Coronavirus : 10 leçons pour aujourd’hui et pour demain

vendredi 3 avril 2020.
 

L’épidémie de covid 19 et le krach sanitaire qu’elle produit est riche d’enseignements. Ce n’est pas seulement un coronavirus qui est en cause, c’est un modèle d’organisation de la société. « À quelque chose malheur est bon » dit le dicton populaire. Il faut l’espérer car le malheur est grand pour ces familles endeuillées, ces malades intubés, ces soignants envoyés au front dans une forme approchant celle des liquidateurs de Tchernobyl, ces ouvriers et employés exposés pendant que nombre de leurs dirigeants télétravaillent depuis leur résidence secondaire en bord de mer. Pour cela, il faut regarder lucidement les leçons à tirer pour changer demain, mais surtout dès aujourd’hui.

L’action humaine et capitaliste contre l’écosystème se paye cash. Le coronavirus en question, comme ebola, contamine l’homme du fait du lien toujours plus étroit entre l’homme et la nature et de la prédation du premier sur la seconde. Pour le dire brièvement, chacun voit comment passer en quelques mois de la chauve-souris au pangolin puis à des milliers de morts et à la réanimation de masse partout dans le monde. Sortir du productivisme, imposer une règle verte de respect de l’écosystème, planifier la transition écologique s’impose de toute urgence.

Les « riens » sont tout comme nous l’écrivions déjà. Dans la crise, les personnels hospitaliers dont les manifestations étaient réprimées, les fonctionnaires d’une manière générale, les cheminots des TGV sanitaires, les caissiers et caissières, livreurs et livreuses, éboueurs, hommes et femmes de ménage, méprisé.e.s, ignoré.e.s, mal payé.e.s, précarisé.e.s sont celles et ceux qui font tenir le pays debout, n’en déplaisent à ceux qui comme Emmanuel Macron les considéraient comme « des gens qui ne sont rien ».

Les libéraux et le marché sont incapables de faire face à une crise. Leur défaillance est patente (pénuries, envol de prix, ... etc). Seul l’État et les solutions collectives permettent de tenir le choc. La preuve en est qu’au moins en mots, même les libéraux évoquent ces options (encadrement des prix, réquisitions, nationalisation, injection d’argent public). Bien sûr, il ne faut avoir aucune illusion sur la sincérité et la durabilité de leur conversion idéologique (voir leçon numéro 10).

L’austérité est criminelle car les services publics sont vitaux à commencer par l’hôpital. La crise sanitaire d’aujourd’hui est le fruit des restrictions successives votées par l’UMP, le PS et LREM dans les budgets de la sécurité sociale et de l’hôpital public. Combien de report de soins qui ont aggravé la situation et les maladies chroniques de patients les rendant plus vulnérables ? Combien de malades sans médecin traitant ? Combien de lits et de services fermés dans les hôpitaux publics qu’il faut rouvrir en catastrophe ? Combien de personnels de santé déjà épuisés avant la crise ?

Le refus de la planification sanitaire et l’absence de vision stratégique sont coupables : pas de stock de masques au nom des économies budgétaires, incapacité à tester les cas suspects, difficultés d’approvisionnement en médicaments produits hors de France, refus de nationaliser Luxfer qui produit des bouteilles d’oxygène ou de réquisitionner les moyens de produire gel et masques… Il faudrait se contenter de l’aide de grands groupes prêts à tout pour une bonne campagne de promotion publicitaire pendant la crise, histoire de faire oublier par exemple leurs pratiques d’évasion fiscale. La terrible dépendance industrielle et la perte de souveraineté qu’elle entraîne ne sont pas limitées à la question sanitaire et il est urgent d’y remédier par la relocalisation, le protectionnisme, le renforcement des pouvoirs des salariés et du capital public si l’on veut réussir la transition écologique et affronter les chocs à venir.

Nos armées ne sont pas capables d’intervenir massivement lors que le pays en a un besoin urgent, trop abîmées elles aussi par l’austérité notamment dans leur service de santé et utilisées à tort et à travers un peu partout. Savoir qu’il faut plus d’une semaine pour monter un hôpital de campagne de 30 lits, par temps de paix, sur un terrain viabilisé, sur le territoire métropolitain en dit long sur ce à quoi il faut s’attendre en cas de catastrophes naturelles ou d’accident nucléaire d’ampleur…

L’Union européenne confirme non seulement son inutilité mais sa nocivité. La Banque centrale européenne continue d’arroser les banques au lieu de prêter aux Etats, les règles budgétaires et d’interdiction des aides d’Etats aux entreprises sont tellement absurdes qu’il faut y déroger pour faire face à la crise, l’Allemagne de Merkel mais aussi les Pays-Bas refusent toute mutualisation des dettes expliquant que l’Italie et l’Espagne n’avaient qu’à plus épargner hier pour affronter la maladie aujourd’hui. Ces gens doivent être considérés pour ce qu’ils sont : des adversaires et non des partenaires.

La vulnérabilité du pays est accrue par les injustices et précarités sociales. La crise révèle les abandons des sans-abris, l’incurie face aux violences conjugales et familiales, le manque de personnels auprès des personnes âgées, les conditions de vie imposées à des millions de personnes dans des logements trop petits ou insalubres. La préférence sociale n’est pas une option idéologique, c’est une condition de la résilience collective d’une nation.

Le discrédit de la parole publique (et médiatique) est un problème majeur. Les consignes gouvernementales comme leur relais médiatique manquent de cohérence, de justice, de légitimité gênant leur bonne acceptation et leur bonne application. La démocratie et la confiance dans les représentants n’est pas un luxe, c’est une nécessité pour affronter une crise en bon ordre et pour que le peuple consente à l’autorité car il la reconnait comme venant de lui-même.

Les néolibéraux ne reculent devant rien pour faire passer leurs mauvais coups. Voyez leur empressement à raboter les congés payés ou augmenter le temps de travail au nom de la crise, voyez ces grands patrons pressés d’acheter les actions de leur propre société quand le cours de bourse s’effondre pour faire de bonnes affaires, voyez cette ministre du travail accusant de « défaitisme » les employeurs du BTP soucieux de la santé des salariés et de leur responsabilité en la matière (on saura le leur rappeler à propos des accidents du travail).

C’est sans doute la principale leçon à retenir : il n’y a rien à attendre de ceux qui ont créé les conditions d’une telle crise pour y faire face efficacement et encore moins pour changer de trajectoire. Le monde d’après crise devra nécessairement être aussi le monde d’après eux et d’après leur système.

Matthias TAVEL


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message