Je n’ai pas aimé cette réunion des « chefs religieux et des associations laïques » ce mardi 21 avril à l’Élysée

dimanche 10 mai 2020.
 

Surtout pour, parait-il, « réfléchir sur la cohésion morale du pays face à la crise » et sur « les moyens de rebondir » selon l’AFP rapportant les propos des proches de l’Élysée. À quel titre ? Pour quelles raisons ? Mais peut-être suis-je trop sourcilleux. S’ils sont venus dire à Jupiter qu’il est un faux dieu, s’ils sont venus lui répéter comme le faisait le page sur le char du triomphateur à Rome « souviens toi tu n’es qu’un homme », alors j’accepte de passer l’éponge laïque sur cette incongruité.

Cet homme qui croit pouvoir parler (dans un journal anglais) de sa destinée comme de la divine providence d’un Giscard disant au revoir au peuple français, cet homme doit être convoqué sur le plancher des vaches pour notre bien à tous. Un homme capable de demander à Castaner de réfléchir, et de le faire à propos de l’usage du tracking, peut-il être considéré dans un état normal ? Pourquoi pas Belloubet pendant qu’il y était ? Je n’affirme pas, vous le voyez. J’interroge. Je ne persifle pas. Je m’inquiète, et « c’est parfaitement entendable » à moins que ce soit « parfaitement légitime » comme le dirai le Premier ministre sur le ton de « et bim dans ta face, casse-pied ».

Je vois un cas où je ferais mieux que cette méfiance pour l’être suprême qui mène notre peuple. C’est celui où tous ces gens se mettraient d’accord à propos des rites quand on leur en passe commande en période de coronavirus : mariage (sinon fornications illicites), baptême (sinon stage perpétuel dans les limbes) enterrement (sinon Saint Pierre confie à Belloubet sa balance de justice). Je voudrais bien aussi qu’il leur ait rappelé quelques règles de base. Vaindieu, le président aura-t-il pensé à faire un sermon aux évangélistes qui ont tenu à Mulhouse cette kermesse mortelle pour tout le grand-est du pays ? Damnation, leur a-t-il sonné les cloches pour avoir distribué des masques sanitaires dans des boîtes aux lettres à Paris avec des tracts pour Jésus ? Morbleu, aura-t-il dit aux paroissiens de Saint Nicolas qu’il y avait mieux à faire que de tenir cette messe secrète hérétique mais peuplée ? Peut-être aura-t-il eu même l’audace de dénoncer cette façon de mettre Dieu au défi de leur épargner le coronavirus en postillonnant des cantiques en latin. Cependant, je compte bien aussi qu’il n’ait pas hésité à féliciter les musulmans et les juifs pour leur parfait respect des règles sanitaires.

Trêve de tergiversations. J’en viens au fait. Je ne veux pas qu’on s’y méprenne. La pratique religieuse est dans les rites les plus profondément humains. Si je me moque du président prenant conseil de Dieu avec les préfets de ce dernier, je ne veux pas ironiser sur la foi, la prière, ni quoi que ce soit de cet ordre qui sont autant de réconfort si tendrement humain à l’heure ou le Covid 19 fait ses semailles d’angoisse de la mort.

La mort par le Covid : je connais la lassitude que l’utilisation sensationnaliste du sujet provoque. Le plongeon de certaines audiences de télé en atteste. Tous les ressorts de l’angoisse, et même la conversion de toute l’actualité en film d’horreur, ont fini par émousser les sensibilités. Dans cette interminable séquence en continu, tous les experts de tous les domaines morbides auront été convoqués à tour de rôle. Bref, devant la menace de la mort, tout aura été dit à propos de la façon de l’éviter. Oui, tout. Ou presque. Car, tout bien pesé, non, tout n’a pas été dit. Et même, d’un certain point de vue, rien n’a été dit. Un sujet est resté absent tout en étant omniprésent. La mort elle-même. Refrain de la chanson, la mort reste comme un arrière-plan flouté sur Skype : présente sans réalité. Mais que doit-on en faire quand elle s’invite ? Qu’elle s’installe aux alentours ou qu’elle vienne passer sa faux ?

Rien n’en a été dit. En tous cas rien pour aider à penser le fait. Etrange civilisation que la nôtre. Il y a tantôt deux cent mille ans qu’on se souciait du sujet. À cette occasion on a construit, récité, imaginé, mains jointes, bras dessus bras dessous, paumes vers le ciel. On a veillé les mourant puis leurs cadavres avant de les accompagner ensuite en priant, en chantant, en psalmodiant jusque dans la pyramide, sous le dolmen, devant le caveau. Dans son lit de fleurs, son sarcophage, sa bière, son drap de lin. On a convoqué Anubis, Thor, Pluton, le Christ ressuscité, et j’en oublie, mille excuses. Aujourd’hui le directeur de l’Ehpad note le dernier souffle et il sera le seul témoin de la mise en bière conformément à son contrat de travail. Moyennant une centaine d’euros pour la chambre froide, on aura pu aller aux halles de Rungis saluer de de loin les délégués de la parentèle et observer le cercueil bien clos autour duquel veillent sans doute une armée de coronavirus cruels et déterminés. Sic transit gloria mundi. Ce monde déjà si désemparé, si vide d’humain et si plein de marchandises, ce monde si prompt à tout transformer en chose est parvenu au bout de ce qu’il est, au sens ultime du néant auquel il a voué la civilisation humaine et la nature qui l’entoure.


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