La loi macronienne sur la recherche fait l’unanimité contre elle.

lundi 23 novembre 2020.
 

Court termlisme de la rentabilité financière contre le temps long de la recherche.

La loi macronienne sur la recherche fait l’unanimité contre elle.

Le néolibéralisme continue ses ravages : après le droit du travail, la protection des libertés, la santé publique, les retraites, la Justice, l’enseignement, voici maintenant la recherche qui est de nouveau attaquée.

La loi sur la recherche fait l’unanimité contre elle

Source : Alternative économique Le 18/11/2000

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Adoptée mardi par l’Assemblée nationale, la loi de programmation de la recherche est massivement rejetée par les enseignants-chercheurs et leurs représentants.

Nombre d’enseignants-chercheurs ont bravé mardi la crise sanitaire pour manifester, un peu partout en France, leur opposition à la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), au moment où elle était soumise à l’approbation de l’Assemblée nationale. Peine perdue : le texte a été adopté par 188 voix contre 83.

L’objectif de ce texte avait pourtant de quoi faire consensus : permettre à la recherche française de rivaliser au niveau international avec les plus grandes universités. Une ambition qui pouvait séduire dans un secteur encore largement sous-doté par rapport aux autres pays de l’OCDE. Tandis qu’en France les dépenses de recherche et développement atteignaient difficilement 2,2 % du PIB, elles dépassent les 3 % dans des pays comme l’Allemagne, la Suède ou le Japon.

Selon la ministre de la Recherche Frédérique Vidal, 25 milliards d’euros vont être investis les dix prochaines années. Un montant très ambitieux, qui laisse toutefois sceptique la communauté de la recherche.

« La ministre a un discours très bien rodé, en expliquant que le gouvernement fait un effort budgétaire historique de rattrapage du sous-financement de la recherche. Cependant, il faut savoir que la loi de programmation ne contraint pas le législateur financier. Rien ne garantit que cette augmentation sera appliquée sous les gouvernements qui vont succéder à celui-ci, ou ne sera pas mise de côté dans un contexte de crise budgétaire », pointe Thibaud Mulier, maître de conférences en droit public à l’université de Nanterre.

Côté rémunération des enseignants-chercheurs, le projet de loi admet qu’elle est aujourd’hui « loin des standards internationaux ». Il prévoit qu’aucun chargé de recherche ou maître de conférences ne perçoive une rémunération inférieure à deux fois le SMIC. Mais là encore, le diable est dans les détails : « Ces revalorisations salariales sont inscrites dans le rapport annexé. Or, ce rapport est encore moins contraignant juridiquement que la loi de programmation elle-même ! », juge Thibaud Mulier.

Menaces sur l’indépendance des chercheurs

Si ces incertaines promesses ont essentiellement suscité le doute, d’autres points du projet, introduits en fin de procédure par des amendements, ont, eux, attisé la colère du monde de la recherche. La création d’un délit d’entrave, pour éviter le blocage d’universités par les étudiants, passible de trois ans de prison, a notamment provoqué un tollé. Mais c’est bien l’article 3 bis, qui court-circuite la procédure de qualification des enseignants-chercheurs, qui a cristallisé les tensions.

Car jusqu’à présent, tout candidat à un poste de maître de conférences ou professeur devait préalablement passer devant le Conseil national des universités (CNU), où la section de la discipline concernée (sciences de gestion, droit public, science politique, informatique, etc.) lui délivrait, si elle le jugeait apte après examen de son dossier, une qualification qui lui permettait ensuite de postuler dans les universités.

Le projet de loi acte la suppression de cette qualification pour accéder au grade de professeur des universités, et propose de l’expérimenter pour les maîtres de conférences. L’évaluation et le filtre nationaux s’effacent donc, au profit d’une plus grande liberté des établissements dans le recrutement de leur personnel enseignant. « Chaque section du CNU fixe une ligne directrice et choisit ce qu’elle souhaite valoriser pour obtenir la qualification. Elle produit une liste d’aptitudes qui fait sens au niveau d’une discipline », explique Aude Deville, présidente de la section « sciences de gestion » au CNU et professeur des universités à l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de Nice.

Pour les défenseurs de la qualification, le risque est de devoir être dans les petits papiers de l’université pour avoir une chance d’avoir une place. « La qualification était aussi importante pour éviter le localisme, autrement dit les recrutements de candidats ayant fait leur thèse dans l’établissement », rappelle Thibaud Mulier.

Une mesure qui semble taillée pour répondre aux desiderata de la Conférence des présidents d’université (CPU) qui, dans ses Propositions pour la LPPR, avait incité le gouvernement à « donner aux universités la maîtrise de leurs recrutements, en modernisant les procédures et en supprimant le préalable de la qualification ».

Feu sur la méthode Vidal

Mais au-delà de la mesure, c’est bien la manière qui interloque la communauté des enseignants-chercheurs.

« La méthode de la ministre, qui a eu recours à des amendements surgissant au dernier moment, est incroyable ! Ajoutez à cela le vote en procédure d’urgence en pleine crise sanitaire... C’est très retors comme façon de faire. D’autant que l’an dernier, quand nous avons eu connaissance du projet de loi, Madame Vidal nous avait assuré que le sujet de la qualification ne serait abordé qu’après la LPPR », se souvient Philippe Aubry, secrétaire général au SNESUP-FSU. « On a l’impression qu’il y a une volonté d’étouffer la voix des universitaires. »

Depuis la rentrée, il est vrai, les enseignants-chercheurs étaient surtout occupés à basculer du présentiel au semi-distanciel puis au distanciel complet pour continuer d’assurer des cours. C’est seulement maintenant qu’une véritable mobilisation commence, avec le lancement vendredi 13 novembre du mouvement « Ecrans noirs », incitant les enseignants à arrêter temporairement l’enseignement à distance.

Ces mesures introduites à la sauvette ne sont en effet que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. L’augmentation des moyens accordés à l’Agence nationale de la recherche (ANR), et par conséquent la poursuite et l’intensification du fléchage des financements par appels à projets (plutôt que par des crédits récurrents), avait inquiété. Les chercheurs se plaignent depuis longtemps de perdre une grande partie de leur temps à courir derrière les financements, en montant des dossiers de candidature sans beaucoup de réussite.

« Dès après-guerre, des laboratoires ont été créés où les chercheurs étaient accompagnés par des personnes de support et du personnel administratif – c’était une force du modèle français. Or, depuis vingt ans, avec la réduction des budgets, ces postes sont supprimés, obligeant les chercheurs à passer plus de la moitié de leur temps à faire autre chose que de la recherche », déplore Antoine Balzeau, directeur de recherche au CNRS.

Une précarité accrue

Alors que les enseignants-chercheurs réclament des ouvertures de poste pérennes, la LPPR fait surtout craindre une plus grande précarisation de la profession. Avec notamment la création de « contrats à durée indéterminée de mission scientifique » censés permettre « d’allonger les contrats actuels, souvent très courts, pour les faire coïncider avec la durée des projets pour lesquels ils sont recrutés et qui ont vocation à s’inscrire dans le temps parfois long de la recherche ».

Philippe Aubry n’est pas convaincu : « Il s’agit d’une dérogation au contrat de projet créé dans la fonction publique en 2019 qui ne peut pas durer plus de six ans. La ministre explique que cela va stabiliser les personnes qui bénéficieront de ce type de contrat. Le problème, c’est qu’elles seront dépendantes d’un projet qui pourrait s’arrêter à tout moment, au bout de deux ou trois ans pour diverses raisons. »

En parallèle, la création de chaires de professeur junior (appelées « tenure track » dans le monde anglo-saxon) fait aussi beaucoup parler d’elle. Ces contrats donnent accès à une potentielle titularisation directe dans le corps des professeurs des universités ou des directeurs de recherche à l’issue d’une période de trois à six ans au cours de laquelle l’impétrant sera mis à l’épreuve. Au-delà du fait que cela revient à passer outre les concours de la fonction publique, les syndicats craignent que cela ne crée une course à la performance, avec la mise en place d’objectifs inatteignables pendant la période d’essai, venant remettre en cause la titularisation promise.

« Je ne me sens pas concernée par cette mesure. C’est une sorte de CDD d’élite qui va être destiné à une minorité, à la "crème de la crème". En faisant mon doctorat à Lyon-2, je ne suis pas dans la course », estime Manon*, doctorante. Ces chaires seront de toute façon peu nombreuses : au terme de la programmation, 300 devraient être ouvertes chaque année.

« Après une thèse, il faut en moyenne cinq ans pour trouver un poste. Entre les deux, il faut vivoter, donner des vacations, enchaîner les contrats post-doctoraux, etc. » – Manon, doctorante  Twitter

Malgré tout, la mesure a de quoi décourager encore un peu plus de jeunes enseignants-chercheurs face à un système qui, déjà, ne leur promet une titularisation qu’après de longues années de galère. « Après une thèse, il faut en moyenne cinq ans pour trouver un poste. Entre les deux, il faut vivoter, donner des vacations, enchaîner les contrats post-doctoraux, etc. », décrit Manon. Aujourd’hui, nombre d’entre eux renoncent.

Les jeunes femmes pourraient être d’ailleurs les plus affectées par un tel système, estime Sandrine Rousseau, vice-présidente de l’université de Lille et économiste : « Pour être recruté en tenure track, il faut prouver un certain potentiel. Or, les recherchent le montrent bien : il existe une présomption de compétences, notamment chez les jeunes hommes, que l’on ne retrouve pas chez les jeunes femmes. » Ces contrats, destinés à attirer surtout les « grands noms » de la recherche internationale, pourraient ainsi favoriser davantage les premiers.

Un fossé de génération ?

De façon plus générale, la LPPR agrandit la faille qui s’est créée depuis plusieurs années entre les titulaires déjà en poste, les stars de la recherche, et la foule des jeunes docteurs en précarité prolongée malgré plus de huit ans d’étude. « Les craintes pour l’avenir du CNU sont légitimes, mais je suis sidérée que mes collègues titulaires ne commencent à se mobiliser que maintenant, pour défendre leur intérêt de corps et de discipline », regrette Manon.

« C’est quelque chose que l’on observe lorsqu’on est doctorant ou jeune docteur : généralement, les titulaires ne se sentent pas concernés, confirme Loïc*, en contrat post-doctoral. A la fin de l’année dernière, j’ai voulu faire un peu de communication autour du projet auprès des membres de mon laboratoire. Peu de personnes sont venues et celles qui étaient présentes m’ont dit : "On va voir ce que ça va donner." Maintenant qu’on leur dit que l’on va toucher à leur discipline, ils gueulent beaucoup plus. »

Sans doute peut-on avancer que ces titulaires, dont certains étaient tout de même présents dès le départ de la mobilisation, se sont sentis d’avance découragés après des années de protestation sans résultats face aux réformes successives qui, depuis au moins la loi Pécresse de 2007, ont chamboulé le paysage de l’enseignement supérieur…

Ultime recours

La loi est désormais entre les mains des sénateurs, dont le vote est acquis de fait. C’est déjà vers le Conseil constitutionnel que les enseignants-chercheurs tournent leurs derniers efforts.

« On peut appuyer une saisine sur plusieurs aspects. Il y a déjà la programmation budgétaire qui n’est pas sincère. Il y a aussi celle de l’indépendance des enseignants qui va être soulevée. La dispense de la qualification CNU et les contrats créés par les universités peuvent être lus comme une entrave à l’indépendance des professeurs, qui seront davantage soumis au jugement de l’administration. La question du principe d’égalité sera enfin posée : en multipliant les types de contrats possibles, de droit privé, de droit public, temporaires, nous assistons à une remise en question de l’unité du corps des enseignants-chercheurs », détaille Raphaël Maurel, maître de conférences en droit public à l’université de Bourgogne.

De derniers espoirs sont permis. Mais ils sont bien minces.

* Les prénoms ont été changés.

Fin de l’article.

HD


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