Nous avons encore beaucoup de mal à comprendre que le monde dans lequel nous sommes nés et qui avait déjà quelques siècles est en train d’agoniser. La mue radicale du capitalisme au XXIe siècle laisse tout le monde ou presque dans une véritable hébétude. On répète des discours et des slogans qui n’accrochent plus sur rien. La politique qui se meut dans les décors et les costumes d’hier et d’avant-hier n’est plus guère qu’un théâtre d’ombres.
Depuis l’humanisme, les Lumières et l’ère des révolutions, nous vivions sous l’emprise de la religion du progrès qui a doublé et renouvelé la vieille eschatologie chrétienne. Tout cela se dissipe sous nos yeux. La démocratie se dissout, sans bruit, non pas vaincue par les tyrans et les hommes chaussés de bottes à clous, mais rongée de l’intérieur par la croissance des bureaucraties maquillées en « libéralisme » et la cacophonie des revendications « identitaires ». Point commun aux macronistes, aux islamistes, aux féministes, aux genristes et aux « istes » extravagantistes : au trou ! Emprisonnez les manifestants ! Emprisonnez tous les irresponsables qui ne respectent pas la nouvelle « distanciation sociale » et l’état de siège ! Emprisonnez tous les islamophobes, les transphobes, les homophobes, les binaires, les hétéronormés, etc. ! Ils sont tous coupables, ils ne le savent pas, mais ils sont tous coupables et les maîtres de l’empire du bien le font savoir et le mettent en musique. Mais s’en tenir là, c’est encore prendre le spectacle pour la réalité. La réalité est celle de la mue du mode de production capitaliste qui remplace entreprises et marchés par les plateformes numériques et le contrôle des individus par le contrôle des données. La marche folle de l’accumulation du capital produit sous nos yeux une gigantesque transformation qui ne laissera pas pierre sur pierre de la civilisation dont nous héritons. Toutes les prévisions des marxistes se réaliseront, non comme l’avènement d’un rêve, mais comme le pire des cauchemars. Jusqu’à l’effondrement.
La période ouverte par la fin de la Seconde guerre mondiale s’est terminée au cours des années 70 ; la fin de partie est sifflée par Nixon, lors de son fameux discours du 15 août 1971 qui annonce la dislocation du système monétaire international mis en place lors des accords de Bretton Wood. Le keynésianisme imposé par la guerre et la menace soviétique est enterré dans la plus stricte intimité par Mrs Thatcher, Ronald Reagan et Giscard-Barre. Les choses avaient commencé un peu avant. Les premières mesures de « dérégulation » avaient été prises par le démocrate Jimmy Carter aux États-Unis et par le travailliste Callaghan en Grande-Bretagne. Giscard travaille la main dans la main avec le social-démocrate Helmut Schmidt et le « socialiste » Mitterrand poursuivra cette œuvre la main dans la main avec le démocrate-chrétien Helmut Kohl…
On a parlé à propos de ce grand tournant de « libéralisme » ou de « néolibéralisme ». C’était une erreur de perspective. Le démantèlement de l’État keynésien ne signifiait nullement le retour au libéralisme d’antan. En 1997, j’écrivais : « Les analyses qui portent sur l’affaiblissement du rôle de l’État, voire sa perte de centralité tombent à l’évidence dans ce travers, puisqu’elles oublient que l’État n’est pas une personne agissante mais un ordre entre les individus. Dans « l’État-providence », les relations sociales sont soumises à un certain nombre de règles donnant aux individus les moins favorisés des droits à faire valoir ; dans l’État néolibéral, ces règles sont en quelque sorte comme inversées : les possibilités d’action des syndicats sont sévèrement encadrées par la loi pendant que les plus riches peuvent faire valoir un certain nombre de droits de tirage sur la richesse publique (voir les privatisations !), mais si les règles ont, en partie, changé de sens, cela ne signifie pas qu’elles aient disparu ou même se soient affaiblies. On l’a déjà dit, mais il faut le répéter, le néolibéralisme n’est pas une politique de suppression de réglementations et de « libération de l’activité » mais seulement une suppression des règlements qui entravent la poursuite du profit privé maximum, avec, en contrepartie, une augmentation considérable de la production de droit. La corporation des hommes de loi est aujourd’hui une des plus florissantes ; maîtres incontestés de la chicane, les Américains exportent aujourd’hui cette spécialité dans le monde entier. Si on applique la formule de Kelsen selon laquelle « le pouvoir de l’État (ou puissance publique) n’est autre chose que la validité et l’efficacité de l’ordre juridique », on voit qu’il n’y a aucun sens à parler de régression du pouvoir d’État dans le monde contemporain. » (La fin du travail et la mondialisation. Idéologie et réalité sociale, L’Harmattan, 1997).
Comme l’avait très bien montré Karl Polanyi dans La grande transformation, l’instauration du « marché libre » suppose une intervention massive de l’État, la multiplication des réglementation et l’omniprésence des pandores. La nouvelle phase du capitalisme qui commence à la fin des années 70 ne fait pas exception à cette règle. La liberté n’est jamais que la liberté des capitalistes de faire ce que bon leur semble pour garantir le sacro-saint profit. Cette liberté capitaliste s’accompagne tout naturellement de la mise en coupe réglée des libertés démocratiques élémentaires et notamment de la liberté des travailleurs à s’organiser pour défendre collectivement leurs intérêts face à leurs employeurs. On a d’ailleurs pu apprécier combien la très libérale Mrs Thatcher fut aussi un féroce adversaire du mouvement syndical. Remarquons en passant que la défaite des mineurs, au terme d’une grève de 18 mois, marque un tournant décisif dans l’histoire du mouvement ouvrier britannique et européen.
Le néolibéralisme est en même temps un « illibéralisme » pour reprendre le terme que les belles gens appliquent à ces gouvernements d’Europe de l’Est qui ne partagent pas les enthousiasmes post-modernes, mais qu’ils devraient d’abord s’appliquer à eux-mêmes. Ce point n’est évidemment pas secondaire et nous sépare profondément de tous ceux qui se plaignent du prétendu manque d’autorité de l’État dont viendraient nos malheurs. Il y a quelques années, j’avais écrit un article pour montrer la « poutinisation » de nos démocraties. Le lien entre les sommets de l’État et les sommets du capitalisme s’est partout renforcé comme se sont renforcés les dispositifs de contrôle des populations et la mise en coupe réglée des libertés libérales de base – voir sur ce point mon livre, La longueur de la chaîne, Max Milo, 2011). La pandémie n’a fait qu’accélérer des processus en cours depuis longtemps. Ainsi depuis 2015, la France vit en régime d’état d’urgence permanent : les principales dispositions de l’état urgence proclamé à la suite des attentats du Bataclan ont été inscrites dans la loi ordinaire par Macron et ensuite l’état d’urgence sanitaire à porté un coup d’une gravité sans précédent aux libertés de base, à commencer par la liberté de circuler. Ce que l’on pourrait croire propre à la Ve République en France est, hélas, la règle générale, à laquelle même les démocraties parlementaires les plus anciennes ont fini par succomber.
Les prétendus « libéraux » n’ont plus rien à voir avec le libéralisme politique d’antan. Voilà ce que j’avais eu l’occasion d’analyser voilà une décennie dans La longueur de la chaîne et qui est amplement confirmé par le cours des évènements. Quant aux antilibéraux patentés, loin d’être des adversaires de la domination du capital, ils n’en sont que l’extrême gauche apportant à la désagrégation de toute conscience politique critique leur touche si particulière de fanatisme, d’imbécilité et un jargon réservé à ces prétendues élites de demi-instruits qui dominent tant les grands médias que la plupart des partis politiques. En se faisant les promoteurs de la pire des censures (la fameuse « cancel culture ») ils révèlent ce qu’ils sont dans l’âme : des petits fascistes décérébrés.
Dans ce monde où la liberté n’a plus qu’une existence précaire, où l’égalité est devenue un gros mot et où la fraternité n’est plus que l’ornement dégoulinant de faux bons sentiments des discours de LFI, nous assistons à une transformation fondamentale des bases mêmes de la production capitaliste. La mondialisation sous la direction américaine est terminée. Donald Trump a sifflé la fin de la partie et la victoire de Boris Johnson et des partisans du Brexit est venue le confirmer. On revient aux choses sérieuses, c’est-à-dire les États. Ainsi les États-Unis, toutes fractions confondues viennent d’adopter un des budgets militaires les plus fabuleux de leur histoire. Pourquoi ? Parce qu’il faut d’une part ranimer l’économie américaine par la bonne vieille méthode de l’inflation de l’économie d’armement et, d’autre part, parce qu’il faut montrer aux Chinois qu’ils ne gagneront pas sans risque l’hégémonie dans l’économie capitaliste telle qu’elle se dessine aujourd’hui. C’est qu’en effet la Chine s’est rapidement remise de la secousse de la pandémie, sa croissance a repris et loin d’être simplement cantonnée dans l’économie manufacturière, la place que toutes les grandes puissances anciennes lui avaient laissée, elle est en passe de devenir le leader mondial de la « high tech ». Son avance dans le domaine de la 5G, la place qu’occupent des entreprises comme Huwei ou Lenovo (qui est née du rachat de la division grand public d’IBM) se complète aujourd’hui d’une percée dans les biotechnologies. Pendant qu’ici on ne parle que Moderna et Pfizer, les entreprises chinoises (notamment les trois plus grandes) ont déjà mis au point des vaccins contre le COVID et se préparent à conquérir les marchés des pays émergents. Le pouvoir industriel chinois se double d’un « soft power » qui deviendra d’autant plus important dans les années à venir que les universités chinoises produisent chaque année autant de docteurs que les USA et l’Europe réunis et ce dans toutes les branches de la recherche…
Dans le sillage de la Chine, d’autres puissances de moindre rang affichent leur prétention à dominer pour leur propre compte certains segments du marché mondial. La Russie (qui reste une puissance militaire majeure) mais aussi l’Inde évidemment, mais la Turquie, l’Arabie Saoudite ou l’Iran cherchent leur voie. Tout cela est gros de conflits sérieux, mais témoigne que le « monde unipolaire » de la « mondialisation heureuse », c’est bel et bien terminé. Toute la construction de l’UE avait été conçue en pariant sur la poursuite indéfinie de cette phase du développement capitaliste qui est aujourd’hui forclose. Les benêts européistes chantent victoire avec la stratégie européenne de vaccination – oubliant au passage que l’Europe de l’Est n’est pas aussi enthousiaste et que les Hongrois choisissent aussi le vaccin russe. Mais surtout cet épisode de pure propagande vise à masquer le fait ennuyeux que l’Europe du Nord s’apprête à saigner à blanc l’Europe du Sud quand il s’agira de rembourser les dettes de la pandémie. La bataille qui s’ouvrira nécessairement fera beaucoup plus de morts que la pandémie.
Comme on a déjà eu l’occasion de l’expliquer, l’un des enjeux des batailles à venir réside dans la plateformisation de l’économie. Le « great reset » appelé de ses vœux par le WEF (forum économique mondial, alias forum de Davos) s’ordonne autour de cette perspective. La « grande remise à zéro » est rendue possible par le COVID : « Les changements que nous avons déjà observés face au COVID-19 prouvent qu’il est possible de repenser nos fondements économiques et sociaux. » Il ne s’agit évidemment pas de renverser le capitalisme mais d’instaurer un nouveau mode de régulation du capitalisme : « Ceci est notre meilleure chance d’instaurer le capitalisme des parties prenantes - voici comment nous pouvons y parvenir. » (Ces citations et les suivantes se trouvent sur le site en français : fr.weforum.org) Le « capitalisme des parties prenantes » est un projet global de refondation du capitalisme qui veut prendre en compte non seulement la COVID mais aussi la question environnementale et la fragilité accrue de sociétés dans lesquelles les inégalités ne cessent de s’aggraver. Au fond, le WEF partage notre diagnostic : la crise du mode de production capitaliste atteint un point où l’effondrement global du système devient une possibilité.
Il s’agit pour le WEF de proposer des plateformes qui explorent toutes les dimensions de ce changement global. Les auteurs le reconnaissent : « Le niveau de coopération et d’ambition que cela implique est sans précédent. » C’est bien le retour de l’ultra-impérialisme » imaginé par des auteurs marxistes comme Kautsky comme une nouvelle ère de développement pacifique du capitalisme. Cet ultra-impérialisme ne fut que la rêverie de réformistes désemparés. Cependant, les auteurs de la plateforme du WEF soutiennent : « Mais il ne s’agit pas d’un rêve impossible. En effet, un des points positifs de la pandémie est qu’elle a montré à quelle vitesse nous pouvions apporter des changements radicaux à nos modes de vie. Presque instantanément, la crise a contraint les entreprises et les particuliers à abandonner des pratiques longtemps considérées comme essentielles, des voyages aériens fréquents au travail dans un bureau. » Ce qui était inimaginable est devenu possible grâce au choc de la pandémie. C’est, exposée clairement, la stratégie du choc bien analysée par Naomi Klein. Les complotistes voient dans le COVID un complot des puissances occultes et servent sur un plateau les arguments des anti-complotistes stipendiés. Non, il n’y a pas de complot, mais des stratégies, des orientations de la classe capitaliste transnationale qui peuvent se saisir de l’occasion de la crise pour briser tous les obstacles. Le WEF n’est pas le club secret des « maîtres du monde », mais l’émanation publique et même assez franche de cette classe capitaliste transnationale déjà bien analysée, il y a deux décennies, par Leslie Sklair.
La plateforme « great reset » note encore : « les populations ont massivement montré leur volonté de faire des sacrifices au nom des travailleurs de la santé et autres professions essentielles, ainsi que des populations vulnérables, telles que les personnes âgées. Et de nombreuses entreprises se sont mobilisées pour soutenir leurs employés, leurs clients et les communautés locales, en évoluant vers le type de capitalisme des parties prenantes auquel elles n’avaient auparavant accordé qu’un intérêt de pure forme. » On notera qu’il n’est pas fait mention des sacrifices nécessaires que l’on pourrait demander aux magnats de la finance, aux actionnaires et autres « tondeurs de coupons » comme on disait jadis. Non, il s’agit bien d’obtenir de nouveaux sacrifices de la part des populations et imposer des réformes qui n’avaient pas pu être imposées dans le passé. Puisque les populations semblent accepter des contraintes qu’il aurait semblé inimaginable d’imposer en temps normal, nos rédacteurs disent simplement : « il faut battre le fer quand il est chaud ».
Évidemment tout cela est présenté sous l’emballage plus alléchant de la construction d’une société meilleure : « Le programme de Grande remise à zéro se composerait de trois éléments principaux. Le premier orienterait le marché vers des résultats plus justes. À cette fin, les gouvernements devraient améliorer la coordination (par exemple en matière de politique budgétaire, réglementaire et fiscale), moderniser les accords commerciaux et créer les conditions nécessaires à une « économie des parties prenantes ». À l’heure où l’assiette fiscale se dégrade tandis que la dette publique monte en flèche, les gouvernements ont de bonnes raisons de poursuivre une telle action. »
Pour sortir des généralités enveloppées dans des paroles mielleuses, il faut aller feuilleter les nombreux documents publiés par le WEF. Toutes ont un seul objectif : renforcer la « résilience » du système, c’est-à-dire du système capitaliste mondial. Mais, et c’est à souligner, les divers intervenants cherchent à construire une « société inclusive », c’est-à-dire rénover le capitalisme et en faire une nouvelle frontière. Ils sont très inquiets des conséquences de la situation présente et comme ils ne sont pas là pour faire de la propagande sur les grands médias mais pour convaincre les décideurs, ils peuvent employer un langage de vérité (au moins partielle) : « En 2020, la mondialisation économique est au point mort, la cohésion sociale est érodée par des troubles importants et une polarisation politique, et une récession en cours menace les moyens de subsistance des personnes qui se trouvent au bas de l’échelle des revenus. Alors qu’une nouvelle récession mondiale provoquée par la pandémie de santé COVID-19 a un impact sur les économies et les marchés du travail, des millions de travailleurs ont connu des changements qui ont profondément transformé leur vie au sein et en dehors du travail, leur bien-être et leur productivité. L’une des caractéristiques de ces changements est leur nature asymétrique : ils touchent les populations déjà défavorisées avec plus de férocité et de rapidité. » Il faut donc d’urgence remédier à ces transformations sociales, avant que tout cela jette à bas le système lui-même. Ainsi le rapport 2020 sur l’emploi explique-t-il : « Pendant une demi-décennie, le Forum économique mondial a suivi l’impact de la quatrième révolution industrielle sur le marché du travail, en identifiant l’ampleur potentielle du déplacement des travailleurs ainsi que les stratégies visant à faciliter la transition entre les emplois en déclin et les nouveaux rôles. Le rythme fondamental des progrès vers une plus grande incursion technologique dans le monde du travail n’a fait que s’accélérer au cours des deux années qui se sont écoulées depuis l’édition 2018 du rapport. Sous l’influence de la récession économique actuelle, les tendances sous-jacentes à l’augmentation technologique du travail se sont accélérées. S’appuyant sur la méthodologie du rapport sur l’avenir de l’emploi élaborée en 2016 et 2018, cette troisième édition du rapport sur l’avenir de l’emploi pour 2020 donne un aperçu global de l’augmentation technologique actuelle du travail, des emplois et compétences émergents et perturbés, de l’expansion prévue de la reconversion et de l’amélioration des compétences en masse dans les différents secteurs d’activité ainsi que des nouvelles stratégies pour des transitions efficaces de la main-d’œuvre à l’échelle. » Tout ce discours est bien connu et 2020 est bien dans la lignée de ce qui avait été proposé les années précédentes. Comment faire mieux passer la restructuration du capitalisme mondial ? Voilà la question.
Le problème du « great reset » n’est pas que ses partisans manquent d’idées. Ils ont même du cœur et s’inquiètent du sort des plus fragiles. Mais toutes ces belles et généreuses idées se réaliseront comme d’habitude comme des cauchemars. D’une part l’appel à la coopération des nations et de toutes les « parties prenantes » restera un vœu pieux. Les États collaboreront, n’en doutons pas, pour trouver le meilleur moyen de soumettre et de discipliner les travailleurs dont la condition s’est déjà fortement dégradée. Mais le reste, ce sera business as usual et chacun pour soi. Ni les Chinois ni les Américains n’ont l’intention de se soumettre aux avis des autres nations qui commencent à trouver un peu pesante leur domination…
Plus fondamentalement, les gens du WEF savent, comme tous les capitalistes un peu lucides que « les carottes sont cuites », c’est-à-dire que les ressorts fondamentaux de l’accumulation du capital sont ou brisés ou en train de s’épuiser. Pour que ce mode de production puisque continuer à assurer une accumulation du capital suffisante pour que les individus puissent avoir quelque chance de récolter les miettes de la croissance et éventuellement de se faire une place au soleil, il faut deux conditions : premièrement, de l’énergie à très bon marché, ce qu’a été l’énergie fossile depuis les débuts de la révolution industrielle ; et deuxièmement, une démographie suffisante pour qu’on ait toujours de la main-d’œuvre à bon marché à s’offrir et des débouchés nouveaux pour les marchandises. Pour la première condition, d’une part l’énergie fossile commence à s’épuiser et coûte de plus en plus cher à extraire. Il reste beaucoup de charbon… Mais tout cela produira du CO2 en masse et contribuera à rendre la planète invivable et à précipiter la crise – le WEF ne cesse d’insister sur ce point. Concernant le deuxième point, nous sommes en train d’arriver à un pic. La multiplication par 7 de la population mondiale qui a assuré le triomphe du mode de production capitaliste n’est pas une opération qui pourra être rééditée ! La technologie ne pourra rien à tout cela.
La vérité est que le capitalisme n’a pas devant lui une nouvelle période de croissance et d’avancées technologiques heureuses. C’est au contraire une période de stagnation, de crises et de décroissance (dont la pandémie nous a donné un avant-gout) qui se profile et qui mettra sérieusement à mal la fameuse « résilience » du système, lequel ne pourra survivre qu’on plongeant l’humanité dans la barbarie. Quelques conclusions
Le complotisme a ceci d’absurde, entre autres choses, qu’il pose qu’une poignée de capitalistes sont les maîtres du monde et qu’ils peuvent tirer toutes les ficelles qui leur permettent de dominer éternellement. Il n’en est évidemment rien. La grande transformation du capitalisme dont le WEF se fait le chantre est impossible. Et les capitalistes ne savent pas plus que les autres humains à quel saint ils doivent se vouer. Qu’une poignée d’ultrariches se goinfre ne signifie absolument pas que le système soit puissant. La roche tarpéienne est proche du Capitole, disait-on à Rome. Les Bezos, Gates, et autres Arnaud sont pour une part des images construites par la société du spectacle qui masquent la réalité. Quand Elon Musk, PDG de Tesla triple sa fortune en quelques mois grâce à une entreprise qui ne rapporte pas un dollar (ou presque), ce qui est attendu de nous, c’est la foi, la foi du charbonnier, dans la réalité de cette montagne de monnaie virtuelle. À côté de ces fantaisies, la transsubstantiation du corps du Christ dans la sainte eucharistie apparaît comme une histoire parfaitement rationnelle et réaliste !
Rien n’empêchera l’effondrement du système. Trois ans ou trente ans, c’est assez peu à l’échelle historique, mais beaucoup de gens s’accordent sur ce délai maximal. La question n’est pas de savoir si le système capitaliste s’effondrera, mais comment il s’effondrera. Les optimistes écarteront d’un revers de manche nos prédictions, oubliant qu’un pessimiste est un optimiste bien informé. La « belle époque » précédait la première guerre mondiale et les « années folles » la seconde. L’homo ludens joue encore mais la « teuf » est finie. Serons-nous capables de préserver le monde quand le capital s’effondrera ?
Le 29 décembre 2020
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