Un an après la révolution en Algérie : « Le peuple est devenu maître de son avenir »

mercredi 4 mars 2020.
 

Que reste-t-il de la révolution algérienne un an après le début du soulèvement du 22 février qui a poussé le président Bouteflika à quitter le pouvoir ? Spécialiste de l’Algérie, le journaliste Farid Alilat qui publie Bouteflika, l’histoire secrète (éditions du Rocher), revient sur les douze mois d’un mouvement inédit.

Harassé par les vingt années de règne d’Abdelaziz Bouteflika (1999-2019), le peuple algérien entamait le 22 février 2019 une révolte massive et inédite qui fera tomber le clan du raïs en quarante jours.

Le journaliste Farid Alilat a suivi pour Jeune Afrique la présidence de ce personnage hors norme dont le destin s’est lié, ces deux dernières décennies, à celui de l’Algérie. Il revient dans son essai Bouteflika, l’histoire secrète (éditions du Rocher) sur la trajectoire de ce président déchu, « arrivé debout et reparti sur une chaise roulante ». Affaibli par la maladie ces dernières années, il a laissé un pays en ruines, et en même temps, son départ a redonné un espoir indédit depuis l’indépendance.

Il y a un an débutait un soulèvement du peuple algérien. Quelle lecture en faites-vous ?

Pour moi, c’est bien une révolution, je n’utilise pas le terme « Hirak ». Parce que cette révolution pacifique et joyeuse a chassé un homme du pouvoir après vingt ans de présidence. Il voulait rester le plus longtemps possible en dépit de son état de santé précaire. Il a même changé la constitution pour s’offrir une présidence à vie.

Qu’a apporté cette révolution ?

Elle a empêché ce clan de se perpétuer au pouvoir et permis au peuple de récupérer ce dont ils ont été privés, c’est-à-dire l’espace public, la parole et même le drapeau. Elle a mis un terme à la présidence à vie et offre aux Algériens la possibilité d’une alternance au pouvoir. De se réapproprier l’histoire, la mémoire, de mettre fin à la légitimité historique qui était un fonds de commerce des responsables depuis 1962.

Vous avez suivi la présidence de Bouteflika durant vingt ans. Avez-vous été surpris que l’annonce de sa candidature à un cinquième mandat provoque sa chute et, plus largement, un tel mouvement ?

Je m’attendais à ce qu’il fasse un cinquième mandat, je l’ai toujours écrit. Bouteflika c’est d’El-Mouradia (le palais présidentiel) à El-Alia, le cimetière. Pour lui, le pouvoir se prend et ne se rend plus. Donc il était là pour durer le plus longtemps possible, rester au pouvoir et avoir des funérailles nationales. Le reste n’est pas son problème. J’étais à Alger le jour de l’annonce de sa candidature. Pour être sincère, je n’ai jamais prédit une révolution. Je savais que la colère était grande, qu’il y avait un fort ressentiment et rejet de ce qu’incarne ce pouvoir. Celui a pu dire avant qu’il y aurait une révolution d’une telle ampleur est un menteur. J’estime que cette révolution est une grossesse qui a duré des années, et c’est Bouteflika qui l’a ensemencée. Cette candidature a été l’étincelle. Les choses se sont accumulées au fil des années, notamment pendant le dernier mandat. Cette révolution n’attendait qu’un déclic, ç’a été sa candidature.

Sa présidence a résisté à tous les soubresauts, son régime était ultra verrouillé, opaque. Comment a-t-elle pu s’effondrer en si peu de temps ?

Pour moi, Bouteflika n’a pas bâti un État, il n’a pas travaillé pour construire des institutions qui lui survivraient. Il a bâti un système pour se maintenir au pouvoir le plus longtemps possible. Au fil des années, ce système s’est fissuré de l’intérieur. Les hommes qui étaient les piliers ont été usés comme lui, les Algériens ne pouvaient plus les supporter. Ce système ne reposait pas sur du solide mais sur la soumission, l’allégeance, la corruption. Sans préjuger des dossiers dans lesquels ils sont poursuivis : vous imaginez qu’aujourd’hui en prison il y a deux Premiers ministres, une quinzaine de ministres, un ancien patron de la police et une dizaine des plus importants hommes d’affaires d’Algérie. Je crois que dans l’histoire contemporaine, on n’a jamais vu autant de dirigeants jetés en prison, c’est du jamais vu.

Et tout s’est effondré en quarante jours...

Quand on bâtit une présidence sur le clientélisme, le népotisme, vous ne construisez rien de solide. Tous les cercles d’influence autour du chef de l’Etat ne travaillaient que pour son maintien au pouvoir. Au bout d’un moment, les Algériens ont vu que ces hommes là ne servaient que les intérêts de Bouteflika et les leurs. Donc je ne suis pas étonné que le pouvoir de Bouteflika se soit écroulé en quarante jours. Il était au service d’un homme et de son clan.

Votre livre s’intitule Boutelfika, l’histoire secrète. C’est la première biographie de ce personnage qui a traversé les décennies depuis l’indépendance. Pensez-vous avoir percé le mystère ?

Je n’ai pas la prétention de dire que je l’ai percé parce qu’on ne peut pas résumer la vie d’un homme de 83 ans dont plus de soixante ans de vie politique dans un livre. J’ai essayé d’approcher ce personnage qui a eu plusieurs vies, qui a traversé l’histoire de l’Algérie bien avant l’Indépendance, par le biais de personnes qui l’ont connu, côtoyé. Il y a beaucoup de révélations que l’on ne connaissait pas. En racontant le récit de cette vie qui a commencé au Maroc et cette présidence qui s’est terminé dans sa résidence médicalisée, vous découvrez beaucoup de chose sur lui.

Un président a été élu en décembre dernier sur fond d’abstention record. Est-il condamné à l’échec ?

Une chose est sûre, Abdelmadjid Tebboune va souffrir durant tout son mandat d’un déficit de légitimité dans la mesure où il a été élu dans une élection largement contestée. Maintenant, outre ce qu’il s’est engagé à accomplir, il est encore trop tôt pour dire s’il est capable de le faire. Les Algériens ne sont pas satisfaits de ses premiers pas mais il y a tant d’espérance. Ils disent : « Nous avons fait une révolution qui a chassé le pouvoir, nous avons le droit et le devoir d’écrire notre propre destin ».

Le mouvement doit-il être incarné ?

Il ne m’appartient pas de le dire. Toutes les solutions sont bonnes pour peu qu’elles soient consensuelles et qu’elles conduisent à une rupture pacifique avec l’ancien régime vers une nouvelle république. A mon avis, de journaliste, il faut exploiter toutes les options pour asseoir cette république pour laquelle des millions d’Algériens sont sortis dans les rues depuis un an.

Cette révolution est-elle une deuxième indépendance ?

Quand on parle d’indépendance, on fait le parallèle avec 1962. Ce n’est pas tout à fait pareil. Les Algériens avaient fait la guerre pour en finir avec un système colonial vieux de 132 ans. Je dirais qu’ils en ont fini avec la dépendance vis-à-vis de Bouteflika, les hommes avec lesquels il a travaillé et la présidence à vie. Cela a donné aux Algériens la possibilité d’être maîtres de leur avenir.

Comment imaginez-vous la suite ?

Je n’ai pas pu prédire la révolution donc je ne sais ce qu’il va se passer. Mais je constate que les Algériens restent mobilisés, ils manifestent le vendredi et le mardi. La mobilisation est là et elle reste conséquente.

Quelle image l’Algérie gardera-t-elle de Bouteflika ?

Je pense que les Algériens garderont l’image de Bouteflika arrivé debout et reparti sur une chaise roulante.

Propos recueillis par Malik Kebour

Bouteflika, l’histoire secrète. De Farid Alilat, éditions du Rocher. 400 p., 22,90 euros.


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