Epidémie de coronavirus : « L’hôpital ne peut pas fonctionner comme une clinique privée qui choisit ses patients pour optimiser sa plomberie »

dimanche 22 mars 2020.
 

A l’ère de la tarification à l’activité, l’épidémie de Covid-19 montre que l’« hôpital de flux », où aucun lit ne doit être libre, est une aberration, estiment les médecins André Grimaldi, Anne Gervais Hasenknopf et Olivier Milleron, dans une tribune au « Monde ».

Epidémie, plan blanc, mobilisation générale, l’événement infectieux actuel bouleverse tout, y compris le fonctionnement de l’hôpital. Car sa mission est de répondre à la nécessité sanitaire. Rappel des personnels en vacances, déprogrammation des interventions et hospitalisations programmées, libération de lits en service de maladies infectieuses et dans certains hôpitaux en médecine interne ou polyvalente, car il faut se tenir prêt : tout est fait pour faire face et c’est bien.

En février, quelques patients infectés sont restés quatorze jours hospitalisés, en surveillance. En mars, changement : on n’hospitalisera que les patients ayant ou étant à risque d’une forme sévère de Covid-19… Le temps est suspendu : transfert de patients pour libérer des lits et se tenir prêt, et les lits sont là, vides pour quelques jours parfois, ils attendent les patients symptomatiques à soigner. La santé publique percute le concept de l’« hôpital de flux », celui où pas un lit ne doit être libre car c’est du « manque à gagner » à l’ère de la tarification à l’activité (T2A). A l’« hôpital de flux », le malade doit glisser vers la sortie, dans un parcours fluide, rien ne doit faire obstacle dans la plomberie du soin. Et patatras ! La vision en tuyau ne répond pas à la crise sanitaire.

Traiter aussi les autres cas

On découvre, s’il était besoin, l’aberration d’un financement de l’hôpital majoritairement par la tarification à l’activité : l’impossibilité d’avoir des taux d’occupation des lits à 100 %. Oui, il faut disposer d’une structure hospitalière publique assumant d’avoir, en permanence, des lits disponibles. La crise actuelle met en exergue cette nécessité en phase épidémique du coronavirus SARS-CoV-2. Il faut isoler les patients infectés, surveiller les cas peu sévères, mais risquant de s’aggraver, et prendre en charge les formes graves. Et, tout au long de l’année, il faut disposer d’une marge d’activité et de lits disponibles pour accueillir les enfants atteints de bronchiolite, les personnes âgées atteintes de grippe saisonnière et les urgences en général. Car l’hôpital public ne doit pas et ne peut pas fonctionner comme une clinique privée qui choisit ses activités et ses patients pour optimiser sa plomberie.

« Combien le tarif d’un séjour pour coronavirus ? Et combien le non-séjour dans cette aile vide qui attend le malade ? »

Le nouveau coronavirus a le mérite de rappeler des évidences : on ne paie pas des pompiers simplement pour qu’ils aillent au feu, on les souhaite présents et prêts dans leur caserne, même quand ils ne font que briquer leur camion en attendant la sirène.

Alors comment va-t-on évaluer l’activité de soins à l’heure du Covid-19 pour calculer le financement des hôpitaux ? Combien le tarif d’un séjour pour coronavirus ? Et combien le non-séjour dans cette aile vide qui attend le malade ? Et combien la déprogrammation des patients qui auraient dû subir leur intervention et ne pourront pas être hospitalisés car le légitime plan blanc vient percuter le flux dans la plomberie ? Les hôpitaux, en première ligne pour la prise en charge du coronavirus, seront-ils pénalisés financièrement ? Les hôpitaux gardant des lits vides en prévision d’un afflux éventuel de patients vont-ils avoir un plan d’économies pour cette baisse d’activité ?

Il faut des financements supplémentaires

L’épidémie n’en est pas à son pic et on peut d’ores et déjà en tirer des enseignements : il faut financer les hôpitaux indépendamment des séjours des patients, notamment en médecine générale. Le candidat Macron avait promis la fin du financement de l’hôpital public par la T2A, mais aucune proposition sérieuse alternative n’a été faite depuis trois ans.

Le gouvernement doit soutenir l’hôpital et annoncer un moratoire immédiat sur la T2A pour financer l’hôpital public en sus de mesures supplémentaires immédiates de financement. En Italie, 1 milliard d’euros a été débloqué d’urgence pour les hôpitaux. En France, la situation est analogue et il faudra, de plus, un plan pluriannuel de recrutement et de revalorisation des personnels. Il s’agit de 3 milliards à 4 milliards, c’est beaucoup mais c’est indispensable. Il faut très vite recruter les 40 000 infirmières qui sont nécessaires à l’hôpital. Il faut rouvrir les lits fermés faute de personnel. Mais aussi remplacer les infirmières en arrêt maladie ou en congé de maternité, pour obtenir des ratios d’effectifs supportables au regard du nombre de lits, y compris en psychiatrie, qui est sous-dotée et asphyxiée.

Le plan blanc était la réponse attendue mais il finit d’épuiser les soignants qui fuyaient déjà, avant même l’épidémie, des conditions de travail difficiles. Le gouvernement doit proposer au Parlement un correctif budgétaire pour augmenter immédiatement l’objectif national des dépenses d’assurance-maladie (Ondam) afin de financer l’hôpital en fonction de ses besoins.

André Grimaldi, professeur, diabétologue, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris ;

Anne Gervais Hasenknopf, médecin, hépatologue, hôpital Louis-Mourier, Colombes (Hauts-de-Seine) ;

Olivier Milleron, médecin, cardiologue, Bichat-Claude-Bernard, Paris.


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