La jeunesse nigériane se mobilise contre les violences policières

vendredi 6 novembre 2020.
 

Par Justine Daniel

Depuis une dizaine de jours, des milliers de manifestants protestent contre les violences des forces de l’ordre. Les rassemblements, d’une ampleur inédite, ont fait au moins quinze morts depuis le début du mouvement, a rapporté Amnesty International lundi.

La jeunesse nigériane se mobilise contre les violences policières Leur colère ne faiblit pas. Depuis une dizaine de jours, la jeunesse nigériane manifeste dans les principales villes du pays contre les brutalités policières subies quotidiennement par la population et les meurtres extrajudiciaires perpétrés en toute impunité. Lundi encore, des milliers de manifestants bloquaient les principaux axes routiers de Lagos, paralysant l’imposant centre économique de 20 millions d’habitants. Des milliers de personnes ont également manifesté dans les grandes villes du Sud, dans un climat de plus en plus tendu.

« L’armée et la police sont partout »

Selon les observateurs d’Amnesty International, au moins quinze personnes dont deux policiers ont été tuées depuis le début du mouvement. « Mais il est possible que ce chiffre soit plus important, explique l’avocate Osai Ojigho, directrice d’Amnesty International au Nigeria. Leur décès est le résultat d’une utilisation abusive de la force par la police. »

« L’armée et la police sont partout, sans doute veulent-ils empêcher les manifestations pacifiques », témoigne un manifestant de 24 ans interrogé par l’AFP. L’armée s’est déployée lundi à Abuja expliquant qu’il s’agissait d’un exercice annuel, une présence perçue par les manifestants comme une forme de menace pour décourager le mouvement, étant donné le choix du timing. Selon le Daily Post, un quotidien nigérian, des soldats participant à cet exercice ont été filmés en train de s’en prendre à des manifestants, lundi.

Lundi matin, des centaines de manifestants descendus dans les rues de Benin City, la capitale de l’Etat d’Edo, ont également été confrontés à des groupes d’hommes armés de bâtons ou d’armes de poing qui se sont attaqués aux manifestants. De son côté, Amnesty International Nigeria a rapporté des attaques similaires contre les manifestants à Abuja, avant que la police n’utilise des gaz lacrymogènes : « Des douzaines d’entre eux ont été blessés. » Osai Ojigho reste prudente : impossible pour l’instant de confirmer quels intérêts défendent ces groupes violents. « Le gouvernement devrait comprendre que son rôle est de protéger les manifestants pacifistes, d’assurer la sécurité de tout le monde », note-t-elle toutefois. La police nigériane accuse de son côté, sur Twitter, des manifestants d’avoir attaqué des bâtiments de la police à Benin City.

« Une vieille histoire »

Le mouvement, inédit dans le pays par son ampleur et sa durée, a débuté au début du mois d’octobre lorsqu’une vidéo montrant un homme se faire sauvagement tuer à Ughelli, dans l’Etat du Delta, par plusieurs policiers de la Sars (Special Anti-Robbery Squad), est devenue virale sur les réseaux sociaux avec le #EndSARS. Cette brigade spéciale chargée de lutter contre les vols est accusée par la population d’extorsion de la population, de corruption, d’arrestation illégale, de torture et de meurtres.

Moins d’une semaine de protestations a suffi aux manifestants pour obtenir la dissolution de la brigade, annoncée lundi 12 octobre par le président, Muhammadu Buhari, dans une vidéo publiée sur Twitter. Mais les Nigérians, habitués à des promesses de réformes de l’institution policière laissées sans suite, continuent à nourrir les protestations sur les réseaux sociaux avec leurs témoignages, et dans la rue. Cette fois-ci encore, l’annonce présidentielle s’accompagne de la création une nouvelle brigade qui devait débuter les entraînements lundi, pour remplacer le Sars. De quoi alimenter le scepticisme des populations mobilisées. « Le mouvement est inédit par son ampleur mais aussi par le fait qu’il vise les violences policières. Un début de mouvement avait été réprimé en 2017 », rappelle Laurent Fourchard, directeur de recherche au Centre de recherches internationales de Sciences-Po.

Les revendications s’étendent désormais à toute l’institution policière, voire plus largement à des revendications sociales. « Sars n’est pas la seule unité policière aux pratiques qui pratique la torture, l’extorsion, etc. Les brutalités policières et les meurtres extrajudiciaires, c’est une vieille histoire au Nigeria. C’est enraciné dans les pratiques policières, notamment le cas sur les contrôles routiers où les policiers rackettent quotidiennement les transporteurs, les commerciaux, explique Laurent Fourchard. Il y a aussi les exécutions extrajudiciaires, qui arrivent souvent quand une personne est récalcitrante à donner de l’argent à un check-point. » En avril, la Commission nationale de surveillance des droits de l’homme avait recensé 18 personnes tuées par des forces de police, pour non-respect des mesures de confinement. Plus que le nombre officiel de personnes mortes à cause du virus.


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