Imaginons que vous soyez élu président de la République en 2022. Que feriez-vous de la dissuasion nucléaire ?
La dissuasion reste pour la France un outil irremplaçable aussi longtemps qu’il n’y a pas d’alternatives militaires. Pour autant, je suis favorable au Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN) approuvé par l’Assemblée générale des Nations Unies. Mais il ne peut pas être question de demander aux Français de désarmer les premiers. Il faut que ce soient ceux qui ont le plus d’armes nucléaires qui commencent, c’est-à-dire les Etats-Unis et la Russie.
Hélas, il n’y a plus d’initiatives diplomatiques pour le désarmement venant des puissances nucléaires. Les seuls qui ont essayé, ce sont les Chinois. Ils ont proposé aux Nations Unies une conférence sur la sécurité nucléaire. En vain. La situation est paradoxale : on est dans un contexte plus dangereux qu’à l’époque de la guerre froide, lorsqu’il y avait des discussions et des accords sur le contrôle des armements. Du fait de la rupture par les États-Unis de l’accord FNI sur les armes à portée intermédiaire, le réarmement a, hélas, recommencé dans toute une série de pays.
Si l’arme nucléaire implique la souveraineté des pays qui s’en dotent, son usage éventuel concernerait la terre entière. Il y a donc un droit universel à intervenir sur ce sujet. Avec nous, la diplomatie s’adosserait sur tous ceux qui, dans le monde, sont d’accord pour exiger le désarmement nucléaire.
Les Russes sont des partenaires fiables alors que les États-Unis ne le sont pas. Ils ne signent pratiquement aucun des accords qui nous intéressent et pas seulement dans le domaine militaire. Cessons de nous rabâcher que nous avons des valeurs en commun avec les Nord-Américains ! Ce n’est pas vrai que nous défendons les mêmes principes. Les États-Unis défendent par-dessus tout le droit de faire ce qu’ils veulent. C’est un pays qui en 244 ans d’histoire a eu 222 ans de guerre. C’est l’un des rares pays qui ait pris à son voisin, le Mexique, la moitié de son territoire.
Vous avez évoqué des alternatives militaires à la dissuasion nucléaire. À quoi pensez-vous ?
La question qui se pose est de savoir si ces armes peuvent être utiles en cas de conflit. Pour l’instant, les SNLE [sous-marin nucléaire lanceur d’engins] sont indétectables, mais pas les missiles ou les communications. Est-ce que la guerre depuis l’espace ne va pas réduire à néant la possibilité d’utiliser ces armes ? Dès lors la dissuasion n’existerait plus. Cette question de la militarisation de l’espace est donc essentielle. Les armes conventionnelles ou nucléaires pourraient-elles être utilisées dès lors qu’une puissance spatiale s’y opposerait ? Il y a nécessité de procéder à une évaluation sereine de la situation. Nous, Français, sommes capables de mettre en orbite autant de satellites que nous voulons et dès lors de nous doter d’un système qui protégerait le territoire national. Dans ce cas, la dissuasion nucléaire ne serait plus indispensable, mais je maintiens un point d’interrogation.
Jusqu’à présent, la militarisation de l’espace était interdite, tout comme l’appropriation des corps célestes par les États ou des sociétés minières. Les États-Unis ont modifié cela. Armement et appropriation sont désormais légaux pour eux. Nous, Français, avons décidé de créer un Commandement militaire de l’Espace sans une minute de discussion à l’Assemblée nationale. Le président de la République a décidé tout seul. C’est une autre discussion de savoir s’il a raison ou non.
Une autre question est celle de la capacité de détruire les satellites en orbite. Les Chinois, les Nord-Américains, les Indiens peuvent le faire. Même si la France refusait la militarisation de l’espace, nous pourrions déclarer être capable – et nous le sommes techniquement – de « démilitariser l’espace de force » pour ceux qui voudraient nous agresser.
Dès lors qu’il s’agit de la protection nationale, à mes yeux, il n’y a pas de limites. La souveraineté française est totale, pleine, entière, non négociable. Si nous n’avons pas ces capacités, nous ne sommes plus indépendants et alors le peuple n’est plus souverain. Telle est la doctrine républicaine.
La France doit-elle rester dans l’Otan ?
Nous n’avons rien à y faire ! D’abord parce que c’est une alliance incertaine. Vous ne savez pas précisément ce à quoi cela engage vos alliés, parce que l’article 5 laisse à chacun la liberté de ses choix d’engagement. Deuxième point : il s’y trouve des gens qui peuvent être des adversaires ou des ennemis. Jusqu’à présent, on considérait cette hypothèse comme farfelue, mais on a vu avec la Turquie qu’il n’en était rien. La Turquie a commis deux actes extrêmement agressifs contre l’armée française : le premier, en Syrie, en bombardant une base où il y avait nos forces spéciales et le second, contre un navire français au large de la Libye. Troisième point : le commandement militaire en Méditerranée est assuré par les Américains et il n’a jamais été question pour eux de partager cela. Nous avons bien un général français qui est responsable des « études stratégiques », dont les États-Unis n’ont rien à faire. Mais pour tout ce qui est concret et matériel, nous ne sommes rien à l’Otan !
Voilà au moins un point sur lequel vous êtes d’accord avec le Président Macron : une hostilité commune à la Turquie !
Je conteste tout à fait que le Président Macron ait quelque attitude forte à l’égard de la Turquie ! Il s’est fait provoquer deux fois et il n’y a eu aucune réplique…
Vous voulez faire la guerre à la Turquie ?
Quelle question ! Comme s’il n’y avait pas d’alternatives entre faire la guerre et ne rien faire. Je ne suis pas pour la gesticulation, comme on l’a fait en envoyant simplement deux Rafale en Grèce et en faisant des déclarations non-maîtrisées pour s’attirer en retour des déclarations et des attitudes encore plus violentes. Quel est l’intérêt des coups de menton sans portée ?
Ne faudrait-il pas plutôt faire baisser les tensions ?
Je pense d’abord qu’on ne doit jamais se laisser provoquer. Jamais ! C’est au moment où les Turcs ont attaqué en Syrie, dans une zone tenue par les Kurdes qui sont nos alliés, qu’il aurait fallu prendre la décision de convoquer une assemblée de l’Otan pour faire valoir les droits des Français à se trouver en Syrie, là où ils estimaient nécessaire d’être. Je maintiens que la Turquie doit rendre des comptes et les moyens de représailles sur les Turcs sont plus nombreux qu’il n’y paraît, y compris sur le plan des démonstrations militaires.
Poursuivriez-vous l’augmentation du budget de la défense ?
Il doit correspondre à ce qui est raisonnablement nécessaire. Dans l’Otan, l’idée des 2 % du PIB n’a pas de sens, c’est une ligne de crédit qu’on ouvre pour les Américains. L’économie d’armement est le volant d’entraînement de l’économie américaine. Les présidents les plus libéraux en apparence ont poussé le plus loin les programmes d’armement, je pense à Reagan. Avec la victoire de Joe Biden, voyez les romans langoureux que se raconte une partie de la gauche européenne ! Je rappelle que le slogan du nouveau président est « Why America Lead Again ». Et Madame Clinton vient de proposer le réarmement général des Etats-Unis contre la Chine. Les démocrates sont aussi belliqueux que les républicains. Les Français n’ont rien à faire dans cette mauvaise action.
En France aussi, l’industrie de défense est importante…
Oui. Je répète d’une manière réaliste, pacifique et bienveillante notre but : la France doit être indépendante ! Pour cela, il faut que nous puissions être souverains, capables de nous défendre par nous-même et par conséquent de produire nous-même les armements nécessaires. Il faut retirer les logiciels américains des systèmes de défense français, de même que nous devons récupérer le contrôle des turbines pour les sous-marins nucléaires. Est-il normal de se fournir en fusils et en munitions en Allemagne et en Israël ? On a eu cette industrie, pourquoi ne l’aurions-nous plus ? A quoi bon ces programmes communs avec les Allemands pour fabriquer les avions (Scaf) ou les chars du futur ? Cela permet aux Allemands de se réarmer et de s’approprier des savoir-faire qu’ils n’ont pas. Pour quoi faire ? Quant aux ventes d’armes, elles devraient être soumises à l’autorisation du Parlement.
Rétabliriez-vous une forme de service militaire obligatoire ?
Oui, même si je ne suis pas certain que tous les insoumis soient d’accord avec moi. Je suis partisan de la conscription et je me suis opposé au fait qu’elle soit suspendue [par Jacques Chirac en 1996]. Il faut aller à l’essence de ce qu’elle est : l’impôt du temps au service de la patrie. Il n’y a pas aujourd’hui de besoin militaire qui nécessite la mobilisation permanente de 700 000 jeunes. On peut comprendre que le président Chirac ait pris cette décision. Elle avait sa rationalité, même si j’étais contre. Pour autant la défense populaire passive et armée reste une nécessité à mes yeux. Et nous faisons face désormais à d’autres menaces et dangers. Notamment venant du dérèglement climatique, comme nous le montrent les événements dramatiques de la vallée de la Roya. Jusqu’à présent on a réussi à faire face, mais avec une extrême difficulté. Si nous avions plusieurs événements de ce type en même temps, il y aurait besoin d’un effort collectif. On ne peut pas se payer la réparation de la France au prix du marché. Donc, on sera obligé de demander la contribution des jeunes Français.
On peut également imaginer que, dans les fonctions de police, c’est-à-dire de protection de la paix civile, les conscrits pourraient jouer un très beau rôle. Cela changerait le regard de la population sur sa police et changerait les pratiques internes de celle-ci. Le racisme et la violence y reculeraient. Quand les enfants du peuple sont quelque part tout change.
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