Chloroquine : en pleine crise du Covid-19, l’État laisse mourir son industrie pharmaceutique

dimanche 29 mars 2020.
 

La chloroquine va-t-elle nous sortir de la pandémie ? Pour l’heure, rien de sûr. Mais la seule usine en France capable d’en produire est en redressement judiciaire. Quand bien même le gouvernement volerait à son secours, n’est-il pas déjà trop tard ?

Entretien avec Frédéric Gibert est élu du CSE, délégué CGT et magasinier de FAMAR Lyon.

Regards. Comment votre usine en est-elle arrivée au redressement judiciaire ?

Frédéric Gibert. On a eu une perte de deux clients courant 2019, qui a fait que le groupe voulait se séparer de Saint-Genis-Laval. En juin 2019, le groupe FAMAR a décidé, dans le cadre d’une cessation de paiement, de placer l’usine de Saint-Genis-Laval en redressement judiciaire. Le groupe l’a fait car elle avait le souhait de vendre l’entité FAMAR auprès de groupes industriels ou de fonds d’investissement, ce qui a été fait : la partie Nord a été vendue à Delpharm – qui est aussi un acteur de la sous-traitance pharmaceutique en France – et la partie Sud à un fonds d’investissement américain York/ECM. Aujourd’hui, cette usine emploie 250 salariés, une trentaine d’intérimaires et une quinzaine de salariés d’entreprises extérieures. Et nous n’avons pas de repreneur, nous n’avons reçu aucune offre permettant un avenir au site industriel. L’audience au tribunal, qui devait avoir lieu le 17 mars, demandait un renouvellement de l’activité jusqu’à juillet. Le tribunal étant fermé pour raison de confinement, on dépend de cette situation. Quoi qu’il arrive, il y a de fortes chances que l’usine soit fermée après juillet.

On ne sait pas encore si la chloroquine peut aider à vaincre le Covid-19. Mais l’urgence est là, tant pour la santé des Français que pour l’avenir de votre usine. Que dites-vous de cette situation ?

Le risque, c’est qu’on découvre que la chloroquine soigne après la fermeture de l’usine. Et encore, pour pouvoir fabriquer la Nivaquine – dont le principe actif est la chloroquine sulfate –, on passe par un tiers, Sanofi, qui est détenteur de ce produit. Donc avant de commencer la production de la Nivaquine, il faut permettre au fabricant du principe actif de pouvoir nous le livrer. Or, le délai d’approvisionnement est important, d’autant plus que le fabricant est en Inde…

C’est tout le principe d’une crise : si elle n’est pas anticipée, c’est fichu...

Exactement. Tant qu’une situation n’est pas critique, on reste sur la même politique. Le jour où, dans leurs rouages, il y a un blocus, des questions se posent et on remet à plat les problématiques d’indépendance et de besoins sanitaires. Je ne suis pas certain que la crise sauve notre usine, car nous ne savons pas si la chloroquine est le produit certifié pour éradiquer le Covid-19. On a des chances de pouvoir donner un souffle au site de Saint-Genis-Laval, le temps de la crise puis le temps de retrouver un repreneur, mais de là à dire que ça sauvera le site… Le chemin est long.

« Il n’y a aucune projection, aucune résonance, en termes de santé publique, sur le besoin sanitaire en France. La crise du Covid-19 ne change rien pour l’instant. Mais le débat va se poser. »

Votre usine produit 12 médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, dont la Nivaquine, un antipaludéen à base de chloroquine. En pleine crise du Covid-19, vos adresses au gouvernement se font plus pressantes. Avez-vous eu des retours ?

Avant même notre redressement judiciaire, on a adressé des lettres aux ministères de la Santé et de l’Économie. Nous n’avons eu aucun retour de leur part. Jusqu’à ce jour. On commence juste à avoir des retours de quelques sénateurs et députés, du fait de la pandémie.

Mettons le Covid-19 de côté. Votre usine fabrique des médicaments, notamment contre le paludisme. Or, la pandémie de coronavirus montre les dangers d’une dépendance envers d’autres pays pour assurer le soin des Français. Cette situation est paradoxale, non ?

C’est clair. Il n’y a aucune projection, aucune résonance, en termes de santé publique, sur le besoin sanitaire en France. La crise du Covid-19 ne change rien pour l’instant. Mais le débat va se poser. Je ne sais pas si les décisions qui seront prises par la suite permettront de redistribuer les cartes du besoin sanitaire en France, du besoin d’indépendance, mais le débat aura lieu. Après, à qui profitera-t-il ? Ce qui est certain, c’est que l’industrie est mise à mal, dont l’industrie pharmaceutique. On se retrouve dans une situation où le manque industriel devient criant.


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