La fonction d’intellectuel dans la société (Antonio Gramsci)

vendredi 22 mars 2019.
 

Les intellectuels constituent-ils un groupe social autonome et indépendant, ou bien chaque groupe social a-t-il sa propre catégorie spécialisée d’intellectuels ? Le problème est complexe, étant donné les formes diverses qu’a prises jusqu’ici le processus historique réel de la formation des différentes catégories d’intellectuels.

Les plus importantes de ces formes sont au nombre de deux :

1. Chaque groupe social, naissant sur le terrain originel d’une fonction essentielle dans le monde de la production économique, crée en même temps que lui, organiquement, une ou plusieurs couches d’intellectuels qui lui donnent son homogénéité et la conscience de sa propre fonction, non seulement dans le domaine économique, mais aussi dans le domaine politique et social : le chef d’entreprise capitaliste crée avec lui le technicien de l’industrie, le savant de l’économie politique, l’organisateur d’une nouvelle culture, d’un nouveau droit, etc., etc. Il faut remarquer que le chef d’entreprise représente une élaboration sociale supérieure, déjà caractérisée par une certaine capacité de direction et de technique(c’est-à-dire une capacité intellectuelle) : il doit avoir une certaine capacité technique, en dehors de la sphère bien délimitée de son activité et de son initiative, au moins dans les autres domaines les plus proches de la production économique (il doit être un organisateur de masses d’hommes ; il doit organiser la "confiance" que les épargnants ont dans son entreprise, les acheteurs dans sa marchandise, etc).

Sinon tous les chefs d’entreprise, du moins une élite d’entre eux doivent être capables d’être des organisateurs de la société en général, dans l’ensemble de l’organisme complexe de ses services, jusqu’à l’organisme d’Etat, car il leur est nécessaire de créer les conditions les plus favorables à l’expansion de leur propre classe - ou bien ils doivent du moins posséder la capacité de choisir leurs "commis" (employés spécialisés) auxquels ils pourront confier cette activité organisatrice des rapports généraux de l’entreprise avec l’extérieur. On peut observer que les intellectuels « organiques « que chaque nouvelle classe crée avec elle et qu’elle élabore au cours de son développement progressif, sont la plupart du temps des "spécialisations" de certains aspects partiels de l’activité primitive du nouveau type social auquel la nouvelle classe a donné naissance [1].

Les seigneurs de l’époque féodale eux aussi étaient les détenteurs d’une certaine capacité technique, dans le domaine militaire, et c’est justement à partir du moment où l’aristocratie perd le monopole de la compétence technico-militaire, que commence la crise du féodalisme. Mais la formation des intellectuels dans le monde féodal et dans le monde classique précédent est un problème qu’il faut examiner à part : cette formation, cette élaboration suivent des voies et prennent des formes qu’il faut étudier de façon concrète. Ainsi l’on peut remarquer que la masse des paysans, bien qu’elle exerce une fonction essentielle dans le monde de la production, ne crée pas des intellectuels qui lui soient propres, "organiques", et n’"assimile" aucune couche d’intellectuels "traditionnels", bien que d’autres groupes sociaux tirent un grand nombre de leurs intellectuels de la masse paysanne, et qu’une grande partie des intellectuels traditionnels soient d’origine paysanne.

2. Mais chaque groupe social "essentiel" au moment où il émerge à la surface de l’histoire, venant de la précédente structure économique dont il exprime un de ses développements, a trouvé, du moins dans l’histoire telle qu’elle s’est déroulée jusqu’à ce jour, des catégories d’intellectuels qui existaient avant lui et qui, de plus, apparaissaient comme les représentants d’une continuité historique que n’avaient même pas interrompue les changements les plus compliqués et les plus radicaux des formes sociales et politiques.

La plus typique de ces catégories intellectuelles est celle des ecclésiastiques, qui monopolisèrent pendant longtemps (tout au long d’une phase historique qui est même caractérisée en partie par ce monopole) certains services importants : l’idéologie religieuse, c’est-à-dire la philosophie et la science de l’époque, avec l’école, l’instruction, la morale, la justice, la bienfaisance, l’assistance, etc. La catégorie des ecclésiastiques peut être considérée comme la catégorie intellectuelle organiquement liée à l’aristocratie foncière : elle était assimilée juridiquement à l’aristocratie, avec laquelle elle partageait l’exercice de la propriété féodale de la terre et l’usage des privilèges d’Etat liés à la propriété [2]. Mais ce monopole des superstructures de la part des ecclésiastiques [3] n’a pas été exercé sans luttes et sans restrictions, aussi a-t-on vu naître, sous diverses formes (à rechercher et étudier de façon concrète d’autres catégories, favorisées et développées par le renforcement du pouvoir central du monarque, jusqu’à l’absolutisme. Ainsi s’est formée peu à peu l’aristocratie de robe, avec ses privilèges particuliers, une couche d’administrateurs, etc., savants, théoriciens, philosophes non ecclésiastiques, etc.

Comme ces diverses catégories d’intellectuels traditionnels éprouvent, avec un « esprit de corps « le sentiment de leur continuité historique ininterrompue et de leur qualification, ils se situent eux-mêmes comme autonomes et indépendants du groupe social dominant. Cette auto-position n’est pas sans conséquences de grande portée dans le domaine idéologique et politique : toute la philosophie idéaliste peut se rattacher facilement à cette position prise par le complexe social des intellectuels et l’on peut définir l’expression de cette utopie sociale qui fait que les intellectuels se croient « indépendants « autonomes, dotés de caractères qui leur sont propres, etc.

Il faut noter cependant que si le Pape et la haute hiérarchie de l’Eglise se croient davantage liés au Christ et aux apôtres que ne le sont les sénateurs Agnelli et Benni, il n’en est pas de même pour Gentile et pour Croce ; par exemple : Croce particulièrement, se sent fortement lié à Aristote et à Platon, mais il ne se cache pas, par contre, d’être lié aux sénateurs Agnelli et Benni, et c’est précisément là qu’il faut chercher le caractère le plus important de la philosophie de Croce.

Quelles sont les limites "maxima" pour l’acception du terme d’ "intellectuel" ? Peut-on trouver un critère unitaire pour caractériser également toutes les activités intellectuelles, diverses et disparates, et en même temps pour distinguer celles-ci, et de façon essentielle, des autres groupements sociaux ? L’erreur de méthode la plus répandue me paraît être à avoir recherché ce critère de distinction dans ce qui est intrinsèque aux activités intellectuelles et non pas dans l’ensemble du système ! de rapports dans lequel ces activités (et par conséquent les groupes qui les personnifient) viennent à se trouver au sein du complexe général des rapports sociaux. En réalité l’ouvrier ou le prolétaire, par exemple, n’est pas spécifiquement caractérisé par son travail manuel ou à caractère instrumental mais par ce travail effectué dans des conditions déterminées et dans des rapports sociaux déterminés (sans compter qu’il n’existe pas de travail purement physique, et que l’expression elle-même de Taylor de "gorille apprivoisé" est une métaphore pour indiquer une limite dans une certaine direction : dans n’importe quel travail physique, même le plus mécanique et le plus dégradé, il existe un minimum de qualification technique, c’est-à-dire un minimum d’activité intellectuelle créatrice). Et l’on a déjà observé que le chef d’entreprise, de par sa fonction elle-même, doit posséder, en une certaine mesure, un certain nombre de qualifications de caractère intellectuel, bien que son personnage social ne soit pas déterminé par elles, mais par les rapports sociaux généraux qui caractérisent précisément la position du patron dans l’industrie.

C’est pourquoi l’on pourrait dire que tous les hommes sont des intellectuels ; mais tous les hommes n’exercent pas dans la société la fonction d’intellectuel [4].

Lorsque l’on distingue intellectuels et non-intellectuels, on ne se réfère en réalité qu’à la fonction sociale immédiate de la catégorie professionnelle des intellectuels, c’est-à-dire que l’on tient compte de la direction dans laquelle s’exerce le poids le plus fort de l’activité professionnelle spécifique : dans l’élaboration intellectuelle ou dans l’effort musculaire et nerveux. Cela signifie que, si l’on peut parler d’intellectuels, on ne peut pas parler de non-intellectuels, car les non-intellectuels n’existent pas. Mais le rapport lui-même entre l’effort d’élaboration intellectuel-cérébral et l’effort musculaire nerveux n’est pas toujours égal, aussi a-t-on divers degrés de l’activité intellectuelle spécifique. Il n’existe pas d’activité humaine dont on puisse exclure toute intervention intellectuelle, on ne peut séparer l’homo faber de l’homo sapiens. Chaque homme, enfin, en dehors de sa profession, exerce une quelconque activité intellectuelle, il est un "philosophe", un artiste, un homme de goût, il participe à une conception du monde, il a une ligne de conduite morale consciente, donc il contribue à soutenir ou à modifier une conception du monde, c’est-à-dire à faire naître de nouveaux modes de penser.

Le problème de la création d’une nouvelle couche d’intellectuels consiste donc à développer de façon critique l’activité intellectuelle qui existe chez chacun à un certain degré de développement, en modifiant son rapport avec l’effort musculaire-nerveux en vue d’un nouvel équilibre, et en obtenant que l’effort musculaire nerveux lui-même, en tant qu’élément d’une activité pratique générale qui renouvelle perpétuellement le monde physique et social, devienne le fondement d’une nouvelle et totale conception du monde. Le type traditionnel, le type de l’intellectuel est fourni par l’homme de lettres, le philosophe, l’artiste. Aussi les journalistes, qui se considèrent comme des hommes de lettres, des philosophes, des artistes, pensent aussi qu’ils sont les "vrais" intellectuels. Dans le monde moderne, l’éducation technique, étroitement liée au travail industriel même le plus primitif et le plus déprécié, doit former la base du nouveau type d’intellectuel.

C’est sur cette base qu’a travaillé L’Ordine nuovo hebdomadaire pour développer certaines formes du nouvel intellectualisme et pour établir les nouvelles façons de le concevoir, et ce n’a pas été une des moindres raisons de son succès, parce qu’une telle façon de poser le problème correspondait à des aspirations latentes et était conforme au développement des formes réelles de la vie. La façon d’être du nouvel intellectuel ne peut plus consister dans l’éloquence, agent moteur extérieur et momentané des sentiments et des passions, mais dans le fait qu’il se mêle activement à la vie pratique, comme constructeur, organisateur, "persuadeur permanent" parce qu’il n’est plus un simple orateur - et qu’il est toutefois supérieur à l’esprit mathématique abstrait ; de la technique-travail il parvient à la technique-science et à la conception humaniste historique, sans laquelle on reste un "spécialiste" et l’on ne devient pas un "dirigeant" (spécialiste politique).

Ainsi se forment historiquement des catégories spécialisées par l’exercice de la fonction intellectuelle, elles se forment en connexion avec tous les groupes sociaux, mais spécialement avec les groupes sociaux les plus importants et subissent une élaboration plus étendue et plus complexe en étroit rapport avec le groupe social dominant. Un des traits caractéristiques les plus importants de chaque groupe qui cherche à atteindre le pouvoir est la lutte qu’il mène pour assimiler et conquérir "idéologiquement" les intellectuels traditionnels, assimilation et conquête qui sont d’autant plus rapides et efficaces que ce groupe donné élabore davantage, en même temps, ses intellectuels organiques.

L’énorme développement qu’ont pris l’activité et l’organisation scolaires (au sens large) dans les sociétés surgies du monde médiéval, montre quelle importance ont prise, dans le monde moderne, les catégories et les fonctions intellectuelles : de même que l’on a cherché a approfondir et à élargir l’"intellectualité" de chaque individu, on a aussi cherché à multiplier les spécialisations et à les affiner. Cela apparaît dans les organismes scolaires de divers degrés, jusqu’à ceux qui sont destinés à promouvoir ce qu’on appelle la "haute culture", dans tous les domaines de la science et de la technique.

L’école est l’instrument qui sert à former les intellectuels à différents degrés. La complexité de la fonction intellectuelle dans les divers Etats peut se mesurer objectivement à la quantité d’écoles spécialisées qu’ils possèdent, et à leur hiérarchisation : plus l’ « aire « scolaire est étendue, plus les « degrés « « verticaux « de l’école sont nombreux, et plus le monde culturel, la civilisation des divers Etats est complexe. On peut trouver un terme de comparaison dans la sphère de la technique industrielle : l’industrialisation d’un pays se mesure à son équipement dans le domaine de la construction des machines qui servent elles-mêmes à construire d’autres machines, et dans celui de la fabrication d’instruments toujours plus précis pour construire des machines et des instruments pour construire ces machines, etc. Le pays qui est le mieux équipé pour fabriquer des instruments pour les laboratoires des savants, et des instruments pour vérifier ces instruments, peut être considéré comme ayant l’organisation la plus complexe dans le domaine technico-industriel, comme étant le plus civilisé, etc. Il en est de même dans la préparation des intellectuels et dans les écoles consacrées à cette préparation ; on peut assimiler les écoles à des instituts de haute culture. Même dans ce domaine, on ne peut isoler la quantité de la qualité. A la spécialisation technico-culturelle la plus raffinée ne peut pas ne pas correspondre la plus grande extension possible de l’instruction primaire et la plus grande sollicitude pour ouvrir les degrés intermédiaires au plus grand nombre. Naturellement cette nécessité de créer la plus large base possible pour sélectionner et former les plus hautes qualifications intellectuelles - c’est-à-dire pour donner à la culture et à la technique supérieure une structure démocratique - n’est pas sans inconvénients : on crée ainsi la possibilité de vastes crises de chômage dans les couches intellectuelles moyennes, comme cela se produit en fait dans toutes les sociétés modernes.

Il faut remarquer que, dans la réalité concrète, la formation de couches intellectuelles ne se produit pas sur un terrain démocratique abstrait, mais selon des processus historiques traditionnels très concrets. Il s’est formé des couches sociales qui, traditionnellement, "produisent" des intellectuels et ce sont ces mêmes couches qui d’habitude se sont spécialisées dans "l’épargne" , c’est-à-dire la petite et moyenne bourgeoisie terrienne et certaines couches de la petite et moyenne bourgeoisie des villes. La distribution différente des divers types d’écoles (classiques et professionnelles) sur le territoire "économique" , et les aspirations différentes des diverses catégories de ces couches sociales déterminent la production des diverses branches de spécialisation intellectuelle, ou leur donnent leur forme. Ainsi en Italie la bourgeoisie rurale produit surtout des fonctionnaires d’Etat et des gens de professions libérales, tandis que la bourgeoisie citadine produit des techniciens pour l’industrie : c’est pourquoi l’Italie septentrionale produit surtout des techniciens alors que l’Italie méridionale alimente plus spécialement les corps des fonctionnaires et des professions libérales.

Le rapport entre les intellectuels et le monde de la production n’est pas immédiat, comme cela se produit pour les groupes sociaux fondamentaux, mais il est "médiat", à des degrés divers, par l’intermédiaire de toute la trame sociale, du complexe des superstructures, dont précisément les intellectuels sont les "fonctionnaires" . On pourrait mesurer le caractère "organique" des diverses couches d’intellectuels, leur liaison plus ou moins étroite avec un groupe social fondamental en établissant une échelle des fonctions et des superstructures de bas en haut (à partir de la base structurelle). On peut, pour le moment, établir deux grands "étages" dans les superstructures, celui que l’on peut appeler l’étage de la "société civile", c’est-à-dire de l’ensemble des organismes vulgairement dits "privés" , et celui de la "société politique" ou de l’Etat ; ils correspondent à la fonction d’"hégémoni" que le groupe dominant exerce sur toute la société, et à la fonction de "domination directe" ou de commandement qui s’exprime dans l’Etat et dans le gouvernement "juridique". Ce sont là précisément des fonctions d’organisation et de connexion. Les intellectuels sont les "commis" du groupe dominant pour l’exercice des fonctions subalternes de l’hégémonie sociale et du gouvernement politique, c’est-à-dire :

1. de l’accord "spontané" donné par les grandes masses de la population à l’orientation imprimée à la vie sociale par le groupe fondamental dominant, accord qui naît "historiquement" du prestige qu’a le groupe dominant (et de la confiance qu’il inspire) du fait de sa fonction dans le monde de la production ;

2. de l’appareil de coercition d’Etat qui assure" légalement" la discipline des groupes qui refusent leur "accord" tant actif que passif ; mais cet appareil est constitué pour l’ensemble de la société en prévision des moments de crise dans le commandement et dans la direction, lorsque l’accord spontané vient à faire défaut.

Cette façon de poser le problème a pour résultat une très grande extension du concept d’intellectuel, mais c’est la seule grande façon d’arriver à une approximation concrète de la réalité. Cette façon de poser le problème se heurte à des idées préconçues de caste : il est vrai que la fonction organisatrice de l’hégémonie sociale et de la domination d’Etat donne lieu à une certaine division du travail et par conséquent à toute une échelle de qualifications dont certaines ne remplissent plus aucun rôle de direction et d’organisation : dans l’appareil de direction sociale et gouvernementale il existe toute une série d’emplois de caractère manuel et instrumental (fonction de pure exécution et non d’initiative, d’agents et non d’officiers ou de fonctionnaires). Mais il faut évidemment faire cette distinction, comme il faudra en faire d’autres. En effet, même du point de vue intrinsèque, il faut distinguer dans l’activité intellectuelle différents degrés qui, à certains moments d’opposition extrême, donnent une véritable différence qualitative : à l’échelon le plus élevé il faudra placer les créateurs des diverses sciences, de la philosophie, de l’art, etc. ; au plus bas, les plus humbles "administrateurs" et divulgateurs de la richesse intellectuelle déjà existante, traditionnelle, accumulée [5].

Dans le monde moderne, la catégorie des intellectuels, ainsi entendue, s’est développée d’une façon prodigieuse. Le système social démocratique bureaucratique a créé des masses imposantes, pas toutes justifiées par les nécessités sociales de la production, même si elles sont justifiées par les nécessités politiques du groupe fondamental, dominant. D’où la conception de Loria du "travailleur" improductif (mais improductif par référence à qui et à quel mode de production ?) qui pourrait se justifier si l’on tient compte que ces masses exploitent leur situation pour se faire attribuer des portions énormes du revenu national. La formation de masse a standardisé les individus, tant dans leur qualification individuelle que dans leur psychologie, en déterminant l’apparition des mêmes phénomènes que dans toutes les masses standardisées : concurrence qui crée la nécessité d’organisations professionnelles de défense, chômage, surproduction de diplômés, émigration, etc..

[1930-1932]


Notes :

[1] Il faut examiner dans cette rubrique le livre : Elementi di scienza politica de Mosca (nouvelle édition augmentée de 1923). Ce que Mosca appelle la "classe politique" n’est autre que la catégorie intellectuelle du groupe social dominant : le concept de "classe politique" de Mosca est à rapprocher du concept d’élite chez Pareto, qui est une autre tentative pour interpréter le phénomène historique des intellectuels et leur fonction dans la vie de l’Etat et de la société. Le livre de Mosca est un énorme fatras à caractère sociologique et positiviste, avec, en plus, un esprit tendancieux de politique immédiate qui le rend moins indigeste et plus vivant du point de vue littéraire.

[2] Pour une catégorie de ces intellectuels, la plus importante peut-être après celle des "ecclésiastiques" par le prestige qu’elle a eu et la fonction sociale qu’elle a remplie dans les sociétés primitives - la catégorie des médecins, au sens large du terme, c’est-à-dire de tous ceux qui "luttent" ou paraissent lutter contre la mort et les maladies - il faudra voir la Storia della medicina [Histoire de la médecine] de Arturo Castiglioni. Rappeler qu’il y a eu connexion entre religion et médecine, et qu’elle continue à exister dans certaines zones : hôpitaux entre les mains de religieux pour certaines fonctions d’organisation, sans compter le fait que là ou le médecin apparaît, le prêtre aussi se montre (exorcismes, assistance sous des formes variées, etc.). Nombreux furent les grands personnages religieux qui ont été aussi représentés comme de grands "thérapeutes" ! : l’idée du miracle, jusqu’à la résurrection des morts. Pour les rois également, dura longtemps la croyance qu’ils pouvaient guérir par l’imposition des mains, etc.

[3] De là est venu le sens général d’"intellectuel", ou de "spécialiste" qu’à pris le mot "clerc" dans de nombreuses langues d’origine néo-latine, ou fortement influencées, à travers le latin d’église, par les langues néo-latines, avec son corrélatif : "laïque" au sens de profane, denon-spécialiste.

[4] De même il peut arriver à un certain moment à tout le monde de faire frire deux œufs ou de repriser un accroc à sa veste sans qu’on puisse dire pour autant que tout le monde est cuisinier ou tailleur.

[5] Dans ce cas aussi l’organisation militaire offre un modèle de cette gradation complexe : officiers subalternes, officiers supérieurs, état-major, sans oublier les différents grades de la troupe, dont l’importance réelle est plus grande qu’on ne pense d’ordinaire. Il est intéressant de remarquer que tous ces éléments se sentent solidaires, et même que les couches inférieures montrent un esprit de corps plus visible, et en tirent un "orgueil" qui les expose souvent à l’ironie et à la moquerie.


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