Covid-19 et dexamethasone : pourquoi ce traitement n’a pas fait parler de lui plus tôt ?

lundi 22 juin 2020.
 

Frédéric Altare, immunologiste et directeur de recherche Inserm, revient sur ce médicament bien connu et son effet sur le Covid-19.

SCIENCE - Tiendrait-on enfin une arme efficace pour réduire la mortalité de l’épidémie de coronavirus ? Mardi 16 juin, un important essai clinique britannique (Recovery) a annoncé que la dexamethasone, un anti-inflammatoire bien connu, permettrait d’empêcher un tiers des décès pour les patients sous assistance respiratoire, atteints d’une forme grave de Covid-19.

Au global, sur les milliers de cobayes enrôlés, cela représente une baisse de 17% de la mortalité. Pour l’instant, les données détaillées n’ont pas encore été publiées, ce qui incite à la prudence, tant de nombreux traitements “prometteurs” ont été médiatisés, puis ensuite remis en cause ou relativisés, à l’instar de la chloroquine, du remdesivir ou du tocilizumab.

Il est d’ailleurs étonnant que la dexamethasone n’ait pas plus fait parler d’elle alors que l’épidémie ravageait le monde. Une absence de médiatisation qui pourrait être en partie due au fonctionnement même de ce médicament. Pour comprendre, il faut parler d’incendie, de pompiers et de cascades.

C’est que nous explique Frédéric Altare, immunologiste et directeur de recherche à l’Inserm. Spécialiste de la réaction inflammatoire, le chercheur, qui dirige le département d’immunologie au Centre de recherche en cancérologie et immunologie de Nantes-Anger, développe les caractéristiques de la dexamethasone, mais aussi la difficile utilisation des anti-inflammatoires.

Grégory Rozières : Est-ce une surprise que la dexamethasone soit si efficace sur les formes graves de Covid-19 ?

Frédéric Altare : C’est en réalité assez logique que cet anti-inflammatoire fonctionne. On sait depuis des années que des traitements similaires marchent sur des maladies proches qui développent un sepsis, une importante inflammation incontrôlée de l’organisme.

Dans ce genre de cas, il faut traiter l’origine de la maladie, par exemple avec un antibiotique si c’est une bactérie, mais il faut aussi limiter l’inflammation. Il existe plusieurs protocoles efficaces qui utilisent des stéroïdes, comme la cortisone.

Avec le Covid-19, on s’est vite rendu compte qu’il y avait une forte réaction inflammatoire dans les cas graves. C’est pour cela que les réanimateurs, très rapidement, ont été enclins à tester des protocoles similaires face aux inflammations provoquées par le coronavirus.

Pourtant, cela a été peu médiatisé. On a surtout entendu que les anti-inflammatoires n’étaient pas conseillés...

Le problème, c’est que cette piste peut être risquée. Avec cette association entre Covid-19 et choc inflammatoire dans les formes graves, il est assez logique de se dire qu’il faut prendre des anti-inflammatoires en automédication. En France, où l’ibuprofène était accessible librement, pendant une période les gens se sont rués à la pharmacie pour en acheter. Or, c’est une grosse erreur. On a vu par exemple des malades atteints légèrement faire flamber leur infection avec des doses trop importantes.

C’est pour cela qu’au début de l’épidémie, la stratégie de communication a été d’alerter sur les risques des anti-inflammatoires. Mais en parallèle les services de réanimation ont continué à tester des traitements de ce type avec un suivi très précis des paramètres cliniques des patients, ce qui peut se faire uniquement en milieu hospitalier.

En résumé, on se doutait très tôt qu’un anti-inflammatoire pouvait être utile dans les formes graves, mais sous contrôle. En réanimation, même si on connaît les risques de diminuer la réponse inflammatoire, on sait qu’en la modérant, à dose surveillée, on a de bons résultats. C’est une balance subtile : si on en met trop, on arrête l’inflammation, mais l’infection flambe. Si on n’en met pas assez, il y a un risque d’inflammation incontrôlée. C’est comme un pompier qui cherche à éteindre un incendie dans une maison. S’il ne met pas assez d’eau, le feu va continuer, mais s’il en met trop, la maison sera inondée et donc dévastée quand même.

En parallèle, une grande partie des essais cliniques se sont focalisés non par sur des anti-inflammatoires, mais sur des antiviraux visant à tuer le virus. Comme la forme grave se développe au bout de sept jours, l’idée est d’arriver à soigner le malade avant que son état se dégrade.

Quel est l’effet de la dexamethasone ?

L’inflammation est un processus normal, qui induit une réponse immunitaire qui va tuer l’agent infectieux. C’est une réaction en chaîne qui se déclenche, un peu comme une bombe atomique. L’arrivée du coronavirus dans l’organisme stimule la réponse immunitaire, notamment autour des poumons. Cela va activer des cellules immunitaires qui vont produire des cytokines, de petites molécules qui vont ensuite circuler dans le corps pour aller toucher d’autres cellules immunitaires. Se faisant, les cytokines activent ces cellules qui étaient jusque-là dormantes, entraînant de ce fait une amplification de l’inflammation.

Mais derrière, il y a normalement une seconde cascade, produite par des cellules régulatrices. Celle-ci a pour but d’arrêter l’inflammation quelques jours après son activation. Sauf que pour le Sars-Cov2, il arrive que cette cascade de régulation ne fonctionne pas ou soit débordée. Le virus inhibe certains mécanismes, notamment en se fixant à des récepteurs impliqués dans cette seconde cascade. C’est quelque chose que l’on a déjà vu pour d’autres coronavirus, comme le Sars ou le Mers.

Normalement, les cellules activées par les cytokines, appelées cytotoxique, doivent tuer les cellules infectées par un virus. C’est un phénomène normal. Mais en même temps, elles entraînent une nécrose tissulaire autour de leur zone d’action, ce qui dégrade des cellules saines. Si la seconde cascade, régulatrice, ne fonctionne pas, ou pas suffisamment, on a une surinflammation, c’est l’orage de cytokine. Et cette inflammation qui flambe finit par altérer les tissus, y compris dans d’autres zones périphériques, éloignées du site initial de l’infection, pouvant ainsi altérer le fonctionnement d’autres organes en plus des poumons.

Pourquoi ces dérèglements ne touchent-ils pas tout le monde ?

On sait que ces cascades ne fonctionnent pas très bien pour certaines personnes touchées par des comorbidités. Avant même l’infection, le niveau d’inflammation n’est pas nul. C’est ce que l’on a vu notamment chez les sujets obèses, sur lesquels nous avons réalisé des analyses spécifiques dans notre laboratoire, et pour lesquels nous avons constaté qu’ils présentaient une forte diminution de ces cellules régulatrices, nécessaires au contrôle de l’inflammation.

Chez les personnes âgées, c’est la même chose, le système immunitaire est altéré, il perd en efficacité. Un individu jeune éduque son système à chaque fois qu’il croise un pathogène, mais chez les personnes âgées ce n’est pas le cas, c’est la dégénérescence immunitaire.

Si les données confirment l’efficacité de la dexamethasone, quelle est la prochaine étape ?

Il serait logique que l’on arrive à sauver des malades en réanimation en France dans des pourcentages similaires, ce serait une très bonne nouvelle. Mais encore une fois, ce traitement ne sert que pour les formes graves, afin de contrer l’orage de cytokine. Et il demande un dosage bien particulier, qui nécessite une prise en charge hospitalière.

Et quoi qu’il arrive, la dexamethasone n’est pas parfaite. Certaines personnes n’y répondent pas forcément. Il reste de la recherche à faire.

Notre laboratoire travaille justement sur de nouvelles molécules qui visent non pas à diminuer la “cascade inflammatoire” en ciblant ses médiateurs, mais plutôt à augmenter la “cascade désinflammatoire” en renforçant les cellules qui régulent l’inflammation. Une telle méthode devrait être plus efficace en théorie. Nous avons plusieurs pistes, mais cela prend du temps, surtout que ce sont de nouvelles molécules dont il faudra également vérifier l’innocuité. On est donc encore loin d’un médicament, mais cela reste une piste non négligeable.


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