« Mohamed avait la trace de deux genoux sur son cou »

jeudi 20 août 2020.
 

Le 8 avril dernier, Mohamed Gabsi est interpellé à Béziers pour non-respect du couvre-feu par trois policiers municipaux. Il finira mort au commissariat. Étouffé. Il avait 34 ans et était père de trois enfants.

Regards. Pouvez-vous nous raconter les circonstances de la mort de Mohamed ?

Nicole Klementik. Pendant le confinement, Mohamed avait bien son attestation lorsqu’il est sorti vers 22h, mais nous avions en plus un couvre-feu. L’arrestation a été très musclée. Beaucoup de témoignages concordent en ce sens. Il hurlait parce qu’il avait déjà eu des problèmes avec la police – un arrêt cardiaque lors d’une arrestation – et avait peur. Ils s’y sont mis à tous les trois pour le menotter et le mettre dans la voiture à plat-ventre. Ils s’y sont repris à trois fois pour fermer la porte, alors que sa tête dépassait. Un policier est monté derrière pour le maintenir. Mohamed avait la trace de deux genoux sur son cou. Il est mort d’une rupture de la corne thyroïdienne. Deux autopsies confirment cela. Les policiers ont mis neuf minutes pour arriver au commissariat. De là où ils partaient, si vous mettez trois minutes, c’est déjà le bout du monde. Surtout à cette heure-là. Quand Mohamed est arrivé au commissariat, il était bleu, il bavait. Trois policiers nationaux, qui témoignent dans l’affaire, ont appelé immédiatement les pompiers, mais ils n’ont pas réussi à le réanimer. Pour revenir au début de la soirée, Mohamed, sa femme et leurs trois enfants avaient eu un problème de dégâts des eaux à leur domicile. Ils étaient allés chez la mère de sa compagne, mais l’appartement était trop petit pour que tous y dorment, donc Mohamed partait dormir chez un copain. C’est comme ça qu’il se retrouve dehors pendant le couvre-feu. La famille a été prévenu le lendemain de son décès. Ils ont été complètement effondrés.

Pourquoi et comment a été créé le collectif Justice pour Mohamed ?

C’est quelqu’un qui avait entendu parler de l’histoire qui en a parlé à La Cimade. Ce sont eux qui sont entrés en contact avec la famille. Ils se sont dit qu’il y avait quelque chose de louche et qu’il ne fallait pas laisser la famille seule – même si elle avait déjà pris un avocat. La première réunion de Justice pour Mohamed s’est tenu le 9 juin. Pour la famille, le déclic a eu lieu avec l’affaire George Floyd et l’ampleur que prenait le mouvement pour Adama Traoré.

Quelles difficultés rencontrez-vous dans cette lutte pour la justice ?

Tout de suite après la mort de Mohamed, il y a eu des articles de presse le diffamant, notamment en le faisant passer pour un SDF, comme si c’était une raison pour le tuer. Robert Ménard [le maire d’extrême droite de Béziers, NDLR] a embrayé dessus en disant que Mohamed avait absorbé une dose létale de cocaïne – il était cocaïnomane et se faisait soigner pour ça –, ce qui est totalement faux. Depuis qu’il est maire, c’est très tendu entre la police et la population. Mohamed n’est pas le premier... Au niveau du collectif, nous n’avons pas eu de problème. La marche blanche ou les rassemblements que nous organisons ont tous été autorisés. Par contre, Houda, la grande sœur de Mohamed, a des problèmes avec la police municipale maintenant. Quand les policiers la croisent, ils lui lancent des regards droit dans les yeux, des sourires narquois, des chuchotements. Ce qui ne lui était jamais arrivé avant.

Où en est l’enquête ? Les policiers ont-ils été suspendus ou, pour le moins, entendus ?

Il y a une plainte contre les trois policiers qui ont interpellé Mohamed. L’avocat a enfin eu accès au dossier et à la dernière autopsie. À la dernière réunion du collectif, il était complètement retourné, les larmes aux yeux, disant qu’il n’avait jamais vu une telle violence et qu’il fallait qu’on se prépare à cela. Il nous a aussi dit que la justice et la police faisaient leur travail, qu’ils ont un dossier très épais et qu’ils n’avaient pas l’intention d’enterrer l’affaire. Il y a de nombreux témoignages concordant, dont ceux de la police nationale. La seule personne qui témoigne en faveur des policiers municipaux, c’est un témoin de dernière minute, qui était en garde à vue au commissariat au moment où Mohamed est arrivé. Pour l’heure, les trois policiers n’ont pas été entendus ni suspendus. On sait que cela peut prendre des années.

Quelles mobilisations à venir ?

Tous les 8 du mois nous organisons un rassemblement. Le prochain aura lieu samedi 8 août, place Garibaldi à Béziers, à 18h.

Propos recueillis par Loïc Le Clerc


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