Billet d’enquête – Échange avec le professeur Didier Raoult

jeudi 2 avril 2020.
 

Confiné comme tout le monde, j’ai décidé de faire la tournée des personnes que je repère de loin comme capables d’éclairer ma lanterne à propos de la planification de la mobilisation sanitaire. Le hasard du calendrier m’a fait commencer par un contact avec le professeur Didier Raoult, avant un autre prévu avec des syndicalistes d’Air Liquide. Mon souci est toujours le même : si on devait s’en occuper demain matin, comment s’y prendrait-on ?

Cette façon de travailler m’occupe depuis déjà quelques années. Elle est stimulante intellectuellement et politiquement. J’ai aussi constaté qu’elle me permettait d’entrer en contact avec des personnages que je n’aurais jamais approchés autrement et qui m’ont donné, des fois, quelques leçons de vie non négligeables. C’est comme ça que j’ai connu par exemple Jean-Marie Brohm le « savant nucléaire » réputé excentrique à qui je dois non seulement des connaissances entièrement renouvelées mais aussi quelques expériences de partage humain que je garde dans un écrin spécial de ma mémoire. Comment aurais-je rencontré un savant nucléaire sans le soucis politique de comprendre à fond ce dont je me préoccupais ?

Au cas présent, je peux dire que le tableau fait de ce professeur Didier Raoult, présenté comme un sauvage malpoli et provocateur m’a évidemment tapé dans le nez. En effet je connais trop bien l’odeur de la peinture dont dispose la bonne société, ses médias et ses plumes à gage. Moi-même ne suis-je pas un animal agressif, demi-dément qui se croit « sacré » et se prend pour la République ? On me permettra de ne pas adhérer à ma caricature. Ici encore, c’est trop pour être honnête.

Didier Raoult est trop mal aimé par les belles personnes pour ne pas éveiller l’intérêt. Surtout quand ça part des amis de madame Buzyn. Elle, c’est cette femme qui savait et qui a menti. Elle, c’est la morgue de classe qui l’a conduite à mépriser Caroline Fiat en dépit de son super rapport sur les EPHAD, juste parce qu’elle vient du rang du personnel hospitalier : « je comprends que vous ne compreniez pas » avait-elle péroré. Bien sûr, j’ignore les raisons pour lesquelles ces gens détestent Didier Raoult et pourquoi ils se sentent obligé de le couvrir de sarcasmes et de suspicions. Pourquoi ne se contentent-ils pas le réfuter sur le plan de la science ? Donc, sachant que sa caricature n’est qu’une projection de la haine de ses détracteurs, je me suis approché avec gourmandise. Et je n’ai pas été déçu. Un contact téléphonique, ce n’est pas grand-chose mais c’est aussi des fois assez pour se faire une idée sur une personne.

26 mars 10h30. Aucune difficulté pour le joindre à l’heure dite. Mon intention était de le consulter sur sa vision des moyens pour surmonter la crise actuelle de l’épidémie de COVID-19. Je l’ai interrogé sur une série limitée de questions préparées avec mes collègues députés insoumis. Mon souci est de ne pas entrer, malgré l’envie que j’en ai, dans le domaine qui n’est pas de ma compétence, c’est-à-dire l’évaluation scientifique du procédé de soins qu’il applique. Je me suis contenté de demander quelle garantie on pouvait avoir de non-dangerosité.

I. Les composants du remède qu’il met en œuvre sont déjà été prescrits depuis des décennies. La chloroquine a déjà été prescrite à 1 milliard de personnes et l’antibiotique qu’il y joint pour son traitement a été également appliqué à plus d’un milliard d’êtres humains dans le monde. Ces prescriptions ne provoquent pas plus de difficultés qu’avec n’importe quel autre médicament autorisé. Pourquoi la chloroquine qui était en vente libre a-t-elle été classé soudainement comme substance « vénéneuse » en janvier dernier ? Didier Raoult me dit qu’il n’en sait rien. Il maintient cette réponse même quand j’insiste. D’ailleurs, tout au long de l’entretien que j’ai eu avec lui, je ne l’ai entendu accuser ou dénigrer personne. Cela m’a paru assez inhabituel pour que je vous le signale compte tenu du contexte si tendu à son sujet.

II. La mise disposition de tests n’est pas une difficulté scientifique. On sait comment faire et on sait le faire. C’est seulement une question d’organisation pour rassembler les composants de ces tests en très grand nombre. C’est donc exclusivement une question de logistique et de coordination des moyens. Lui-même opère 2000 tests par jour. Il fait remarquer que d’autres pays sont parvenus à de très importantes cadences dans ce domaine. Je sais que nous plafonnons à trente mille par jour. Douze mille en Allemagne et la cadence augmente sans cesse. Comment ferions-nous à propos pour coordonner une production de masse (déjà acquise) et des livraisons tous azimut ? En France, il existe des compétences importantes en matière de logistique. En ce qui concerne les moyens de l’État c’est la SGDN, direction générale de la Défense nationale, qui serait la mieux préparée et entraînée compte tenu des opérations complexes qu’elle a l’habitude de gérer.

III. Le confinement est la reprise de la méthode de la quarantaine. Les expériences du passé, du moyen âge à nos jours, en ont montré les limites. On comprend facilement qu’enfermer ensemble des gens dont un seul est contaminé conduit directement à multiplier la contamination par le nombre de gens confinés ensemble. Laisser quelqu’un de contaminé aller et venir partout n’irait pas mieux. La stratégie du test et du confinement des seuls malades est donc structurellement plus efficace à condition de disposer de la capacité de dépistage et d’hébergement des personnes contaminées. Hier, un copain logisticien m’a dit : « On a de quoi, à condition de réquisitionner des capacités hôtelières. Comme elles sont peu utilisées en ce moment ce n’est pas le plus compliqué. Mais maintenant c’est beaucoup plus compliqué du fait de l’extension de la contamination ». En tous cas l’équation est à reprendre pour organiser la sortie de confinement.

IV. Pas facile pour un responsable politique de trancher entre des avis d’experts scientifiques pas d’accord entre eux. Comment comprendre les divergences d’appréciation dans le monde médical ? Je comprends à sa réponse qu’elles résultent de débats normaux liés aux méthodes de la science elle-même. Le problème n’est pas là. Le problème, c’est la définition de la stratégie de combat que l’on déploie contre l’épidémie. La façon de réagir n’est pas la même selon les spécialités médicales. Il y a une réaction particulière quand on est un épidémiologiste habitué à gérer des situations d’urgence et de contamination foudroyante. Il en va autrement quand on est habitué à des études inscrites dans le temps long, avec des échantillons de populations connues et stables comme l’est par exemple aujourd’hui la population contaminée par le sida. Il est donc vain de voir des complots là où il s’agit simplement d’habitude de pratiques professionnelles différentes qui formatent une manière d’agir. Donc ce n’est pas une raison pour en faire une guerre de religion me suis-je dit.

V. Le professeur m’autorise à parler de notre contact. Il va de soi que ces quelques lignes sont sous ma seule responsabilité. Elles correspondent à ce que j’ai noté et qui me paraissait important en réponse aux questions que j’avais sélectionnées. Je ne lui ai pas proposé de me relire, pensant qu’il avait sans doute plus urgent et mieux à faire que cela. J’ai été frappé par le calme, la courtoisie et le ton souriant de mon interlocuteur.


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