Quatre siècles de domination coloniale

vendredi 4 septembre 2020.
 

Si la colonisation débute en Amérique au XVIe siècle, elle connaît son âge d’or au XIXe siècle. Pour combler les besoins en matières premières suscités par l’industrialisation, les pays européens partent alors à la conquête du monde. En Afrique et en Asie, ils organisent un système de prédation des richesses qui assure leur prospérité, mais ils se heurtent à la résistance des populations locales.

L’expansion coloniale a marqué l’ensemble du monde durant près de quatre siècles, nouant l’Europe occidentale et les autres continents dans un passé commun. Motivée par des raisons économiques, impérialistes ou civilisatrices, celle-ci s’est toujours imposée par les armes, se légitimant parfois sur le papier par des traités et des conférences.

Réunis à Berlin en 1884-1885 à l’initiative du chancelier Otto von Bismarck, Britanniques, Français, Allemands, Belges, Portugais et Italiens se sont ainsi partagé l’Afrique, sans qu’aucun représentant africain ne soit consulté. La France et le Royaume-Uni se sont arrogé la part du lion, découpant les frontières avec une minutie de géomètre. La première en a tracé 25 865 kilomètres et la seconde, 21 595. Au total, 70 % des frontières actuelles de l’Afrique ont été définies par les puissances européennes entre la conférence de Berlin et le début du XXe siècle. Linéaires et rigides, elles contreviennent aux réalités locales et continuent encore de déstabiliser le continent.

Les guerres de conquête menées par les Européens ont provoqué des résistances. Pour y faire face, les colons ont mis en œuvre des politiques de « pacification » – vocable colonial classique pour désigner une violence expéditive. Soucieux de démontrer leur force, ils généralisent le principe de punition collective et procèdent à des massacres de masse. En Namibie, en 1904, les Hereros sont exterminés sur ordre de l’armée allemande. En Côte d’Ivoire, au début du XXe siècle, le gouverneur Gabriel Angoulvant opte pour la « manière forte » : internement, amendes de guerre, déportation d’insurgés, etc.

Le cas algérien, souvent présenté comme emblématique, est une exception. Après la conquête violente et la pacification, diverses « sociétés coloniales » sont mises en place. Le cas algérien, souvent présenté comme emblématique, est en réalité une exception : conquise en 1830, un demi-siècle avant la grande vague d’expansion européenne du XIXe  siècle, colonie de peuplement ensuite, l’Algérie devient le lieu d’une coprésence inédite entre Européens et « Français musulmans d’Algérie » : 1 pour 6 dans les années 1930. Ailleurs, la présence européenne est nettement moins importante : en Indochine, on compte environ 1 Européen pour 544 habitants.

Prolétariat rural indigène

Partout, les terres passent majoritairement aux mains des colons. En Indochine ou à Madagascar, les nouveaux propriétaires fonciers exploitent d’immenses concessions, créant ainsi un prolétariat rural indigène. Ce type d’agriculture génère des catastrophes environnementales pour les pays colonisés.

En Inde par exemple, la forêt dense de la région de Coorg (Kodagu) est anéantie pour laisser place aux plantations de café britanniques. Le régime pénal de l’indigénat, qui se résume à un ensemble de mesures répressives, permet d’encadrer les autochtones par le droit et acte la différenciation juridique. Une fiscalité particulière les maintient enfin dans la précarité, soulevant parfois des résistances. En 1930, Mohandas Karamchand Gandhi appelle ainsi à une marche de protestation contre l’impôt sur le sel.

Pour autant, les sociétés coloniales ne sont pas réductibles au clivage entre colons et colonisés ; elles ne fonctionnent pas seulement comme des mondes cloisonnés, régis par la seule règle de la domination. Les interactions sont permanentes et déterminent des reconstructions identitaires mutuelles. Les cafés, les bordels, les espaces sportifs, le théâtre, le cinéma ou les concerts sont aussi les lieux d’une sociabilité commune, sous tension, racialisée certes, oscillant entre miroir et repoussoir, mais empreinte parfois d’inévitables connivences. Espaces de violence et de ségrégation, les sociétés coloniales sont aussi des « mondes de contact ».

MANUEL SCOLAIRE FRANÇAIS Il fut un temps où les manuels scolaires français ne s’embarrassaient pas de nuances quand ils parlaient de colonisation. Dans ce livre de géographie édité par Hatier en 1920 et destiné aux élèves préparant le brevet, l’empire français est paré de toutes les vertus.

A un pays de haute civilisation comme la France, les colonies sont indispensables (…) 1. Situées sous des climats très différents du nôtre, les colonies nous fournissent des produits inconnus chez nous (…). 2. Tout pays industriel a besoin de débouchés pour ses produits fabriqués : or, comme la plupart des Etats européens ou américains frappent de droits élevés les marchandises françaises pour protéger les leurs, il nous faut des marchés où nous soyons les maîtres : ce sont nos colonies. 3. Ces colonies offrent à nos compatriotes les plus entreprenants des terres privilégiées à exploiter : ils peuvent, sous la protection des lois françaises, y faire fructifier leurs capitaux dans les cultures et les mines, ou y trouver eux-mêmes un travail rémunérateur. 4. Le souci de ces intérêts matériels a ses conséquences morales et patriotiques : pour que l’exploitation des colonies soit avantageuse, il faut qu’elle se fasse dans la paix et par l’association avec les indigènes. Et en effet la paix française a mis fin, dans d’immenses régions, aux horreurs de la guerre et de l’esclavage ; elle a permis aux indigènes de se multiplier et d’arriver à une existence infiniment plus heureuse qu’au temps de leur barbarie.

Paul Kaeppelin et Maurice Teissier, La Géographie du brevet, Hatier, 1920.


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