Construire des coopérations internationalistes : le modèle du syndicalisme international

mardi 18 août 2020.
 

Pour qu’une société humaine puisse perdurer elle doit avoir pour projet la coopération entre ses membres. Pourtant la mondialisation de la production et des échanges s’est largement développée sur la mise en concurrence des travailleurs et les normes qui les protègent. Elle transforme les équilibres sociaux-économiques et les modes de régulations en affaiblissant considérablement les États.

La nouvelle division internationale du travail, visant à segmenter la production, permet aux grandes entreprises de disposer d’une large marge de manœuvre quant à la localisation de leurs activités en fonction des conditions les plus favorables que les pays ont à offrir.

Le bilan social de cette mondialisation libérale est accablant.

Selon l’Organisation internationale du travail, on estime à 40 millions le nombre d’esclaves dans le monde, 150 millions d’enfants au travail, 4 milliards de personnes sans protection sociale et 2,4 millions de travailleurs qui meurent chaque année des suites d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.

Face à l’internationalisation des entreprises, le syndicalisme a dû s’adapter et redéfinir de nouveaux espaces d’action. Selon Hyman « la tâche des syndicats a toujours été d’établir les espaces de solidarité les plus larges possibles » car ces nouveaux espaces sont vecteurs d’innovation pour les champs d’action. Ainsi, après plus d’un siècle d’antagonismes et de conflits internes liés à des divergences et querelles d’ordre essentiellement politique, le mouvement syndical international s’est construit en réseau dans le but de pallier aux carences des Etats en devenant un acteur important de la régulation sociale internationale. La perception par les syndicats d’intérêts communs a favorisé leur collaboration et ont été favorables à l’émergence d’une solidarité active au-delà des frontières et des continents.

Les coopérations internationales du mouvement syndical prennent plusieurs formes : Conseils mondiaux, Comités d’entreprise européens, accords-cadres internationaux, campagnes communes jusqu’à la grève mondiale. En 2013, par exemple les syndicats ont mené une campagne mondiale contre les pratiques antisociales d’IKEA. Ils ont, sur tous les continents, bloqué la production et les clients à l’entrée des magasins, expliquant à travers des dépliants et des assemblées générales improvisées sur le parvis de l’enseigne, les conditions de travail déplorables des travailleurs. En France, au Portugal, en Italie, en Pologne, en Irlande, en Turquie, en Russie, au Canada et aux États-Unis, des travailleurs ont protesté pendant plusieurs semaines contre des licenciements abusifs, la dégradation des conditions de travail, les bas salaires ne permettant pas de vivre dignement, les heures de travail insoutenables. En bref, tout ce qui se cachait dernière le succès éclatant de la marque de meubles la plus connue au monde. Face aux répercussions négatives aussi bien sur les cotations boursières que sur les ventes, IKEA a négocié de nouvelles conventions collectives sur les sites afin d’améliorer les conditions de travail des salariés.

Autre exemple intéressant, l’entreprise Carrefour implantée en Amérique Latine depuis plus de 20 ans mais refusant catégoriquement la syndicalisation dans ses supermarchés en Colombie. Après la signature d’un accord-cadre international débute une campagne régionale d’envergure contre les pratiques antisyndicales de la société qui a conduit des syndicalistes argentins de Carrefour à aller aider les salariés de Carrefour en Colombie pour la campagne syndicale. Quelques mois plus tard, le premier syndicat colombien de Carrefour est installé et lors de la première négociation d’une convention collective, les syndicats brésiliens de Carrefour qui devaient entamer un mouvement de grève ont décidé d’attendre la fin de la négociation colombienne. Depuis les échanges sont réguliers entre les syndicats et la solidarité régionale a permis de déjouer à plusieurs reprises des mises en concurrence de sites.

Donc si le syndicalisme international suscite encore aujourd’hui le scepticisme de certains – qui annoncent sa mort prématuré – il est aussi la source d’optimisme pour d’autres qui soulignent les effets bénéfiques pour les travailleurs et la société de ses actions et ses réseaux. Ses revendications ont par ailleurs connu un processus d’élargissement de leur champ.

De nos jours, il n’est pas rare de voir le mouvement syndical se substituer à des États, aussi bien pour procurer des besoins alimentaires de premières nécessités au Malawi, pour reconstruire des écoles après un séisme au Népal, pour mener des campagnes contre le Sida en Afrique sub-saharienne.

Il suffit de se rendre sur les sites internet des syndicats mondiaux pour constater cette évolution des revendications. On retrouve notamment dans les principales priorités :

- La fiscalité comme remède contre l’austérité et comme moyen de financer les services publics et de meilleures conditions de travail.

- Les règles commerciales internationales subordonnées au processus démocratique et qui font primer l’intérêt général.

- La lutte contre le changement climatique et la nécessité de s’engager dans le financement de programmes de transition justes et équitables

- La lutte contre les privatisations notamment des services publics (santé, logement, eau potable, transport, éducation, accès à la justice)

La protection des lanceurs d’alerte qui se battent pour mettre en lumière des activités illégales comme l’évasion fiscale, la collusion d’intérêts et la corruption.

Promouvoir les droits des femmes et la non-discrimination

Contester l’influence des multinationales sur nos politiques et nos institutions.

Il ne nous reste plus qu’à franchir une nouvelle étape et à passer des principes qui sous-tendent le syndicalisme international à la création d’un espace commun de discussions et d’actions. D’un point de vue théorique, l’« insertion dans des réseaux » est un terme récurrent de la littérature comme garant de succès des mouvements collectifs. Des réseaux qui garantissent l’efficacité d’un système tant que chacun se reconnaît dans les objectifs et participe à parts égales à la définition de ces objectifs. Toutes les forces héritières de l’internationalisme d’hier doivent donc se coordonner et se rassembler au sein d’une agora mondiale engagée dans la bataille pour une transition écologique et sociale de la mondialisation libérale et productiviste.

De nouveaux horizons s’ouvrent à nous pour faire converger nos luttes aux quatre coins du monde.

Le syndicalisme international a su tracer un chemin et nous montrer que la construction de réseaux mondiaux et solidaires est nécessaire pour s’attaquer aux injustices historiques d’exploitation des peuples.


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