Mettre en lumière les coulisses de la pandémie (Auditions de la FI)

mardi 5 mai 2020.
 

« Le visage du mal » est en Une du dernier Paris Match. Il s’agit du « Covid19 comme vous ne l’avez jamais vu », en « images exclusives » et quasi-sanguinolentes. La volonté de masquer les réalités sociales, économiques et politiques de la crise en la naturalisant est un grand classique. Les experts en tout genre jouent du même registre réduisant la pandémie à des appréciations et des mesures techniques. Parmi les contre-feux nécessaires à cette diversion, il faut voir les vidéos de la Commission d’enquête de suivi du Covid-19 coordonnée par Mathilde Panot, Eric Coquerel et Manuel Bompard.

Les trois députés de la LFI se livrent à des auditions en visio-conférence de syndicalistes, sociologues, médecins, chercheurs, salariés, associatifs… afin que chaque personne sollicitée, sur le terrain qui lui est propre, puisse en faire l’état des lieux et proposer des pistes pour aujourd’hui et demain. Ces auditions de durées variables (entre 30 minutes et 1 heure 30), à disposition sur le site de La France insoumise, sont actuellement au nombre de 20 et d’autres sont à venir. Sans surprise, les problèmes, qu’ils soient climatiques, sociaux, économiques, démocratiques convergent vers la même nécessité d’un changement radical. En voici quelques extraits centrés sur les soignants, les libertés démocratiques mises à mal et le monde du travail.

Le Covid, Christophe Prudhomme est bien placé pour en parler directement. Praticien sur le terrain, il est porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France. La catastrophe sanitaire qui fait son quotidien n’est que « la résultante d’une politique. 100 000 lits ont été fermés au cours des dernières années. Chaque été, chaque période de vacances, on est sous tension. Aujourd’hui, c’est la catastrophe. » Les hospitaliers ont tout fait pour alerter la population, mettre en garde le gouvernement. L’Hôtel-Dieu et le Val-de-Grâce fermés avant la crise ont manqué aux soignants parisiens. Il se souvient que la réserve sanitaire constituée à la suite du H1N1 n’a pas été renouvelée. Le grand responsable, le ministre de l’Économie de l’époque, est connu : Macron. « Nous savions que l’hôpital-entreprise, le management à flux tendu, c’était zéro stock. »

Le résultant n’est guère étonnant. « La stratégie du gouvernement ne s’est pas basée sur des données de santé publique mais elle a été imposée par la gestion de pénurie de moyens » ainsi qu’on peut le constater par exemple avec les volte-face sur la nécessité ou pas du masque. De ce fait, cette pandémie responsable d’un nombre de morts similaire pour l’instant à une grippe saisonnière tourne à la catastrophe. Quant au confinement, il fait partie de ces mesures prises dans le même contexte de pénurie et ne s’avère pas forcément efficace. « Ce choix a été fait parce que nous étions dans l’incapacité de faire des tests. » En ce qui concerne le au retard sur les moyens, rien n’a été fait pour le combler. « Airbus a des ingénieurs, des ouvriers qualifiés. Les plans des respirateurs sont connus. Airbus aurait pu en produire. » Mais le gouvernement s’est refusé aux réquisitions nécessaires avec pour conséquence de faire « naviguer à vue » les soignants.

Ceux-ci pour le moment font de leur mieux, la tête dans le guidon. Mais Christophe Prudhomme le croit : « La colère s’exprimera à la fin de la crise. » Celle-ci montre de manière dramatique les failles de la mondialisation (et même de l’Europe en voie d’implosion, partagée entre des stratégies nationales concurrentes et hétérogènes), la faillite du néo-libéralisme et l’absolue nécessité de restaurer les services publics. Pour l’hôpital, c’est « 4 milliards d’euros tout de suite, 100 000 emplois à créer pour l’hôpital et 200 000 pour les Ehpad, ainsi que des réajustements de salaires. » S’il apprécie comme ses collègues soignants les encouragements quotidiens de 20h, il trouverait que le soutien serait plus réel et concret avec la reprise de ces revendications. A vos balcons !

Malik Salemkour, président de la LDH (Ligue des Droits de l’Homme), a été troublé par les « conditions imprécises de l’état d’urgence sanitaire » initié par l’exécutif et qui pourrait être reconductible à volonté. Il y voit des restrictions des libertés sans précédent et a « des raisons de craindre que les mesures prises ne soient inscrites dans le droit commun pour le confort de l’Etat. » Il pense entre autres à la détention préventive possiblement rallongeable de deux mois…

Plus simplement, il constate, à travers la mise en place concrète et quotidienne de cet état d’urgence, un certain nombre de dérives sécuritaires. Les amendes abusives, la violence de certains contrôles, en particulier dans les quartiers populaires, les pressions exercées sur les demandeurs d’asile par les préfets, l’utilisation de drones, l’usage du couvre-feu, sans parler du tracking à venir (qui discute et de quoi avec les opérateurs ?)… « On entre dans une logique de surveillance de l’espace et de l’atteinte à la liberté de circuler. » Il s’étonne par ailleurs qu’il n’y ait dans le comité scientifique réuni par le gouvernement aucun représentant des droits et libertés. Comme si toutes les mesures, du confinement aux restrictions en tout genre des libertés, n’étaient qu’un problème à régler techniquement et ne concernait en rien la citoyenneté…

Le constat établi par Pierre Meriaux en matière de droit des salariés ne détonne pas des propos précédents. Il est inspecteur du travail depuis 35 ans et avoue sans ambages trouver en Pénicaud « la pire ministre du Travail depuis Laval et Pétain. Elle n’est pas ministre du Travail mais plutôt ministre du Cac 40. » Il rappelle comment les patrons du BTP ont dû défendre - paradoxalement - leurs salariés contre la volonté de la ministre qui voulait les renvoyer illico sur leurs chantiers.

Le tableau est loin d’être forcé. Il est aux premières loges pour constater que « la crise a permis d’aller plus loin dans la déréglementation libérale avec les ordonnances sur la durée du temps de travail, les congés payés… » Ceci couplé avec une diminution programmée des effectifs des contrôleurs et inspecteurs du travail pour ramener le nombre d’agents à 2000 pour 1,8 M d’entreprises, soit 1 agent pour 10 000 salariés, avec l’efficacité que l’on peut imaginer. « Le gouvernement, avec la mise entre parenthèse de l’inspection du travail, organise une suspension de l’ordre public social par impossibilité de le contrôler concrètement. C’est une grave atteinte à l’équilibre de notre République. »

Dans cette période de pandémie, l’absence de critères clairs, « de définitions des secteurs essentiels », laissent les mains libres aux employeurs. Les livreurs à domicile, les salariés de fast-food officient-ils dans des secteurs essentiels ? Ces catégories, non seulement forcés de travailler sont, de plus, de potentiels vecteurs de l’épidémie. Incohérence sanitaire totale. Mais, l’Inspection du travail est dans l’incapacité de pouvoir mettre fin à ces activités non essentielles. Et elle n’a pas toujours les moyens de statuer (48h) sur les demandes de droit de retrait des travailleurs qui s’estiment menacés dans leur activité professionnelle par l’absence de moyens de protection ou le non-respect de consignes de distance-barrière. « On rejoint en la matière le niveau de pays dits sous-développés. »

La situation est encore pire pour les travailleurs « pseudo-indépendants » (plateformes de livraison par exemple) ou les travailleurs détachés qui seront exclus de toute mesure de chômage partiel. Il est clair qu’ils « dépendent du donneur d’ordre et qu’il faut requalifier leur statut » en travailleur salarié. « L’Inspection du travail actuellement dysfonctionne totalement. Elle ne va pas dans le sens de la protection des salariés mais dans celui de ne pas remettre en question le pouvoir des employeurs. » Le rétablissement du pouvoir de ce service public s’impose non seulement à l’heure de la gestion de la pandémie qu’après. Si déjà quelques auto-entrepreneurs ont été recrutés à la place de CDD (!) par Franprix, le Medef pointe le bout de son nez pour demain. Geoffroy Roux de Bézieux, son président, a annoncé le 10 avril dernier vouloir « jouer » sur les congés payés, les jours fériés et le temps de travail pour faire « repartir la France » après le confinement…

Jean-Luc Bertet


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