USA : une campagne présidentielle désespérante

mardi 20 octobre 2020.
 

Semaine après semaine, la campagne présidentielle américaine paraît de plus en plus chaotique. L’affrontement entre Donald Trump et Joe Biden tourne à la saga. Le 18 septembre disparaissait Ruth Bader Ginsburg, juge à la Cour suprême, donnant ainsi au président l’opportunité inespérée de nommer avant l’élection, le troisième juge de son mandat. Quelques jours plus tard le New York Times publiait des révélations sur les déclarations d’impôts de Trump. Si le président s’est empressé de qualifier ces informations de « Fake News », elles ont néanmoins mis à mal son image. Le 30 septembre, s’est déroulé le premier des trois débats prévus entre les deux candidats. Unanimement qualifié d’inaudible, cette rencontre n’a pas permis de clarifier les enjeux du scrutin, puisqu’elle s’est résumée à un échange décousu d’invectives et d’attaques personnelles. Enfin, ce vendredi 2 octobre, le président a annoncé avoir été testé positif au coronavirus – une maladie dont il a passé des mois à minimiser l’importance, alors qu’elle a emporté plus de 200 000 Américains.

Sur quoi l’élection va-t-elle alors se jouer ? Le renouvellement très conservateur de la Cour suprême, qui fait peser des menaces sur certains droits politiques et sociaux, notamment l’avortement ? L’opacité des déclarations fiscales du président ? Ou encore l’état de santé de celui-ci ? La réponse change de jour en jour, aucun enjeu clair ne se dégage.

La confusion est accentuée par l’incertitude qui pèse sur le processus électoral lui-même. Dans le contexte de la pandémie de Covid19, la plupart des États ont facilité le vote par correspondance (le recours à celui-ci pourrait être deux fois plus important qu’en 2016 selon les estimations). Or Trump ne cesse de répéter sans aucune preuve que cette manière de voter, traditionnellement plus utilisée par les électeurs démocrates, était synonyme de fraude massive. Sur Twitter comme dans ses meetings, il a martelé le message : les démocrates ne peuvent gagner qu’en trichant, et si sa défaite est annoncée, c’est que l’élection lui aura été « volée ».

Refusant de s’engager à un transfert pacifique du pouvoir en cas de défaite, Trump a même appelé à la constitution de milices armées pour surveiller les opérations de vote et de dépouillement. Il a prévenu qu’il mobiliserait une armée d’avocats afin de contester les résultats aux quatre coins du pays. Et s’il s’est empressé de pourvoir le siège vacant à la Cour suprême, c’est (entre autres) pour aborder en position de force les contentieux électoraux à venir. De leur côté, les démocrates émettent eux aussi des doutes sur la fiabilité du scrutin, pointant le risque d’une éventuelle ingérence russe dans l’élection. Il est donc très peu probable que l’on puisse annoncer un résultat fiable au soir du 3 novembre, et il faut d’ores et déjà se préparer à un « mois » plutôt qu’à une « soirée » électorale. Dans le climat de guerre civile que le président s’attache à entretenir la séquence de l’élection pourrait traîner en longueur, et nul ne sait dans quel état en sortira la démocratie américaine.

Au milieu de cette très grande confusion, les enjeux sociaux de l’élection et les programmes concrets des candidats semblent relégués au second plan. D’un côté comme de l’autre, on peine à identifier une seule mesure phare sur laquelle les partis feraient campagne. Chez les démocrates, le message est principalement : « tout sauf Trump ». Remplacer un fou dangereux, autoritaire et raciste par un couple de managers rassurants, responsables et tolérants : tel semble être le programme de Joe Biden et de sa co-listière Kamala Harris. Les mots d’ordre, lancés durant la campagne des primaires, ou pendant les mouvements sociaux de cette année 2020 ne manquaient pourtant pas. Mais Joe Biden ne s’engage pas pour l’assurance santé universelle, ni pour la gratuité de l’enseignement supérieur (deux des mesures proposées par Bernie Sanders lors des primaires). Il ne parle pas non plus du « Green New Deal » défendu par la gauche du parti démocrate, pas plus qu’il ne répond aux revendications des manifestants antiracistes qui appelaient de ces derniers mois à réduire les financements de la police au profit des services publics. À peine trouve-t-on dans le programme du parti adopté à la convention une mesure de hausse du salaire minimum (à 15$ de l’heure).

Lors du premier débat présidentiel (dans les rares moments où les questions de fond ont été abordées) Biden s’est contenté de faire miroiter des baisses d’impôts et plus de justice pour les minorités raciales – sans dire concrètement comment il y parviendrait. Ce que promettent les démocrates avec leur candidat, c’est un « retour à la normale », à l’équilibre jugé satisfaisant des années Obama, que l’élection de Donald Trump en 2016 serait venu subitement perturber. Le message est celui de la modération et du respect pour les institutions (y compris financières), calibré pour séduire la Silicon Valley et les électeurs des banlieues blanches et prospères. La seule rupture de 2020 est le choix d’une femme noire comme candidate à la vice-présidence. Si le signal est positif, rien ne dit qu’il se traduise par une politique de réduction des inégalités raciales aux États-Unis – si on en juge notamment par le bilan de Kamala Harris en tant que procureur général de l’État de Californie ou le précédent.

Dans le camp républicain, Trump s’est réfugié depuis l’été dans la position de défenseur de la « loi et l’ordre ». En dépit de la très grande modération du « ticket » démocrate, le président n’a cessé de repeindre Biden et Harris en dangereux « socialistes », champions de la « gauche radicale » (!) et de la collectivisation généralisée… Face à cette menace, Trump se pose en défenseur de la sécurité et du capitalisme américain, promettant de créer 10 millions d’emplois, de baisser encore les impôts (surtout ceux des plus riches) et de déréguler à tout-va. Au-delà de ces engagements sécuritaires et fiscaux, le président-candidat jette pêle-mêle des promesses visant à satisfaire les diverses attentes de sa base conservatrice : reconquérir l’indépendance des États-Unis face à la Chine, envoyer une mission sur la Lune, dénoncer les organisations internationales inutiles et dangereuses (OMS, OTAN), défendre « la vie » (comprendre lutter contre l’avortement) ... Il prévoyait également en août « d’éradiquer » le Covid19 d’ici la fin de l’année 2020.

Pour défendre sa candidature, Trump ne recule devant aucun mensonge ou aucune bassesse. Face à cette frénésie indigne, le couple présenté par les démocrates apparaît bien raisonnable, et l’on se dit qu’avec eux, au moins, on pourra discuter calmement. Si le ticket Biden-Harris l’emporte, et si sa victoire ne provoque ni contestation ni guerre civile, il ne faudra cependant pas compter sur un changement social d’ampleur. Tout restera alors à faire pour convaincre le parti du retour à la normale que la société américaine ne peut plus attendre passivement un heureux changement de tendance – que ce soit en termes d’inégalités économiques, de santé publique ou de changement climatique. Souhaitons que l’énergie déployée dans les mouvements sociaux de ces derniers mois, de la campagne enthousiasmante de Bernie Sanders aux manifestations de Black Lives Matter, s’exprime à nouveau une fois l’élection passée.

Sophie Webb


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