Souriez, vos opinions sont fichées

samedi 12 décembre 2020.
 

Un décret gouvernemental entend ficher les Français selon leurs opinions politiques, philosophiques ou religieuses, sous-couvert de lutte antiterroriste. Une atteinte de plus à la liberté.

n 2011, apparaissait sur les écrans britanniques la série Black Mirror, faisant référence aux sociétés d’écrans qui nous renvoient à notre propre image. Notre propre reflet. Le reflet d’une société en plein mouvement et dont les usages des nouvelles technologies modifient en profondeur nos comportements – à commencer par ceux et celles qui nous dirigent.

Une série aux allures futuristes qui envisage un futur proche, voire imminent. Un futur inquiétant où la surveillance de masse, le fichage, la notation humaine et sociale, ont remplacé les libertés les plus élémentaires. Depuis sa première diffusion au Royaume-Uni, la série a connu un grand succès, fait le tour du monde et sans doute inspiré bien des gouvernants.

Un décret du gouvernement français, passé inaperçu la semaine dernière, aurait pu inspirer les scénaristes de la série. Ce décret autorise désormais de ficher les personnes en fonction de leurs opinions politiques, de leurs convictions philosophiques et religieuses, ou de leur appartenance syndicale. Pour Anne-Sophie Simpere, chargée de plaidoyer Libertés pour Amnesty France : « Les activités politiques, religieuses ou syndicales pouvaient être fichées, maintenant seules les opinions suffisent, ainsi que les données de santé révélant une dangerosité particulière », prévient-elle sur Twitter. Et de préciser : « Toute personne morale ou groupement susceptibles de prendre part à des activités terroristes ou de porter atteinte aux institutions de la République pourront être fichées. »

Si pour le risque terroriste il existait déjà des fichiers, le risque de « porter atteinte aux institutions de la République » semble un peu plus ambiguë. Comme s’en inquiète Anne-Sophie Simpere, « c’est très large ». Bien trop large pour ne pas y voir une atteinte à la liberté d’opinion. De nombreuses données pourront ainsi être récoltées : les habitudes de vie, les déplacements, les activités, les photographies, la détention d’animaux dangereux, les signes physiques particuliers et objectifs, les éléments patrimoniaux. La liste n’est pas exhaustive. Elle est très longue. Anne-Sophie Simpere conclue sa succession de tweets, non sans ironie, par cette interrogation : « Jeu pour le week-end : combien d’entre nous pourraient être fichés selon ces critères ? »

Ainsi le gouvernement s’est-il saisit du contexte de crise sécuritaire – la menace terroriste persistant – pour surveiller plus encore ses opposants. Parce qu’ils sont nombreux à être dans le viseur du gouvernement. La véritable question se posera : que feront-ils de ces fichés-là ?

À entendre certains dirigeants de gauche, de droite, ceux du gouvernement – à l’instar de Jean-Michel Blanquer – pointer du doigt une partie de la gauche qui serait complaisante, voire complice, de l’islam politique pour les uns ou de terrorisme pour les autres, nul doute que la liste des fichés sera longue. Ainsi, une fois n’est pas coutume, le gouvernement s’est-il saisit du contexte de crise sécuritaire – la menace terroriste persistant – pour surveiller plus encore ses opposants. Et ses oppositions. Parce que de Mediapart à la LDH en passant par la France insoumise ou l’UNEF, ils sont nombreux à être dans le viseur du gouvernement. Bien sûr, ce dernier niera toute volonté de criminaliser les opinions de cette gauche-là, mais la véritable question se posera : qu’en feront-ils ? Que feront-ils de ces fichés-là ?

Pierre Jacquemain


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