Crise au sommet et poussée de celles et de ceux d’en bas … à l’échelle du monde

mercredi 30 décembre 2020.
 

Durant la journée du dimanche 20 décembre 2020, la panique a monté des gouvernements aux salles de rédactions européennes, pendant que des foules de résidents en Grande-Bretagne tentaient de sortir du pays et tombaient sur un formidable bouchon de poids-lourds bloquant tous les accès à Douvres et à l’eurotunnel. En quelques heures Pays-Bas et Belgique puis Allemagne, France et Irlande fermaient leurs frontières aux personnes quittant le Royaume-Uni, le reste de l’Europe puis le monde entier bloquant les liaisons aériennes. Sur la BBC les gens, dont le ministre de Santé, avaient les larmes aux yeux. La totalité des londoniens et des gens du Kent apprenaient l’interdiction de fait de passer Noël en famille. Le confinement de l’Irlande du Nord, où les patients malades sont traités sur les parkings faute de places en hôpital, combiné aux mesures irlandaises bloquant les liaisons avec l’île de Grande-Bretagne, et aux informations sanitaires alarmistes en provenant, arrime encore un peu plus le territoire nord-irlandais à son espace national … irlandais, l’éloignant du britannique.

Ce scenario est celui qui a été écrit et annoncé depuis maintenant quatre ans dans l’hypothèse d’un « Brexit dur », il est celui que négociateurs et gouvernants ont toujours déclaré vouloir éviter, assurant qu’ils allaient y arriver, et il est celui qui commençait à s’annoncer pour la nuit du nouvel An 2021. Mais il éclate là, comme une répétition générale mais affolée et accélérée, avec 11 jours d’avance et dans des conditions quasiment pires, car c’est l’officialisation de la présence d’une forme mutante du virus du Covid dans le Sud-Est britannique, beaucoup plus contagieuse, qui a produit cette onde de choc – l’emballement épidémique à Londres était pourtant avéré depuis une semaine, mais, une fois encore, tous les gouvernements concernés ont passé par le stade 1 « je fais l’autruche » pour plonger d’un coup dans le stade 2 « j’affole tout le monde ».

De sorte que ce rebond épidémique, qui nous rappelle ce que l’on savait – ce virus mute sans arrêt et un vaccin est nécessaire aussi pour cette raison – a produit un déroulé réel de la fermeture des frontières entre îles britanniques et reste de l’Europe. Une semaine auparavant, une première crise avait été ajournée, Londres ayant prétendu déployer 14 000 soldats dans ses Zones économiques exclusives maritimes, contre les chalutiers des autres pays européens, et pour se rattraper en matière d’affirmation de souveraineté, compte-tenu de l’humiliation exceptionnelle que les impérialismes allemand et français font subir à l’impérialisme britannique à propos des échanges entre Union Européenne et Irlande du Nord, qui équivalent à faire sortir, économiquement, cette région du Royaume-Uni, dont le nom complet est pourtant Royaume-Uni de Grande-Bretagne … et d’Irlande du Nord. Sous la pèche, la géopolitique des puissances rivales, ces vieux impérialismes européens fatigués et perclus, s’est brutalement rappelée – et l’affaire n’est absolument pas réglée.

Nous ne mélangeons pas ici deux questions a priori disjointes, celle du Covid et celle du Brexit, mais elles se mélangent par la force ces choses, sur le terrain formé par la crise capitaliste, la crise européenne, la crise britannique. La concomitance du Covid mutant et du Brexit dur risque donc d’étrenner l’année 2021.

États-Unis.

Pendant ce temps, à Washington, vendredi 18 décembre, selon le New York Times et le site Axios, éclats de voix à la Maison blanche : la bande de Trump se divise en deux clans, Rudy Giulani, avocat véreux et délirant, pétant un câble contre une éventuelle mission « de la dernière chance » sur les soi-disant fraudes ayant fait perdre Trump, confiée à Sidney Powell, avocate véreuse et délirante, plus encore que Giuliani (selon elle le coup électoral a été monté par un mort, Chavez, et un Juif, Soros !). Giuliani a le dessus, mais les cris reprennent quand Mickael Flinn propose … la loi martiale, pour, comme il venait de le dire sur Newsmax, « déployer des moyens militaires dans les Etats-pivots et y imposer de nouvelles élections ». Flinn avait été officiellement écarté au début de la mandature Trump pour ses liens ostensibles avec l’ambassade russe, le voila donc de retour (à quand le retour de Steve Bannon à la Maison blanche ?). De nouveau, sa proposition – soutenue par son avocate, qui n’est autre que Sidney Powell – est écartée dans un concert d’imprécations et d’énervement. Mais on ne saurait affirmer que Trump a choisi entre ses factions, S. Powell a en effet été « vue à la Maison blanche » (sic), deux jours après sa supposée défaite. Alors que l’épidémie galope, les élections dans l’Etat de Géorgie seront la prochaine étape de la crise.

Mais quelle est sa portée exacte ? Il n’y a aucune raison de revenir sur l’analyse que nous avions faite au lendemain du 3 novembre : Trump a été battu, pas par Biden en tant que tel, mais par trois mois de manifestations de masse et d’affrontements, par l’ouverture du débat sur la grève générale en cas de coup d’Etat dans l’AFL-CIO, et par le déplacement d’environ 19 millions d’électeurs supplémentaires (contre 9 millions de plus chez Trump) qui ont voté Biden pour battre Trump, souvent sans voter démocrate (et sans voter du tout) au niveau local. Les convulsions de la Maison blanche sont d’une part la queue de comète de la présidence Trump, mais d’autre part elles font échos à d’autres ébranlements, plus profonds car sanctionnant l’affaiblissement de l’État nord-américain et la poursuite de la crise du premier impérialisme mondial.

Il s’agit, tout d’abord, de la mise à jour dans la semaine précédente de la plus grande cyberattaque de l’histoire mondiale. La firme SolarWinds, basée à Austin, fournissait les logiciels de protection de réseaux aux administrations et à de nombreuses entreprises. Ses propres antivirus ont été piratés et ont été les vecteurs de logiciels espions, à une échelle gigantesque, à partir de février 2020 via une mise à jour envoyée à ses clients. Du côté des entreprises, Microsoft, ATT, Cisco, et bien d’autres. Du côté de l’État le Trésor US, qui vient de rendre publique son incapacité à savoir au total quelles sont les informations qui lui ont été prélevées et les possibilités de manipulations installées dans ses réseaux, mais mieux encore, outre le ministère de la Santé, nous avons le Département d’Etat, la Sécurité intérieure, et, last but not least n’est-ce pas, la Sécurité nucléaire (NSSA). NSSA et Département de l’énergie (DOE) ont dû communiquer : « oui nous sommes touchés, mais nous n’avons aucune preuve de prise de contrôle des armes nucléaires et des centrales », voila en gros leurs éléments de langage. D’où l’on peut raisonnablement déduire qu’ils ne savent pas exactement où ils en sont ou ne disent pas tout, et d’où il résulte un doute portant directement sur la sécurité nucléaire de la première puissance mondiale.

En l’absence de toute réaction gouvernementale, la Maison blanche étant occupée à détecter les traces des interventions du fantôme de Chavez et des agents au nez crochu de Soros dans les machines à voter, Myke Pompeo, chef du Département d’État où Trump l’a nommé en 2018 après l’avoir fait passer par la direction de la CIA, a dénoncé la Russie. Immédiatement Trump a tweeté pour protester qu’on accuse toujours la Russie parce qu’on n’ose pas dire que le danger vient de Chine !

Ajoutons qu’on peut aussi se demander si la maxi-cyberattaque n’a pas aussi atteint les entreprises fournissant les machines à voter, comme Dominion. Trump, le président sous l’égide duquel s’est déployé cette opération, de nature en fait militaire, d’une envergure sans précédent et qui constitue comme telle un KO-debout pour la puissance américaine, s’est emparé de cette hypothèse pour tweeter que les Chinois ont contrôlé le vote !

Une semaine auparavant encore, s’était déroulé un épisode significatif de la crise constitutionnelle latente. Le Texas a saisi la Cour suprême contre les prétendues modalités illégales de vote au Michigan, en Pennsylvanie, au Wisconsin et en Géorgie. Comme cela était prévisible, bien qu’ultra-réactionnaire et largement composée de juges nommés par Trump la Cour a refusé même d’examiner cette requête. Le fait important se produit après : 17 Etats « républicains » se joignent à l’assemblée texane et Allen West, président du Parti républicain au Texas, appelle à former une « Union d’États qui respectent la Constitution ».

Ce langage est perçu, aux États-Unis, comme sécessionniste-sudiste, ce qui ne veut pas dire que la « Sécession » est là, mais qui prend date sur le fait que la crise de l’Etat et la crise constitutionnelle ne sont pas terminées, Trump ou pas Trump.

Tout cela alors que la pandémie est en fait pire aux États-Unis que dans le Kent …

Crise au sommet.

Le caractère chaotique de la « gouvernance » affecte donc les Etats capitalistes historiques de la planète, de part et d’autre de l’Atlantique. A Washington comme à Londres ou Paris, il est aujourd’hui clair que la protection des populations n’est pas assurée, tout au contraire, par l’action erratique des pouvoirs exécutifs capitalistes.

Dans ce contexte global, la Chine est de plus en plus admirée pour sa « gouvernance efficace ». Ceux pour qui, voici 90 ans, « tout de même, en Allemagne, les trains arrivent à l’heure », sont maintenant béat devant l’efficacité prêtée à Xi Jinping – y compris pour surexploiter et martyriser les Ouïghours. Les théories de certains sur le caractère d’ « Etat ouvrier », sur les « éléments de socialisme » ou sur les vertus de la « propriété d’Etat », qui avantageraient l’Etat chinois, deviennent peu à peu les soutiers et les faisant-écho de l’appétence capitaliste globale pour les méthodes du Parti « Communiste » Chinois, structure oligarchique regroupant l’ensemble des propriétaires privés de moyens de production contre la masse prolétarienne et paysanne chinoise.

Nous ne croyons ni à cette toute-puissance, ni au caractère « ouvrier » de la seconde puissance impérialiste mondiale. Elle aussi participe de la crise au sommet globale, et elle n’est pas en mesure de prendre la place des États-Unis : nous assistons de plus en plus à leur usure mutuelle. Il faudra y revenir. Au moment présent, la tache la plus urgente, quand les classes dominantes en crise d’Europe et d’Amérique subissent le mirage chinois, est d’attirer l’attention des exploités et opprimés du monde entier sur l’issue possible à la crise de l’humanité, par la poussée de celles et ceux d’en bas. C’est la leçon immédiate de l’Inde, qui nous appelle à l’information, pour commencer, et à la solidarité.

Montée révolutionnaire dans le continent indien.

Mardi 14 décembre se produisait la troisième grève générale en un mois, le mouvement paysan entrainant les syndicats de salariés, dans toute l’Inde. Sur l’autoroute Delhi-Mumbaï, des dizaines de milliers de salariés, dont des femmes exploitées dans les centres d’appel téléphonique mondiaux, ont rejoint les paysans. Les sites occupés par les paysans deviennent les foyers de l’auto-organisation populaire : cinéma, théâtre, récitals, chansons, dortoirs, cantines, conférences, débats, meetings, bibliothèques, universités populaires et boites à livres, et Neki Ki Divar, « mur de la gentillesse » et de la solidarité.

Le 16, les chauffeurs de bus de Bangalore parent en grève illimitée et décident de renouveler leur direction syndicale en élisant le dirigeant paysan Kodihalli Chandrashekar ; ils gagnent rapidement sur leurs revendications économiques devant une direction affolée. Les ouvriers non payés brûlent l’usine d’I-phones Wiskron. Toyota est en grève. 10 entrées autoroutières de Delhi sont bloquées. Manifestations dans toutes les grandes villes.

Au Telangana, les organisations paysannes, ouvrières, étudiantes et féminines appellent à l’occupation illimitée des places. Alors que se répand l’appel à une nouvelle journée nationale « en hommage aux morts », une trentaine au moins de paysans ayant été tués par la police depuis le début du mouvement, pour le 20 décembre, aucune direction syndicale nationale n’appelle plus à rien. Internet est bloqué à Mumbai.

Alors que les grèves poussent à Chennai, le parti bourgeois dravidien DMK appelle, pour encadrer ce qui est en train de monter, à une journée de jeûne dans tout le Tamil Nadu (18 décembre). En Uttar Pradesh, des soldats, malgré la loi martiale, déclarent soutenir les paysans. Une « armée » de milliers de veuves, sœurs et mères de paysans suicidés ces dernières années arrive à son tour aux portes de Delhi. Une marche supplémentaire de 200 000 paysans part du Rajasthan, entrainant un parti anciennement[U1] allié à Modi. Les manifestants du Pendjab reprennent Bella Ciao en pendjabi – comme les bélarusses reprenant l’Estaca !

Le 20 tout le pays est rythmé par l’hommage aux morts du soulèvement. De tout le continent partent de nouvelles marches, de quelques milliers à quelques dizaines de milliers, qui « montent à Delhi » pour bloquer le pouvoir central. Dans les villes se multiplient les manifestations contre la hausse de prix.

Il ne s’agit pas d’un « mouvement paysan » au sens convenu que pouvait avoir cette expression au siècle dernier. Les paysans indiens ne sont pas des couches arriérées victimes de la modernisation, ce sont les détachements avancés du combat de l’humanité pour un système de production vivable : donc ils remettent de fait en cause et le capitalisme et l’Etat, le pouvoir politique existant, et réalisent le front unique de tous les exploités et opprimés.

Les conséquences de cette unité, qui a d’ores et déjà battu Modi dans ses plans de divisions communautaire et ethno-nationaliste, s’étendent au Pakistan, l’État issu de la partition de 1947 sur des bases religieuses. Les 16 et 18 octobre, 21 novembre puis le 13 décembre à Lahore voient s’imposer le mot-d’ordre « Dehors le gouvernement ». L’opposition est contrainte de mettre en avant l’exigence de départ du premier ministre, le play-boy milliardaire islamiste Imran Khan, d’ici au 31 janvier. De sorte qu’un processus de généralisation et de centralisation des luttes sociales en combat politique central se développe maintenant au Pakistan comme en Inde, deux pays officiellement ennemis dirigés par des nationalistes religieux hindous ou musulmans, mais dont les populations se rejoignent. Contre les licenciements les ouvriers des aciéries au Pakistan sont entrés en grève et, à leur tour, ils bloquent les autoroutes. Les manifestations du Pakistan se sont étendues en Afghanistan malgré la terreur entretenue par les attentats islamistes. Nous manquons, à ce jour, d’information précises sur les développements que le Bangladesh, à son tour, ne peut pas ne pas connaître, malgré sa séparation de l’Inde par le plus long « mur » militaire du monde. Au Népal, une crise politique sévère oppose président et assemblée nationale dirigés par des fractions de l’ancienne guérilla maoïste.

Si on en entend si peu parler, c’est donc qu’à l’échelle de tout un continent, car c’est là un continent et le plus peuplé du monde, la poussée d’en bas indienne montre, aux exploités et aux opprimés du monde entier, la direction à prendre.


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