Crise immobilière et financière : Quelques faits sur les marchés financiers (par Vincent Présumey)

dimanche 19 août 2007.
 

Depuis fin février 2007, les bourses mondiales oscillent entre la poursuite de la phase de hausse antérieure et des phases d’alerte avec des chutes momentannées. Cela s’est produit à trois reprises, phase actuelle comprise, mais celle-ci pourrait marquer un retournement, car cette fois ça dure, et les indices boursiers, ramenés à leur niveau du début de l’année en gros vers les dates des 7-8 août, ont continué à plonger avec un à-coup violent à la baisse les jours suivants. Plusieurs jours de baisses à 1%, 2% voire 2,5% ou un peu plus, cela finit par faire un "krach", dont le caractère de pétarade à répétition, plutôt que de grand boom, ne limite pas la gravité réelle, d’autant plus que la crainte du dit grand boom est de plus en plus présente sur les marchés ...

A chaque fois deux facteurs immédiats ont interragi : l’endettement extrême des ménages nord-américains, d’une part, avec l’incendie dans le maillon faible des subprime mortgage (qui est loin cependant de représenter l’essentiel des crédits aux ménages US), et d’autre part l’instabilité structurelle du capitalisme chinois et de ses relations avec les Etats-Unis.

Il n’est pas sans intérêt de rappeler le scénario de la première de ces chutes momentannées (momentannées jusque là ! ). Les choses ont démarré à Shanghai par une "panique" provoquée par les projets d’encadrement du crédit des sphères gouverrnementales chinoises. Un tel encadrement serait, d’un point de vue rationnel, tout à fait nécessaire à l’essor "sain" du capitalisme chinois. Mais le capitalisme n’est ni sain, ni rationnel, et de plus les paniqueurs, à savoir les spéculateurs, actionnaires et patrons chinois, sont les mêmes ou sont les frères et les cousins des chefs du parti communiste chinois dans lequel ces projets sont discutés, ils sont donc bien placés pour être au courant. Premier acte, donc. Deuxième acte : la chute à Shanghai se communique aux bourses du monde entier, et d’abord à Wall Street, en une demi-journée. Cette rapidité est qualitativement supérieure à ce qui se passait ne serait-ce qu’une décennie avant, lorsque la crise "asiatique" née à Bangkok et Manille début 1997 (Shanghai et la Chine n’avaient pas acquis, alors, leur place actuelle) mettait non pas une demi-journée, mais une année, pour parcourir les bourses du monde entier. Troisième aspect : dés ce premier éternuement, l’ancien patron de la Fed (la Federal Reverve Bank, banque centrale des Etats-Unis) Alan Grenspan tenait des propos inquiétants sur les risques de crédit aux Etats-Unis même, ce qui devait être particulièrement agaçant pour son successeur, Ben Bernanke. Du temps où Greenspan était président de la Fed il se plaisait à dire : "Si vous avez compris quelque chose à ce que j’ai dit, c’est que j’ai dû faire une erreur quelque part." Mais une fois à la retraite cet adage ne tient plus. Comme s’il lui fallait attiser la crise de toutes les institutions dirigeantes nord-américaines, il dit tout haut ce que son successeur ne peut pas dire tout bas. Mais dans la dernière phase de baisse, la plus grave, Greenspan n’a pas refait son numéro : il est vrai que tout le monde maintenant reconnaît que le risque de crédit est là, et bien là, et que point n’est besoin d’en rajouter.

En fait le vieux renard peut boire du petit lait car le plongeon boursier mondial de la fin de la semaine allant du 6 au 10 août a précisément fait suite à la décision de son successeur Bernanke, le mardi 7 août, de maintenir le taux directeur de la Fed inchangé à 5,25% avec un communiqué qualifié par les commentateurs de "serein".) Ce faisant, la Fed lançait, paraît-il, un message de solidité, (serenity, tranquility, peace ! ) contrastant avec les attitudes anciennes, du temps de Greenspan, qui répondait plus vite aux demandes des marchés : c’est lui qui, en 1998, avait pris la décision politique capitale (le cas de le dire ! ) de renflouer le fonds d’investissement Long Term Capital Management, apportant ainsi un coup d’arrêt à la crise dite "asiatique" et baissé, à l’époque, les taux d’intérêts. A partir de là commençait, dépenses militaires US à l’appui, la grande reprise de la fin des années 1990 et des années 2000, intensifiée depuis le 11 septembre 2001 avec la croissance chinoise notamment. Selon les analystes financiers donc, la Fed-Bernanke montrait cette fois-ci une plus grande indépendance que la Fed-Greenspan et manifestait en même temps que la situation, en terme de bulle financière prête à exploser, n’en est pas au stade qu’elle avait atteint en 1998. Ces fines analyses durèrent exactement un jour et demi (compte tenu du décalage horaire causé par la rotation de la terre), du mardi au jeudi, pendant lequel radios et sites spécialisés expliquèrent que tout repartait dans le bon sens, que la situation était consolidée. Et puis, dans la journée de jeudi, tout se retournait, au point que prévalut l’opinion selon laquelle le ton rassurant des autorités monétaires et poltiques avait, cette fois-ci, "attisé les peurs" (Le Monde du vendredi 10).

Intervention des banques centrales.

Voyons maintenant un autre fait. Dans la matinée du jeudi 9 août, la BCE (Banque Centrale Européenne instaurée par le traité de Maastricht) agissant d’une manière digne du Greenspan de 1998 (et contredisant son habituel discours sur la rétention de la création monétaire pour éviter l’ "inflation"), dépensait immédiatement la somme de 94,8 milliards d’euro pour enrayer la baisse, agissant en préteur en dernier ressort. Somme d’une ampleur astronomique. On pourrait la comparer au célèbre "trou" de la Sécu en France : c’est plusieurs dizaines de fois le "trou". Motivation officielle de ce déblocage extraordinaire de fonds (suivis du déblocage de sommes moindres, mais en soi considérables aussi, des banques centrales étatsunienne, canadienne, australienne et japonaise) : rétablir la confiance. Dans le propre discours des responsables de cette honorable institution, en effet, "C’était simplement un problème de confiance. En théorie, la BCE n’était pas obligée d’agir. Mais ce qu’elle a fait, c’est instaurer la confiance.". Les salariés aimeraient bien que, pour instaurer leur "confiance", on leur alligne ainsi chèques sur chèques !

Mais il faut établir le fait précis qui, selon la BCE et selon les analystes financiers, exprimait le "problème de confiance". Avant l’intervention de la BCE, les taux d’intérêts interbancaires sont montés en cinq minutes -en cinq minutes- de 4,1% à 4,7%, atteignant leur plus haut niveau depuis le 11 septembre 2001. Il s’agit des taux des sommes que les banques se prêtent entre elles : cette hausse montrait donc que les banques n’ont plus confiance les unes dans les autres et ne croient donc pas à leur propres communiqués lénifiants, tout du moins en ce qui concerne le marché de refinancement à terme.En mettant à la disposition des banques des fonds à 4%, l’ intervention de la BCE entraine donc par là-même les taux d’ interêt au jour le jour à la baisse, but de l’ opération, car en manque de confiance les prêteurs se retirent, les emprunteurs ne trouvent donc plus d’argent pour se refinancer sur les marchés à terme et donc se retournent vers le marché de l’ argent au jour le jour qui profite de l’ aubaine pour demander des taux d’ interêt de plus en plus haut.

Ainsi donc, les gogos que nous sommes sont censés avaler l’allégation selon laquelle la troisième plus forte injection de liquidités par les Etats capitalistes dans l’économie en vingt ans (les deux autres sont celle de Greenspan en 1998 et celle du 11 septembre 2001), la plus forte à laquelle la BCE se soit jamais livrée, et probablement le plus fort accés de création monétaire inflationniste instantannée dans la "mondialisation", les gogos que nous sommes sont donc censés croire que ceci ne correspondait pas à une crainte réelle, touchant aux "fondamentaux", comme ils disent, mais ne visait qu’à rétablir la "confiance". Or, elle ne l’a pas rétablie. Les bourses ont continé à chuter, de sorte que la BCE a récidivé le lendemain, atteignant une injection globale de ... 156 milliards d’euro.

Chaque crise financière a des traits spécifiques. Une intervention aussi massive des banques centrales (donc des Etats) à un stade encore relativement superficiel de la crise est quelque chose d’inédit. Il y a, d’ailleurs, une part de vérité dans la croyance, totalement irrationnelle en elle-même, des autorités monétaires en la "confiance" et la fiction selon laquelle tout cela ne serait qu’affaire de "confiance" : dans ses manifestations concrètes nécessaires, mais superficielles, dans sa forme phénomènale véhiculant, de manière contradictoire, son essence, la crise, sur les marchés immobilers d’abord, puis sur l’ensemble des places boursières, entre les banques et finalement partout, prend effectivement la forme d’une crise "de confiance", singulièrement dans le fait que toute exhortation à la confiance, tout propos rassurant, est en passe de se muer en son contraire et d’avoir un effet paniquant. Mais ce retournement de la confiance en son contraire est l’expression par excellence de ce que les causes sont autrement plus profondes ...

Les "marchés" ont-ils retrouvé la "confiance", ou non, on le saura lundi. Mais le géant de l’immobilier nord-américain et leader du secteur, Countrywide Financial, déclare "jouer la franchise" : "les conséquences financières de la crise actuelle pourraient se révéler sérieuses."

Vendredi soir, France 2. Le flash (indigent, naturellement) de la chaine officielle de télévision se termine en expliquant aux "petits actionnaires" qu’ils ne doivent pas s’affoler. On n’a pas encore compris, à France 2, que les déclarations rassurantes se sont converties les jours précédents en facteurs d’affolement. TF1, première chaine privée, traduit plus directement le sentiment des capitalistes : "Cette crise ne fait que commencer". Cela dit, ce vendredi soir l’inquiétude est en partie transférée d’Amérique en Europe : à Wall Street, le Dow Jones n’a reculé que de 0,8% sur la journée.

Deux grandes banques et une université.

Mais poursuivons notre revue des principaux faits.

En remontant un tout petit peu en arrière : fin juillet la banque allemande IKB (Deutsche Industriebank) (aprés plusieurs grandes banques aux EU)- premier préteur germanique auprés des petites et moyennes entreprises, seule banque allemande de statut inter-länder, créée en 1924, pionnier historique des prêts à long terme aux PME ... déclare que ses résultats annuels vont plonger. A cause de ses engagements dans le crédit immobilier nord-américain. C’est en fait là que commence la phase actuelle, qui consiste donc dans la propagation de l’onde de choc de part et d’autre de l’Atlantique. L’actionnaire de référence d’IKB est la banque publique KFW (comparable à la Caisse des dépots française) ; le ministre SPD des finances décide le déblocage de 3,5 milliards d’euros, qui grimperont finalement à 8, pour éviter sa faillitte qui aurait trés vraisemblablement entraîné une réaction de faillittes en chaine dans le système de crédit allemand et donc européen.

A nouveau des comparaisons historiques s’imposent. Les liquidités accordées par les banques centrales sont, on l’a dit, la plus forte intervention depuis le 11 septembre 2001. Mais là, un tel mécanisme : celui d’un risque soudain de faillitte dans une grande banque germanique provoqué par une onde de choc nord-américaine ...certes, le précédent existe, il date de 1931.

Exactement au même moment, en France, le conseil d’administration de BNP-Paribas, présidé par Michel Pébereau, disait dans un communiqué :

"BNP Paribas, grâce à la bonne qualité de son fonds de commerce et à une politique de risque prudente, n’est pas directement impacté par la crise actuelle du « sub-prime » ni par les tensions dans le marché des LBOs. La qualité de la gestion des risques de BNP Paribas a été soulignée par l’agence de notation Standard and Poor’s le 10 juillet lors de l’annonce du rehaussement de la note de BNP Paribas à AA+. Cette note place BNP Paribas parmi les six grandes banques les mieux notées au monde."

On ne résistera pas ici au plaisir de compléter cette citation par cette déclaration du directeur général, un certain Baudouin Prot :

"La qualité de notre ’business model’ et notre vigilance en matière de risques nous mettent en bonne position pour continuer à bien performer dans un environnement moins favorable".

Quelques jours plus tard, le "business model" de Baudoin Prot "performa" : nous revoila donc le jeudi matin 9 août. BNP Paribas fait soudain savoir au monde, et à la bourse apeurée, qu’elle gèle toute souscription-rachats sur trois fonds gérés par Paribas, en fait trois offices de placements en valeurs mobilières, des fonds de gestion de paquets de titres de propriétés et de créances reposant en l’occurence principalement sur l’immobilier nord-américain. Autrement dit, BNP-Paribas avait joué comme IKB Deutsche Industriebank (combien sont-ils dans ce cas ? ). Ces titres de propriété et ces créances appartiennent typiquement à la catégorie du capital fictif, celle des titres négociables ayant un prix déconnecté du capital qu’ils sont censés représenter.

On ne résistera pas non plus au charme discret des termes exacts utilisés dans le communiqué de la grande maison française pour ne pas avoir dire clairement ce qu’il en est :

"La disparition de toute transaction sur certains segments du marché de la titrisation aux Etats-Unis conduit à une absence de prix de référence et à une illiquidité quasi-totale des actifs figurant dans les portefeuilles des fonds quelle que soit leur qualité ou leur rating. Cette situation ne permet plus d’établir une juste valorisation des actifs sous-jacents et donc de calculer une valeur liquidative pour ces 3 fonds."

Autrement dit, nous avons des fonds qui, aux Etats-Unis, ne peuvent plus être refilés à qui que ce soit et donc, ça coince.

Dernier fait pour terminer ce tour d’horizon : l’université Harvard, aux Etats-Unis, vient elle aussi de perdre dans la tourmente. 350 millions de dollars, qu’elle avait investis dans un fonds spéculatif.

Il s’agit du capital.

L’ébranlement financier de ces jours n’a pas pour cause ultime le simple étalage de données que sont les subprime mortgage et la crise de la place des Etats-Unis dans le monde.

Leur remplacement par un cartel de puissances aujourd’hui secondes, de la Chine à l’Allemagne en passant par le Brésil et l’Inde, ne supprimerait aucune des tendances profondes du capitalisme et nécessiterait d’ailleurs une guerre destructrice que personne de censé ne peut souhaiter. Le polycentrisme n’est pas plus progressiste que l’hyperpuissance.

Le contrôle des mouvements de capitaux, le rétablissement de seuils de crédit comme il en a existé de Roosevelt aux années 1980, des interventions des banques centrales sur les prix des actifs financiers et immobiliers et la fermeture des paradis fiscaux, outre que chacune de ces mesures et toutes ensembles sont impossibles à réaliser en dehors d’un renversement des forces politiques capitalistes et de leurs Etats eux-mêmes (qui sont au coeur de la finance, via les bonds du trésor et la titrisation des dettes publiques) qui permettrait forcément de faire bien plus et bien mieux, toutes ces mesures (proposée par ATTAC dans un communiqué sur la crise présente) équivalent à faire tourner la roue de l’histoire à l’envers, vers un bon vieux fordisme keynésien totalement mythique, et qui en réalité n’a pu fonctionner que par la guerre et les dépenses militaires permanente, et dont le capitalisme actuel de la "mondialisation" est le fruit légitime et logique.

Il serait beaucoup plus raisonnable, responsable et rationnel, finalement beaucoup plus économique, de poser publiquement la question de la rupture avec le système de production lui-même, celui du capital, donc de l’expropriation et de la socialisation des grandes entreprises de production dans l’industrie, l’agriculture, les transports, de l’abolition des dettes (dettes extérieures titrisées des Etats comme les dettes des pauvres du type subprime), et de l’élimination pure et simple des officines financières et rentières parasitaires, remplacées par des services communs de statistique et d’allocation de ressources. Vaste programme certes, mais pour l’élaborer il faut reposer en commun la question du capitalisme.

Chacun comprend bien déjà qu’il ne s’agit pas de l’effondrement d’un chateau de carte, en somme un assainissement, une "consolidation" comme ils disent, mais d’une maladie. Elle ne consiste pas dans la finance, pas dans l’immobilier, mais bien dans le capital.

Avons nous affaire à une crise fondamentale du capitalisme lui-même, procédant de la surproduction (par rapport à la demande solvable et non par rapport aux vrais besoins) et de la baisse des taux de profit, ou "seulement" à une crise de réajustement mettant en cause la domination du capitalisme par les Etats-Unis (sans solution de rechange) ? On ne le sait pas encore et il faut être prudent sur ce sujet, car la production de plus-value surtout en Asie depuis 2001 est un élément fort du paysage, qui ne se réduit donc pas au parasitisme financier et rentier. En outre la hausse des prix des matières premières agricoles, qui arrive dans les prix quotidiens de la ménagère, s’explique pour partie par la hausse de la demande mondiale, pour partie par l’anticipation spéculative de pénuries qui n’ont pas commencé -donc par le parasitisme financier- mais assurément pas par la surproduction. Il reste donc à déméler de prés l’écheveau présent : on y reviendra.

Cela dit, il est d’ores et déjà peu probable que le krach actuel, puisque c’est d’un krach dont il s’agit, n’ait pas de prolongement sur la production. « Si la défiance devait persister, il y a de sérieux risques de crise financière avec des banques contraintes de vendre certains actifs pour trouver des liquidités », expliquent les économistes de Natixis. Leurs homologues du Credit Suisse estiment eux aussi qu’un « vent mauvais souffle sur le secteur financier qui pourrait déboucher sur la sphère économique à travers une interruption brutale des crédits accordés aux entreprises et aux particuliers ».

A suivre ...

Vincent Présumey


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