À Hollywood, la (trop) lente évolution de la représentation du racisme dans la police

lundi 22 juin 2020.
 

Les policiers sont des héros hollywoodiens classiques. Mais les œuvres américaines tiennent du conte de fées sur la question du racisme, souvent réduite à une exception ou à un flic revêche qui ouvre les yeux grâce à un collègue noir.

Comme nous l’avons tous vu, en ce qui concerne la brutalité de la police américaine, les masques sont tombés. Face à des preuves toujours plus irréfutables de la brutalité et du racisme des forces de l’ordre – que ce soit la mort de George Floyd et d’autres ou la réaction de certains policiers face aux manifestations –, l’image des policiers américains en tant que simples gardiens de la paix au service du peuple n’est plus du tout crédible.

Et ceux qui ont contribué à populariser cette fausse image, notamment le secteur du divertissement, sont désormais montrés du doigt. Personne n’ignore que les films et les séries télévisées ont toujours, par hasard ou à dessein, présenté les services de police américains sous un jour positif. Hollywood a beaucoup contribué à mettre en avant des représentants des forces de l’ordre au grand cœur mais, parce que le milieu du cinéma a omis d’évaluer de manière critique les manquements de la police, il pourrait se retrouver complice de dissimulation.

Théorie de la “brebis galeuse”

De nombreuses séries policières ont employé des policiers comme consultants – avec les limites que cela implique. Mais même quand ce n’est pas le cas, elles ne reflètent pas la réalité. Qui regarderait une série policière où la moitié des crimes violents ne sont jamais résolus (comme c’est le cas selon les statistiques dans la vie réelle) ? Nous préférons des hommes d’action qui ne lâchent rien, des enquêteurs perspicaces et les francs-tireurs qui ne respectent pas les règles. Généralement blancs et masculins. Même une série comique comme Brooklyn Nine-Nine, avec son commissariat multiculturel et ses délits mineurs et charmants, contribue à présenter la police américaine sous un jour favorable.

Lorsqu’il s’agit de racisme au sein des forces de police, l’image est tout aussi déformée. Le secteur du divertissement suit généralement la ligne officielle : l’aveuglement insouciant et le déni ont fait place à l’admission à contrecœur d’un problème, mais sans qu’on s’aventure plus loin que la théorie de la “brebis galeuse”. Et bien qu’on puisse affirmer sans risque que la majorité des représentants des forces de l’ordre ne sont pas racistes, l’existence d’un racisme “institutionnel” est constamment niée.

Longue tradition hollywoodienne

C’est une histoire qui a très mal commencé, si l’on considère le célèbre Naissance d’une nation de D. W. Griffith [sorti en 1915] comme un film policier. À l’époque où se passe le film – la reconstruction après la guerre de Sécession [qui a débouché en 1865 sur l’abolition de l’esclavage] –, la police moderne n’existe pratiquement pas. Ainsi, les membres du tout nouveau Ku Klux Klan sont dépeints comme de courageux garants de l’ordre public, galopant pour sauver les Blancs des Noirs malintentionnés et rétablir la suprématie blanche. Il s’agissait là d’une forme de racisme institutionnel décomplexé à vocation héroïque, et on peut dire que la culture populaire s’en est bien éloignée depuis, bien que lentement.

À l’époque des droits civiques, Hollywood a au moins le mérite de commencer à reconnaître le racisme de la police. C’est évident dans le film aux cinq oscars Dans la chaleur de la nuit [1967]. Un flic noir de Philadelphie joué par Sidney Poitier est plongé dans l’ambiance poisseuse et raciste du Mississippi, incarnée par le chef de la police locale, joué par Rod Steiger. Au départ, ce dernier soupçonne Poitier du meurtre qu’ils finiront par résoudre ensemble, et le cheminement de Steiger, qui passe de plouc du Sud mâchant son chewing-gum à plouc mâchant du chewing-gum légèrement moins raciste, a été applaudi par la critique à l’époque. Le public blanc pouvait rentrer chez lui en ayant l’impression d’avoir fait du chemin, même si les spectateurs noirs savaient que le problème du racisme ne se résoudrait pas en un clin d’œil.

Cette dynamique du duo de flics blanc et noir a été rejouée dans de nombreux films depuis. Soit les partenaires passent le film à essayer de résoudre leurs différences et parviennent à un compromis symbolique, soit la collaboration est équitable et harmonieuse dès le départ, comme pour mieux dire que le racisme n’existe finalement pas. Mel Gibson et Danny Glover, les meilleurs amis du monde, ont beau s’attaquer par exemple aux méchants racistes sud-africains pro-apartheid dans L’Arme fatale 2 [1989], il n’y a aucune allusion à un quelconque racisme au sein du département de police de Los Angeles – alors que ce sont les mêmes qui tabasseront Rodney King en toute impunité deux ans plus tard.

Une rédemption garantie

Lorsque le racisme de la police est abordé dans des films ou des séries télévisées, il se cantonne souvent à l’argument du cas isolé. En témoigne la performance de Sam Rockwell, lauréat d’un oscar, dans Three Billboards, les panneaux de la vengeance, en 2017. Encore un autre flic de province, raciste et rancunier, dont la réputation de torturer les suspects noirs est même traitée sur le ton de la comédie : “Torture sur des personnes de couleur”, dit son personnage pour corriger [la mère de famille incarnée par] Frances McDormand qui vient d’employer le mot “nègre”. Contrairement à ses victimes noires, le personnage de Rockwell est traité avec bienveillance, et a finalement une chance de se racheter.

En ce début de XXIe siècle, le traitement de ces thèmes a pris une tournure particulière. Que penser, par exemple, d’un film comme Training Day [2001], qui dénonce la corruption au sein de la police de Los Angeles en choisissant de faire de la brebis galeuse un flic africain-américain joué par Denzel Washington ? Outre Washington, presque tous les personnages noirs du film sont des délinquants, tandis que la jeune recrue, jouée par Ethan Hawke, est le “sauveur blanc”. Un flic noir corrompu était-il un signe que l’Amérique avait dépassé les antagonismes raciaux, ou avait-on atteint un nouveau niveau de déni ?

Les récits concurrents des réalisateurs noirs

Les cinéastes noirs ont toujours eu une vision plus claire de la situation. Inutile de dire que dans le cinéma africain-américain le racisme structurel de la police va de soi. Il y a cinquante ans, lorsque le personnage de Melvin van Peebles tue deux policiers blancs dans le film pionnier Sweet Sweetback’s Baadasssss Song, il sait que la seule solution, c’est de prendre la fuite. Dans Queen & Slim [sorti en février 2020 en France], un couple de Noirs tue accidentellement un policier blanc et arrive exactement à la même conclusion. L’époque de Black Lives Matter [un mouvement lancé en 2013 pour dénoncer le racisme et la violence systémiques dont les Noirs américains sont la cible] a vu la sortie d’une série de films très intenses centrés sur le point de vue des Africains-Américains, victimes d’une police raciste, dans un contexte actuel ou historique : Fruitvale Station, La Haine qu’on donne, Blindspotting, Monsters and Men, Si Beale Street pouvait parler, la liste ne cesse de s’allonger. Dans la plupart de ces films, obtenir justice contre le racisme de la police est un rêve inatteignable.

Évidemment, c’est ce que nous dit Spike Lee depuis des décennies. La scène où Radio Raheem meurt étranglé par la police dans Do the Right Thing apparaît étrangement prémonitoire aujourd’hui, mais ne relevait pas non plus de la fiction en 1989 (elle était inspirée de la mort de l’artiste graffeur Michael Stewart en 1983). Spike Lee a fait précéder son biopic sur Malcolm X d’images du passage à tabac de Rodney King par la police de Los Angeles. Mais avec BlacKkKlansman. J’ai infiltré le Ku Klux Klan, il a curieusement adopté une approche plus lisse. Le film raconte l’histoire, dans les années 1970, d’un duo de flics composé d’un Noir et d’un juif qui infiltrent le Ku Klux Klan (dont les adeptes se délectent toujours des projections de Naissance d’une nation), mais les liens entre l’organisation et la police sont mis de côté.

Signe que le vent tourne

Dans le genre grand public, la mini-série Watchmen de HBO est allée bien plus loin. Avant sa sortie l’année dernière, Watchmen était considéré comme une suite inutile de la célèbre bande dessinée [du même nom] d’Alan Moore, mais le récit de Damon Lindelof a surpris tout le monde par son examen frontal du racisme dans l’histoire américaine. La série commence par une reconstitution du massacre de Tulsa en 1921 (que de nombreux téléspectateurs sont allés chercher sur Google pour vérifier qu’il avait bien eu lieu). Son intrigue complexe met en scène une recrue de police noire confrontée à un racisme généralisé dans les années 1930, un mouvement blanc suprémaciste proche des forces de l’ordre, un chef de police qui, à notre époque, cache des habits du Klan dans son placard. Et pour ajouter encore plus de résonance, tout le monde porte des masques.

Ce qui ne veut pas dire que les réalisateurs blancs grand public s’engouffrent dans ce créneau pour sauver les meubles, mais c’est un signe que le vent tourne. Le mouvement Black Lives Matter a obligé les réalisateurs blancs à être plus attentifs aux histoires qu’ils racontent, et peut-être à reconnaître qu’ils ont contribué à enjoliver la réalité. Les histoires convenues sur la police et le racisme portées à l’écran ne sont plus adaptées à ce qui se passe dans les rues des États-Unis et qui est immortalisé sur des téléphones portables. À l’écran comme dans la vie, il n’est plus possible de nier la réalité.


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