La grave toxicité du plomb ou les écosystèmes français plombés par la chasse

mardi 10 mars 2020.
 

Chaque mois, Libération creuse une thématique environnementale. Premier épisode : la chasse est-elle écolo-compatible ?

La toxicité du métal, le plomb, est connue depuis longtemps, pour l’homme mais aussi pour l’environnement.

Il se répand dans la nature, les sols et les cours d’eau. Dans les carcasses des animaux et même chez l’homme. Le plomb est un poison sournois, déversé à hauteur de 8 000 tonnes chaque année en France par les adeptes de la chasse et du ball-trap, selon un chiffre relayé par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), et environ 21 000 tonnes dans toute l’Union européenne, d’après un rapport de l’Agence européenne des produits chimiques (Echa).

C’est aussi sans compter les amateurs de tir sportif qui consomment à eux seuls environ 10 000 à 20 000 tonnes de plomb par an, toujours dans l’UE, et les pêcheurs au plomb qui en répandent entre 2 000 et 6 000 tonnes dans la même zone, toujours selon l’Echa. C’est dans ce contexte que les experts des 27 Etats membres de l’Union européenne (UE) ont débattu le 4 février à Bruxelles sur la proposition législative de la Commission d’interdire la grenaille de plomb dans les zones humides pour éventuellement la soumettre à un vote.

Selon Ariel Brunner, à la tête de Birdlife Europe, la France, qui l’a pourtant elle-même interdit dans ses zones humides, aurait fait basculer les débats en mentionnant qu’elle s’abstiendrait si un tel suffrage devait avoir lieu, renvoyant le sujet aux calendes grecques.

« Trouver un substitut pas trop cher »

La toxicité du métal est documentée depuis longtemps. En attestent les diverses publications plus ou moins récentes de l’Inserm (1999), de l’Agence nationale de sécurité sanitaire alimentaire, de l’environnement et du travail (Anses, mars 2018) ou encore de l’Echa (septembre 2018). C’est ce qui a conduit, petit à petit, à le retirer des peintures, des plomberies et de l’essence, rappelle dans un courrier daté de 2015 la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), mais il est toujours présent dans les cartouches des fusils, faute d’avoir trouvé une alternative convenable, selon les principaux intéressés. « Trouver un substitut pas trop cher qui n’ait pas d’autre effet toxique à la fois sur les sols et la venaison, ça prend du temps, se défend Thierry Coste, de la puissante Fédération nationale des chasseurs. On y réfléchit constamment avec les industriels. » Il existe bien des munitions supposées moins polluantes, au bismuth ou tungstène. Mais c’est encore trop cher selon les chasseurs et surtout, ça ne s’adapte pas sur tous les modèles de fusil, embraie notre interlocuteur. « Une fausse excuse », rétorque Pascal Orabi de la LPO. L’Echa planche aussi sur la question. La semaine du 10 février, elle a convié tout un tas d’acteurs, comme l’Autorité européenne de sécurité des aliments, l’Union internationale de biathlon mais aussi des organisations de chasse finlandaises et allemandes, des ONG, etc. afin de brainstormer autour d’une « proposition de restriction au plomb en grenaille dans des environnements terrestres ».

Pour l’instant, un arrêté ministériel du 9 mai 2005 interdit en France depuis le 1er juin 2006, l’emploi de la grenaille de plomb dans les zones humides mentionnées à l’article L.424-6 du code de l’environnement, pour éviter le risque de saturnisme (intoxication au plomb) des oiseaux. Bien souvent, les oiseaux d’eau (oie, canard…) confondent les grains de plomb avec des grains de cailloux qu’ils mangent. Selon l’Echa, cette dissémination causerait la mort accidentelle d’un à deux millions d’oiseaux chaque année. En revanche, le tir à balle de plomb du grand gibier demeure autorisé sur ces zones. A l’étranger, la munition au plomb est totalement interdite dans la partie flamande de la Belgique, au Danemark et aux Pays-Bas.

Le gibier sauvage, une viande à risques

Autre problème, et non des moindres : le grand gibier sauvage (sangliers, cerfs, chevreuils…) présente un risque sanitaire, notamment pour les chasseurs et leur entourage qui consomment régulièrement leur viande. Le risque est accru pour les populations considérées comme vulnérables, les femmes en âge de procréer et les enfants. « Quelle que soit la matrice observée, le gibier sauvage présente des concentrations en plomb supérieures à celles observées chez les animaux de boucherie » et le gibier d’élevage, peut-on lire dans le rapport de l’Anses. Une conséquence qui semble surtout liée « au phénomène de fragmentation des munitions et de dissolution des fragments ». C’est pourquoi, l’Anses recommande de limiter la consommation à trois fois par an maximum et pour les populations vulnérables d’éviter toute ingestion.

Directeur général de la LPO, Yves Verilhac rappelle que le candidat Emmanuel Macron s’était engagé personnellement par écrit à « étendre l’interdiction des munitions qui contiennent du plomb à l’ensemble du territoire » et qu’à ce jour « et malgré plusieurs relances, il n’a toujours rien fait ». En attendant, deux expérimentations de balles sans plomb conduites avec le parc national des Cévennes (PNC) ont eu lieu en Lozère sur les périodes 2017-2018 et 2018-2019, indique l’association en lien avec les fédérations de chasseurs départementales. Les 51 chasseurs de grand gibier choisis pour tester ces nouvelles munitions se sont dits globalement satisfaits par la précision, la performance létale et l’impact sur la venaison, d’après une enquête menée par le PNC. Quant à la problématique du coût soulevée par la Fédération nationale des chasseurs, la LPO rétorque par la voix de Pascal Orabi : « Notre fournisseur qui a travaillé sur cette expérimentation sans plomb s’engage à faire -22% sur leur note. »

Aurore Coulaud

• « Les écosystèmes français plombés par la chasse ». Version réactualisée d’un article publié en février 2019. Libération. 19 février 2020 à 18:13 (mis à jour le 21 février 2020 à 14:17).


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