Mort de Marcel Trillat, journaliste insoumis

vendredi 25 septembre 2020.
 

De “Cinq colonnes à la une” à “Envoyé spécial”, Marcel Trillat a toujours défendu un journalisme humaniste, du côté des plus faibles. L’ex-militant CGT est mort vendredi 18 septembre à l’âge de 80 ans.

Du journaliste Marcel Trillat, terrassé par une crise cardiaque vendredi 18 septembre à l’âge de 80 ans, les plus âgés se souviendront comme d’un homme intègre au regard franc et à la voix posée, dont les reportages et les interventions dans les journaux télévisés portaient sur l’actualité sociale ou politique un regard marqué par l’humanisme de ses convictions. Constant face aux insuffisances d’une télévision publique tour à tour malmenée par le pouvoir en place et par les impératifs d’audience, Marcel Trillat aura mené sa barque non sans difficulté mais sans compromission, de son entrée à l’ORTF à sa (semi-)retraite, qu’il consacrait à la réalisation de documentaires.

C’est dès son plus jeune âge que s’est forgée sa conscience politique, dans la ferme familiale de Seyssinet-Pariset (Isère), où son père, socialiste, a abrité durant l’Occupation différents groupes de résistants. Il entre aux Jeunesses communistes, puis adhère au Parti durant ses études littéraires à Grenoble, ambitionnant de faire carrière dans la presse écrite, tandis que sa sœur se destine à reprendre vaillamment l’exploitation de leurs parents. La singularité de cette répartition des rôles attire à la ferme le journaliste Pierre Desgraupes (1918-1993) pour l’émission Cinq colonnes à la une, dans laquelle le jeune Marcel tournera ses premiers reportages, en 1965.

Treize années de mise à l’écart

Si l’ORTF est alors le média d’avenir, recrutant de jeunes gens issus de divers horizons, sa liberté éditoriale est limitée par le pouvoir politique, qui n’hésite pas à viser le sommaire des journaux télévisés et les programmes d’actualité. C’est ainsi qu’en 1967 un sujet consacré par Marcel Trillat et Hubert Knapp à une grève des ouvriers des chantiers de l’Atlantique (Le 1er mai à Saint-Nazaire, dont Chris Marker utilisera un extrait dans Le fond de l’air est rouge) est pointé par le Service de liaison interministériel pour l’information, qui lui reproche son « absence flagrante d’objectivité ». Malgré le soutien de Pierre Desgraupes, le reportage est censuré par la direction et échappe de peu à la destruction... sans inciter la jeune recrue à se montrer prudent, encore moins docile. En 1968, sa participation remarquée aux sept semaines de grève qui secouent l’ORTF lui vaut d’être licencié comme nombre de ses camarades, considérés à juste titre hostiles au pouvoir du général de Gaulle.

Suivent treize années de mise à l’écart, qui le voient participer à quelques émissions scientifiques dans lesquelles sa fibre politique ne risque pas de s’exprimer, comme à réaliser des films de commande pour le PCF et la CGT. En 1979, le syndicat ouvrier lui propose de mettre son professionnalisme au service de Lorraine Cœur d’Acier, radio pirate qui se crée à Longwy (Meurthe-et-Moselle) et qui luttera durant presque deux ans contre les fermetures d’usines sidérurgiques. L’aventure le passionne, mais le média clandestin fait rapidement montre d’un esprit d’indépendance que la CGT voit d’un mauvais œil, au point de débarquer Marcel Trillat et son confrère Jacques Dupont. La liberté aura duré le temps d’y prendre goût. Il en conservera une certaine amertume.

En 1981, l’élection de François Mitterrand rouvre les portes de l’audiovisuel public aux journalistes mis au ban par ses prédécesseurs. L’intégrité de Marcel Trillat l’amène à refuser de voir son nom figurer sur la liste des confrères communistes à intégrer sur proposition du Parti. S’il entre en 1981 à la rédaction d’Antenne 2, c’est à la demande de Pierre Desgraupes, fraîchement nommé pdg de la chaîne et conscient du talent de celui à qui il a mis le pied à l’étrier. Également convaincu de la valeur des convictions et d’une indépendance d’esprit mêlée de sens des responsabilités dans une rédaction appelée à témoigner des mouvements du monde. De la liberté, Marcel Trillat fera un usage aussi réfléchi que constant.

Rétif à toute forme d’asservissement, il quitte le PCF en 1987, mais ne renonce pas pour autant au communisme. Couvrant la première guerre du Golfe en 1990, il dénonce à l’antenne la difficulté d’exercer son métier sous le contrôle de l’armée française, et le paie en étant envoyé à Moscou comme correspondant.

Mais le temps fait son œuvre et la reconnaissance de ses pairs lui vaut d’occuper des fonctions éditoriales et syndicales dans le groupe qui ne s’appelle pas encore France Télévisions. Il signe des reportages pour le magazine Envoyé spécial. Réalise des documentaires sur des sujets sociaux, comme Trois Cents jours de colère (en 2002, autour de la liquidation d’une filature du Nord), Les Prolos (réalisé en 2002 avec Maurice Failevic), Femmes précaires (en 2005), Silence dans la vallée (en 2007, sur une entreprise des Ardennes rachetée par un groupe américain) ou L’​Atlantide, une histoire du communisme (réalisé en 2011 avec Maurice Failevic, bilan d’une aventure qui fut aussi la leur).

À l’annonce de sa mort, la documentariste et productrice Anne Gintzburger, qui fut grand reporter à France 2, a écrit : « Tu fus pour moi un modèle et un guide. J’aimais tant ton regard, ta voix, j’admirais ton courage. Ma vocation est née auprès de toi, et ta bienveillante exigence m’a fait grandir. Toujours je tâcherai de rester digne des combats que tu m’as transmis. » Nul doute que bien des journalistes à l’avoir côtoyé reconnaîtront dans ce message leurs propres sentiments à l’égard de cet homme dont le cœur aura toujours battu fort, avant de le lâcher.

Marcel Trillat, homme d’image et d’humanité

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Notre tristesse est immense. C’est un roc qui nous a brutalement quittés vendredi. En disparaissant, Marcel Trillat laisse orphelin tous les professionnels et militants d’une information libre et pluraliste. A son égard, notre crédit est infini. Marcel fut une conscience professionnelle rare. Défenseur acharné de l’audiovisuel public, il en fut également une cheville ouvrière.

Entré au Parti communiste à la fin des années 50 pour manifester son refus précoce des guerres coloniales, Marcel Trillat prolongea sa vie durant son engagement, derrière la caméra comme dans les rassemblements politiques. A la direction de l’information d’Antenne deux, il fit valoir une éthique, un regard, un souci du pluralisme. Censure, licenciements, intimidations, toutes les épreuves traversées n’ont fait que renforcer l’abnégation de ce travailleur de l’image.

Marcel fit son entrée dans un audiovisuel public alors marqué par un fort progressisme puisé dans la tradition ouvrière et les combats de Résistance. C’était l’époque des Stellio Lorenzi et des Marcel Bluwal, autant d’hommes de télévision qui faisaient vivre la mémoire ouvrière, la culture, la visée transformatrice avec une très grande rigueur professionnelle et un haut niveau d’exigence. Journaliste pour « Cinq colonnes à la une », Marcel Trillat y donna à voir, à entendre et à comprendre les combats de la classe ouvrière. C’est naturellement qu’il prit une part active aux évènements de mai 1968. Quand l’audiovisuel public lui ferma les portes en réaction à son engagement syndical et politique, Marcel partit à la rencontre des ouvriers sidérurgistes en lutte dans le bassin lorrain et créa avec quelques comparses la radio Lorraine Cœur d’acier, épopée radiophonique et militante unique.

Le climat nouveau instauré par l’arrivée au pouvoir de la gauche et l’entrée au gouvernement de ministres communistes lui donna l’opportunité de réintégrer sa famille professionnelle d’origine. En homme fièrement indépendant, il travailla à faire vivre la mémoire des crimes coloniaux et des luttes anticoloniales, affichant une vigilance de tous les instants contre les idées racistes. Nous nous souvenons également, lors la première guerre du Golfe, de son refus courageux d’endosser la propagande couvrant la démonstration force retrouvée de l’impérialisme états-unien.

Représentant élu des salariés au conseil d’administration de France Télévisions après sa retraite, Marcel s’attacha autant à défendre une profession que le pluralisme des idées, alors et toujours en souffrance grave. Il en acquit autant d’amitiés que d’inimitiés, et une grande estime qui dépassait les clivages partisans. Son travail documentaire valait témoignage de son immense talent.

Marcel était un indéfectible soutien et lecteur de l’Humanité, répondant présent à chaque coup dur, chaque évènement. Au sein de la société des Amis de l’Humanité, il fit valoir son regard, son autorité naturelle. L’émoi suscité par sa disparition au sein de l’audiovisuel public témoigne d’une trace profonde. Souhaitons qu’elle soit tout autant féconde pour faire vivre cette exigence de pluralisme et cet engagement au service de la justice et de l’émancipation.

Patrick Le Hyaric


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