Après le printemps arabe, l’été africain ?

mardi 4 août 2020.
 

Le Mali est entré en révolution citoyenne. Depuis le 5 juin, un mouvement de contestation baptisé Mouvement du 5 juin – Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) organise d’immenses mobilisations. Elles réclament le départ du président actuel, Ibrahim Boubacar Keïta, au pouvoir depuis 2013. Ce roi fainéant, issu des réseaux de l’internationale socialiste, a mené une politique attentiste qui a poussé le Mali au bord du gouffre.

a situation sécuritaire est bien sûr la première préoccupation des Maliens. Depuis 2012, le pays subit les assauts des djihadistes, d’abord issus des rangs d’Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) puis de l’Etat islamique. Ces djihadistes ont bénéficié de l’effondrement de la Libye, à la suite de l’opération hasardeuse de l’OTAN (poussée notamment par la France de Nicolas Sarkozy). Huit ans après leur incursion, le Mali reste la proie des barbus en arme. S’ils ne menacent plus la capitale Bamako comme en 2013, ils ravagent des régions entières, les plus pauvres et les plus abandonnées du pouvoir central, comme le Liptako-Gourma. Ils montent les ethnies les unes contre les autres, les peuls contre les dogons, les touaregs contre les peuls. Ils exacerbent les tensions entre cultivateurs et éleveurs, luttant pour le contrôle de pâturages et de points d’eau, de plus en plus rares avec l’avancée du désert. En face, la réponse de l’Etat malien n’a pas été à la hauteur. Il faut dire que les plans d’ajustement structurel du FMI et de la Banque Mondiale ont considérablement affaibli les pouvoirs publics, les obligeant à licencier des milliers de fonctionnaires, à fermer hôpitaux et écoles, à sous-traiter leur sécurité à des puissances étrangères… Et l’arrivée au pouvoir d’Ibrahim Boubacar Keïta alias « IBK » n’a arrangé les affaires de personne, à part peut-être celles de Paris, qui a favorisé son élection.

Les scandales de corruption à répétition ont fini par décrédibiliser le pouvoir d’IBK. Et les images de son député de fils, Karim Keïta, en vacances sur un yacht aux Baléares, ont attisé la colère du peuple. Il faut dire que 40 % des 20 millions de Maliens vivent dans une situation d’extrême-pauvreté, étant souvent sujets à la famine. Seul un tiers de la population sait lire et écrire. C’est l’insécurité, la famine, l’absence d’hôpitaux, d’écoles et de routes qui précipitent certains Maliens désespérés dans les bras des fous de Dieu, bien plus qu’une idéologie extrémiste. L’immense majorité de la population pratique un islam modéré, et n’a que faire des prêches mortifères des groupes djihadistes.

Les stratégies hasardeuses de Paris

Si le Mali en est arrivé là, nous en sommes aussi responsables. Depuis 2013, notre armée intervient au Sahel, via l’opération Serval puis Barkhane. Les moyens déployés sont colossaux. Or, depuis 7 ans, rien n’a changé. Au contraire, la situation sécuritaire s’est aggravée, les islamistes ont gagné du terrain. Les présidences de François Hollande, puis d’Emmanuel Macron ont multiplié les erreurs sur le terrain ; en choisissant de favoriser des potentats comme IBK qui n’ont que faire du sort de leur peuple ; en soutenant des milices comme les groupes touaregs du MSA et du GATIA, qui ont multiplié les exactions à l’encontre des populations civiles ; en offrant certaines villes du Mali comme Kidal à d’anciens djihadistes et en y interdisant le retour de l’armée nationale malienne ; ou en fermant sur les yeux sur le détournement de l’aide au développement. La France, aujourd’hui, est détestée au Mali. A cause des errements de nos gouvernements successifs, nous faisons partie du problème plus que de la solution. Établir un calendrier de départ de l’armée française

Afin que le Sahel ne devienne pas notre Viêtnam, il faut dès aujourd’hui établir un calendrier de départ de l’armée française, fixé idéalement à deux ans et qui sera remplacé par une force onusienne (bien plus opérationnelle et puissante que la MINUSMA actuelle). Surtout, il ne faut pas s’ingérer dans le soulèvement populaire actuellement en cours au Mali. Les médias français tentent de décrédibiliser le mouvement du 5 juin, en l’accusant d’être inféodé à un imam wahhabite, Mahmoud Dicko. Dicko est certes un conservateur, mais la contestation populaire rassemble des figures représentatives de la diversité et de la vitalité de la société malienne, comme le réalisateur altermondialiste Cheikh Oumar Sissoko, l’universitaire Clément Dembélé ou encore l’ancien député Oumar Mariko. Il faut au contraire s’étonner du silence de la diplomatie française, qui est restée bouche cousue devant la terrible répression qui a frappé la dernière manifestation du 10 juillet, le régime arrêtant des opposants et les forces de l’ordre tuant onze civils. Ce sont de plus des forces antiterroristes (la FORSAT), formées par le RAID français et l’Union Européenne, qui ont ouvert le feu sur la foule, fauchant au hasard des vies innocentes. Cela doit nous inciter à réfléchir : aidons-nous vraiment le Mali à combattre le terrorisme ? ou aidons-nous un régime honni de tous à se maintenir au pouvoir, y compris par la force la plus brutale ? Quoi qu’il en soit, la lutte du peuple malien doit susciter chez nous admiration et respect. Et la meilleure chose qu’on puisse lui souhaiter, c’est que personne ne lui vole son destin.

Thomas Dietrich


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