverser le cours des choses ? Trump était-il une machine à perdre qui s’est fracassée sur le mur de la réalité ? Les tribunaux truffés de juges républicains, les élus républicains des Etats républicains, les ministres et conseillers républicains de Donald Trump n’ont fait qu’appliquer le droit, respecter les lois locales ou fédérales, et surtout la Constitution. N’est-il pas étonnant, selon une information du site Vanity Fair, que le propre avocat du président à la Maison-Blanche, Pat Cipollone, celui qui l’avait défendu au cours de sa mise en accusation pour abus de pouvoir, ait demandé mercredi aux collaborateurs du Bureau Ovale de ne plus prendre d’ordres auprès de Donald Trump et de ses conseillers les plus proches pour leur éviter une possible inculpation pour sédition ? Si plus rien ne passe, si l’on est plus entendus, si l’on est rejetés, il ne resterait ainsi, pour les plus zélés partisans de Trump, que le recours à la violence. Comme dans le Michigan, début décembre, lorsque des miliciens ont débarqué en armes dans l’enceinte du Parlement pour intimer aux élus de voter contre les mesures de restriction sanitaires anti-Covid décidées par la gouverneure démocrate Gretchen Whitmer.

Contester par l’intimidation et la violence

C’est cela le fascisme. Contester, par l’intimidation et la violence, à des autorités élues démocratiquement d’accomplir la mission que leur ont confié les électeurs. J’entendais mercredi l’un de ces supporters de Trump venus manifester sur le Mall de Washington dire qu’il comprenait ses camarades partis à l’assaut du Capitole. En prétextant de la violence des émeutiers face à la police au cours des derniers épisodes raciaux qui ont endeuillé le pays ces derniers mois. Comme si brûler des voitures, résister aux forces de maintien de l’ordre, piller des magasins était plus légitime que de s’en prendre au temple de la démocratie. Pour souligner leur raisonnement, ils parlaient des antifas, comme si leur violence bénéficiait de plus d’indulgence des démocrates que la leur. Ce discours résonne très fort dans l’univers trumpien. Raison pour laquelle Donald Trump, après les évènements tragiques de Charlottesville, s’était montré incapable de départager les suprémacistes blancs des antifas et antiracistes qui s’affrontaient dans la rue. Non, il n’y a pas de "nice guys on each side", selon son expression. Tout ne se vaut pas. La violence doit être bannie de la vie politique et des idées, point final. Sinon, c’est le fascisme.

Dès juin dernier, Leah Pisar, ancienne collaboratrice de Bill Clinton et demi-sœur d’Anthony Blinken qui devrait être confirmé dans ses fonctions de secrétaire d’Etat de Joe Biden par le Sénat, écrivait ceci dans une tribune publiée par le JDD : "Trump a de la suite dans les idées. En se définissant comme le président du maintien de l’ordre, il joue sur l’insécurité, il se donne ainsi une marge de manœuvre pour consolider le pouvoir exécutif, voire invoquer des prérogatives d’urgence qui pourraient remettre en question le déroulement juste et pacifique de l’élection présidentielle. Cette semaine, il est allé trop loin, en indiquant qu’il était prêt à invoquer le très controversé Insurrection Act de 1807, qui autorise dans certains cas rares et complexes le déploiement de troupes fédérales au sein du pays. Il faut espérer que ces tragédies concomitantes - le Covid, ses conséquences socio-économiques et la mort de George Floyd - auront au moins pour effet de réveiller mes compatriotes pour ne pas tomber dans le piège d’un dirigeant qui, sous l’impulsion d’une tentation fasciste, veut diviser pour régner."

Leah Pisar a osé ce jour-là utiliser un terme - "fasciste" - réservé jusqu’à présent aux gauchistes tentant de définir cette alliance au pouvoir faite de conservateurs classiques reaganiens, de populistes, d’arrivistes et d’élus obsédés par la victoire à tout prix dans un pays qui, démographiquement, les marginalise. Il ne s’agit pas d’un mot tabou. Deux livres très sérieux ont été publiés en 2008, par le journaliste Chris Hedges, et en 2018 par le philosophe Jason Stanley. Ils encadrent cette période de dix ans qui a vu naitre les deux maitres mandats de Barack Obama et le début de la présidence Trump. Comme s’il allait falloir s’habituer à ces "impulsions " qui menacent la santé de la vie démocratique américaine. Avec ou sans Trump.

Après avoir suivi la campagne présidentielle 2016 avec Bureau Ovale saison 3, ce nouveau blog de François Clemenceau a pour objectif d’analyser tous les aspects de la présidence Trump : politique, économique, diplomatique, ce qui sous-entend naturellement le débat et les actions de l’opposition démocrate.


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