Les richissimes grandes sociétés pharmaceutiques :ont préféré distribuer milliard après milliard à leurs dirigeants et leurs actionnaires plutôt que dans la recherche.
L’émission LSD du 20/02/2020 de France Culture a diffusé une bonne enquête documentaire sur l’industrie pharmaceutique.
La Série Documentaire (LSD) a diffusé une émission sur le thème : Soigner ou vendre, l’interrogation ». Il est question du fonctionnement capitalistique de l’industrie pharmaceutique.
Il est notamment question de la puissance financière, juridique et de la capacité d’influence considérable sur le pouvoir politique des trusts pharmaceutiques.
On peut réécouter l’émission avec le lien suivant :
https://www.franceculture.fr/emissi...
HD
Textes COMPLEMENTAIRES
L’industrie pharmaceutique soumise à la rapacité des capitalistes (octobre 2019, extrait)
Après les scandales du Mediator, de la Dépakine, du Levothyrox, l’actualité des dernières semaines a encore une fois été riche en affaires sanitaires. Des médicaments à base de Valsartan, un produit contre l’hypertension artérielle, ont été retirés du marché parce qu’ils contiendraient des substances cancérigènes ; plusieurs médias ont mis au jour le scandale de l’absence de contrôle des implants médicaux ; la presse fait régulièrement état des ruptures de stock pour de nombreux médicaments et vaccins.
Ces scandales sanitaires sont particulièrement choquants parce qu’ils touchent à la santé, mais ils ne sont pas différents ni finalement plus scandaleux que ceux du Dieselgate, de l’écroulement du pont de Gênes, de la vache folle, de l’amiante, de la contamination du lait Lactalis pour bébés ou encore de la pollution des fonds marins par les plastiques. Toutes ces affaires ne sont que l’écume d’un scandale de fond, celui de l’économie capitaliste qui fait du profit sur tout, sans aucun respect pour rien.
Pourtant, les patrons de l’industrie pharmaceutique choisissent leurs mots pour vanter le côté noble de leur activité. Ils parlent de laboratoires pharmaceutiques, alors qu’il y a belle lurette qu’ils ne sont plus des laboratoires et à peine un peu moins longtemps qu’ils ne sont plus dirigés par des pharmaciens. Ils s’intronisent entreprises de la santé, cela fait plus respectable. Des termes spécifiques sont employés comme visiteurs médicaux à la place de représentants de commerce ou préparateurs en pharmacie pour parler des vendeurs, alors qu’ils ne préparent plus grand-chose dans les arrière-boutiques des officines.
Tous parlent de donner la priorité à la santé, comme le patron du LEEM, le syndicat patronal des entreprises du médicament, qui a introduit l’an dernier ses vœux à la presse par la phrase : « Et si l’on misait sur la santé ? » On ne peut évidemment pas les croire, sauf à prendre le verbe miser dans le sens parier, jouer, investir en espérant de gros gains. Car c’est cela qui intéresse les entreprises pharmaceutiques, et non d’assurer à tous un accès à des soins de qualité et à des médicaments efficaces, à prix raisonnable. Non, la santé n’est pas leur priorité. Leur priorité, comme celle de tous les industriels, c’est de gagner de l’argent. L’industrie pharmaceutique est simplement une industrie qui a choisi de vendre des marchandises dénommées médicaments, le fait qu’elles soignent étant en fait une sorte d’effet secondaire.
Le secteur pharmaceutique se porte très bien. Il a même été classé par le magazine américain Forbes comme le secteur le plus rentable, devant la finance, l’industrie de luxe et l’énergie. En 2017, les ventes mondiales de médicaments ont représenté 1 200 milliards de dollars, soit l’équivalent du produit intérieur brut de l’Espagne. C’est 6 % de plus qu’en 2016 et trois fois plus qu’il y a quinze ans. Cette progression devrait continuer et les ventes atteindre les 1 400 milliards de dollars en 2021.
Les médicaments sont bien sûr des produits extraordinaires, et il faut insister sur ce point. C’est justement pourquoi il est particulièrement choquant que la découverte, la fabrication et la distribution de biens si essentiels soient tributaires d’un système économique ayant pour seule boussole le profit et que, par conséquence, l’ensemble de l’humanité ne puisse pas en bénéficier.
Les débuts de l’industrie pharmaceutique
Les médicaments ont existé bien avant que la révolution industrielle transforme la pharmacie en une véritable industrie. De tout temps, des tisanes, des décoctions, des cataplasmes, des onguents ont été utilisés pour soulager ou pour soigner. Ainsi les feuilles de saule étaient connues depuis l’Antiquité pour faire baisser la fièvre et combattre la douleur.
Le médicament moderne date en réalité du 19e siècle.
De nombreux principes actifs furent alors isolés à partir des plantes : la morphine et la codéine à partir du pavot, la digitaline (utile contre l’insuffisance cardiaque) de la digitale, la quinine (un produit efficace contre le paludisme) de l’écorce de quinquina. Ces principes actifs étaient extraits, purifiés et fabriqués industriellement, permettant des dosages beaucoup plus précis que dans les infusions ou les décoctions de plantes. En France, dès 1824 une fabrique, la fabrique Pelletier préparait industriellement de la quinine et dix ans plus tard, la première fabrique d’extraits de plantes médicinales était créée.
Puis, avec le développement de la chimie, de nombreux produits furent synthétisés, comme la célèbre aspirine, produite par les usines Bayer en Allemagne. L’industrialisation fut aussi stimulée par les découvertes faites en microbiologie, c’est-à-dire dans le monde des micro-organismes. Ce furent en particulier les travaux des équipes de Louis Pasteur en France et de Robert Koch en Allemagne, qui conduisirent à la mise au point de vaccins et de sérums.
Grâce aux progrès techniques et à la mécanisation, des médicaments furent alors fabriqués en plus grande quantité et de façon plus standardisée. L’invention du comprimé, fait de poudre compactée (comprimée), permit d’obtenir des médicaments se conservant mieux et plus longtemps. En même temps, le développement des transports ferroviaires et maritimes facilita leur diffusion sur de vastes territoires.
La taille des entreprises augmenta progressivement. Si en 1860 les laboratoires occupaient rarement plus d’une quinzaine de personnes, vers 1900 l’effectif était souvent passé à 50 employés, voire davantage dans quelques grandes entreprises comme la Pharmacie centrale de France qui avait des locaux à Paris et à Saint-Denis, les établissements Poulenc à Ivry-sur-Seine ou encore la Société chimique des usines du Rhône à Saint-Fons, près de Lyon.
Cela dit, au tournant du 20e siècle, on ne disposait pratiquement d’aucun des médicaments les plus couramment employés aujourd’hui. C’était encore un monde sans antibiotique, pratiquement sans vaccin excepté contre la variole, sans insuline ni aucun antidiabétique, sans anticoagulant, sans cortisone, sans pilule contraceptive, sans médicament contre l’hypertension artérielle, sans chimiothérapie anticancéreuse et même sans paracétamol.
De ce fait, une opération de chirurgie digestive était souvent mortelle par infection, les diabétiques étaient condamnés à mort à brève échéance, il n’existait aucun moyen de fluidifier le sang et d’éviter la récidive d’un accident vasculaire cérébral ou d’un infarctus, les enfants en bas âge mouraient fréquemment d’infections digestives ou respiratoires. Quant aux jeunes que l’on croisait sur leur fauteuil roulant, ce n’étaient pas des accidentés de scooter mais des malades atteints de poliomyélite.
C’est en Allemagne que l’industrie pharmaceutique s’est développée le plus tôt. Dès les années 1880, de grandes usines chimiques comme Bayer ou Hoechst se tournèrent vers la fabrication de médicaments. Elles embauchèrent des ingénieurs, des pharmaciens, des chimistes issus des universités. La Grande-Bretagne et les États-Unis suivirent cet exemple.
En France, l’industrie resta à la traîne. Jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, seuls quelques médicaments provenaient des grandes usines chimiques. C’était le cas de l’aspirine qui, depuis 1908, était fabriquée par les Usines du Rhône à Saint-Fons sous le nom de Rhodine. Puis après la Première Guerre mondiale, lorsqu’en vertu du traité de Versailles les brevets industriels allemands tombèrent dans le domaine public, elle fut commercialisée sous la dénomination Aspirine Usines du Rhône.
Mais entre les deux guerres le fabricant de médicaments français -on disait alors de spécialités médicales- était souvent encore un pharmacien d’officine ou un médecin hospitalier qui avait la recette d’un ou deux produits. La fabrication se faisait en série, de façon plus ou moins reproductible, dans de très petites unités de production, parfois attenantes à la boutique du pharmacien.
Les spécialités médicales étaient très nombreuses et probablement pas toutes très efficaces. Le Vidal, le gros livre rouge qui sert toujours de bible aux médecins pour prescrire, comportait plus de 7 000 noms de médicaments dans son édition de 1933. Il n’y en a plus que 4 600 dans l’édition 2019.
Certains médicaments étaient particulièrement populaires et connus grâce à la publicité. Celle-ci n’était pas réglementée et les réclames s’étalaient partout, sur des affiches, dans la presse, dans les almanachs alors très répandus, ou encore sur les buvards et les bons points distribués aux écoliers.
Tout cela changea pendant la Deuxième Guerre mondiale et les années qui suivirent. Le développement de l’industrie pharmaceutique s’est alors accéléré dans tous les pays industrialisés, France comprise, et le secteur attira des capitaux de plus en plus importants.
Les antibiotiques ont joué un rôle moteur dans cette croissance. La pénicilline, l’antibiotique le plus universellement connu, avait été découverte en 1928 par un biologiste anglais, Alexander Fleming. Dans les boîtes en verre sur lesquelles il cultivait des souches bactériennes, il avait remarqué que des moisissures bloquaient le développement, la reproduction de ces bactéries. Mais pour passer de l’observation du rôle de cette moisissure, le penicillium, à l’extraction de la substance inhibant la croissance, puis de l’extraction à la fabrication de masse de la pénicilline, il a fallu bien des étapes et surtout beaucoup d’argent.
C’est l’État américain qui, à partir de 1942, organisa la production de pénicilline à grande échelle. Il impliqua les grandes firmes pharmaceutiques, les Merck, Pfizer, Bristol-Myers-Squibb, Abbott, Lilly, des noms qui sont aujourd’hui encore ceux des plus grands laboratoires.
On était en pleine guerre et la pénicilline fut alors considérée comme une substance stratégique, d’abord réservée à l’armée. Les soldats américains disposèrent de la pénicilline lors du débarquement de Normandie. L’année suivante, en 1945, les civils américains en bénéficièrent à leur tour. En Europe, ce fut seulement à la fin des années 1940 que les malades purent être traités par la pénicilline puis, au fur et à mesure de leur découverte, par d’autres antibiotiques.
Les antibiotiques sont alors devenus des produits phares, fabriqués de façon massive dans plusieurs usines des pays développés. À leur suite, de nombreux autres nouveaux médicaments furent mis sur le marché : la cortisone dans les années 1950, le vaccin contre la poliomyélite en 1955, le premier traitement contre l’hémophilie en 1957, la pilule contraceptive en 1960, les premiers médicaments contre la maladie de Parkinson à la fin des années 1960, les antihypertenseurs et les anticoagulants dans les années 1970.
La réglementation sur la fabrication et la vente du médicament a évolué au fil du temps. Mais une constante demeure : l’État a toujours été partagé entre d’une part le désir de laisser les fabricants agir à leur guise, en leur permettant de s’enrichir comme bon leur semblait et d’autre part la nécessité de ne pas les laisser entièrement libres et de leur imposer certaines limites, certaines règles sanitaires. Du visa à l’AMM, l’autorisation de mise sur le marché
Ces hésitations datent même d’avant l’ère de l’industrialisation.
Ainsi, pendant la Révolution française, les bourgeois avaient proclamé la liberté de commerce, la liberté d’entreprendre sans aucune contrainte de la part de l’État mais, dès avril 1791, craignant les abus et les charlatans, ils faisaient marche arrière et rétablissaient le monopole du pharmacien, le seul autorisé à fabriquer et vendre des médicaments.
Douze ans plus tard, la loi de germinal 1803 confirmait ce monopole et instituait un diplôme d’État en créant des écoles nationales de pharmacie à Paris, Montpellier et Strasbourg. Cette loi allait rester en vigueur jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, jusqu’à ce que, en 1941, le gouvernement de Vichy crée un visa pour les médicaments. Le visa était à la fois la garantie pour l’industriel que son produit ne soit pas copié et une autorisation de commercialisation. Pour obtenir le visa, le fabricant devait garantir que son médicament n’était pas toxique. Mais rien n’était précisé sur la façon de le prouver.
Si les lois et les règlements ne sont pas créés sans raison dans l’industrie pharmaceutique, il est frappant de voir à quel point les évolutions réglementaires ont suivi l’histoire des scandales sanitaires.
Certes, à l’époque des apothicaires ou aux temps glorieux du Far West, il y eut probablement bien des accidents et des effets indésirables chez les utilisateurs de potions maison à base de venin de vipère, de poudre d’opium ou autres ingrédients animaux ou végétaux. Mais avec l’industrialisation, les affaires ont pris une tout autre ampleur.
Aux États Unis, la FDA, la Food and Drug Administration (Agence des produits alimentaires et des médicaments), fut créée en 1906, à la suite de la description des pratiques scandaleuses des abattoirs de Chicago, dénoncées par l’auteur socialiste Upton Sinclair dans son roman La Jungle. Depuis, la FDA contrôlait les abus et les fraudes dans le domaine de l’alimentation et un peu dans celui du médicament.
Trente ans plus tard, en 1937, un scandale bouleversa l’opinion publique américaine. Un sirop provoqua la mort d’au moins une centaine d’enfants. Il contenait de l’antigel ! Une nouvelle loi élargit alors les prérogatives de la FDA au contrôle des médicaments avant leur commercialisation. Pour réaliser les tests de toxicité des nouveaux produits mis sur le marché, la FDA voulut embaucher des scientifiques. Mais les industriels s’insurgèrent au nom de la violation du secret commercial. Finalement, après des années de négociations, les entreprises pharmaceutiques furent autorisées à réaliser elles-mêmes les tests, la FDA ne contrôlant les dossiers que dans un deuxième temps. Ce principe général de vérification a posteriori, selon les données fournies par les fabricants, n’a pas changé depuis, même si les modalités de contrôle ont été renforcées au cours des années.
Les grandes lignes de la réglementation actuelle sur le médicament datent de la fin des années 1960 et des années 1970. Encore une fois, la loi s’est imposée après un scandale, celui de la Thalidomide.
La Thalidomide était un médicament proposé pour de multiples indications allant de l’anxiété au défaut de concentration, en passant par la grippe, l’hyperthyroïdie ou les maux d’estomac. Une importante campagne publicitaire encouragea les médecins à le prescrire aux femmes enceintes souffrant de nausées. Dès 1957, les premiers effets nocifs étaient signalés : la Thalidomide provoquait d’importantes malformations chez les bébés, qui naissaient sans bras ou sans jambes ou avec des anomalies des organes internes souvent mortelles. Au moins 10 000 enfants ont été touchés, principalement en Grande-Bretagne, en Allemagne et au Japon, où le médicament a été commercialisé jusqu’en 1963.
C’est à la suite de ce scandale sanitaire mondial que la FDA a demandé aux industriels de renforcer leurs contrôles sur les médicaments, en testant leur toxicité sur différentes espèces animales et aussi, pour la première fois, de prouver leur efficacité sur l’espèce humaine. Ce n’était qu’à ce prix qu’ils pourraient désormais obtenir une autorisation de mise sur le marché.
Encore une fois, il a fallu bien des négociations pour que les industriels obtempèrent. Finalement, à la fin des années 1960, tous les pays industriels se sont dotés d’agences de contrôle plus ou moins calquées sur la FDA et de procédures d’autorisation de mise sur le marché. En France, cela date d’une ordonnance de 1967, mais les choses ont traîné en longueur et les industriels ne se sont pliés à la nouvelle réglementation que dans les années 1970.
Depuis, pour être autorisé à commercialiser un nouveau médicament, le fabricant doit présenter un dossier complet comportant des données sur le mécanisme d’action du produit, sur la façon dont il pénètre dans le sang et est absorbé par l’organisme, ainsi que les résultats de tests de toxicité effectués sur l’animal.
Il doit aussi fournir les résultats d’essais réalisés sur l’homme, qu’on appelle les essais cliniques. Ils se déroulent en plusieurs phases : d’abord sur des volontaires sains censés être informés et consentants, puis sur un petit nombre de malades pour affiner les doses, enfin sur un grand nombre de malades, en comparant le candidat médicament soit à un placebo, soit, si c’est possible, à un autre produit utilisé habituellement dans ce type de maladie.
Si tout est conforme, le nouveau médicament reçoit une AMM, une autorisation de mise sur le marché. En France, elle est délivrée par l’Agence française du médicament (qui aujourd’hui s’appelle l’ANSM), ou le plus souvent par l’Agence européenne du médicament, dont le siège est encore pour quelques semaines à Londres, avant de déménager à Amsterdam pour cause de Brexit.
Dernière étape du parcours du médicament, cette fois après sa commercialisation : la surveillance des effets indésirables qui risquent de se produire puisqu’on est dans la vraie vie et que des dizaines de milliers de personnes vont utiliser ce produit. C’est la pharmacovigilance.
À la fin des années 1960 et au début des années 1970, à l’époque où les contrôles se sont renforcés, les industriels ont obtenu en retour ce qu’ils réclamaient depuis longtemps : un brevet sur les médicaments.
Aujourd’hui, on entend assez souvent parler de la « défense de la propriété intellectuelle » ou de « breveter le vivant ». Pourtant ces idées, loin d’avoir toujours existé, sont au contraire très récentes.
Avant la Deuxième Guerre mondiale, en France, le pharmacien qui commercialisait une spécialité pouvait garder sa formule secrète mais, si le médicament était copié, il n’avait aucun recours. Jusqu’aux années 1960, rares étaient les médicaments qui, comme l’aspirine, avaient été brevetés. La pénicilline, la cortisone, la plupart des vaccins ne l’ont jamais été.
Cela paraissait même être une aberration pour la communauté scientifique, qui jugeait à juste titre qu’une découverte devait servir au plus grand nombre et que la santé était un bien public. En 1955 Jonas Salk, l’inventeur du vaccin contre la poliomyélite, répondit à un journaliste qui lui demandait qui détenait le brevet du vaccin : « Eh bien je dirais le peuple. Il n’y a aucun brevet. Est-ce que vous pourriez breveter le soleil ? »
Et c’est logique. Les découvertes scientifiques appartiennent à l’ensemble de l’humanité. Aucune d’entre elles n’aurait pu avoir lieu sans l’apport de toutes celles qui l’ont précédée. L’expression « sur les épaules des géants » utilisée à la fois par Blaise Pascal, Isaac Newton, par l’astrophysicien Stephen Hawking, ou reprise en « sur les épaules de Darwin » par le médecin et chroniqueur radio Jean-Claude Ameisen, exprime bien cette reconnaissance des scientifiques à l’égard de tous leurs prédécesseurs.
Pourtant, aujourd’hui, quasiment toutes les découvertes sont brevetées. Depuis les années 1990, plusieurs accords commerciaux internationaux ont même renforcé les droits sur la propriété intellectuelle. Le contrôle sur les prix des médicaments
Un autre aspect de la réglementation concerne le contrôle du prix des médicaments.
Cela varie selon les pays. Aux États-Unis, il n’y a pas de négociation de prix au niveau gouvernemental. Seules les assurances privées exercent une petite pression sur les industriels afin de limiter les remboursements à leurs assurés. Résultat : les médicaments y sont vendus en moyenne deux fois plus cher qu’en Europe.
Dans bien des pays, les médicaments sont disponibles uniquement pour ceux qui peuvent les payer. Pour les autres, pour les pauvres, il reste l’hôpital, quand il existe et qu’on peut y accéder, ou l’achat sur le marché noir, avec tous les risques que cela comporte de contrefaçons, de médicaments frelatés, inefficaces ou dangereux. D’après l’Organisation mondiale de la santé, dans un pays comme la Côte d’Ivoire, 30 % des médicaments seraient des contrefaçons. Sur l’ensemble du continent africain, les faux médicaments seraient responsables de 100 000 morts chaque année !
En France, la plupart des médicaments sont pris en charge par l’Assurance maladie et l’État exerce donc un certain contrôle sur leurs prix.
La Sécurité sociale, mise en place en 1945, est souvent présentée comme une conquête de la classe ouvrière, durement acquise par la lutte. En réalité, il n’y eut ni lutte ni conquête. La Sécurité sociale a été, pour la bourgeoisie, le prix à payer pour que l’économie soit reconstruite, redémarre en faisant travailler la classe ouvrière au moindre coût. L’État, en tant que défenseur des intérêts généraux de la bourgeoisie, a institué une sorte de caisse commune permettant aux patrons de ne pas verser à chaque travailleur un salaire suffisant pour faire face à la maladie et aux accidents. Il a pris en charge ce que la bourgeoisie aurait dû payer. Pour les laboratoires pharmaceutiques, la Sécurité sociale fut une aubaine qui leur permit d’accéder à un vaste marché protégé, celui des médicaments remboursés.
Le marché du médicament est très particulier. Sauf pour les médicaments en vente libre et non remboursables, le consommateur, c’est-à-dire le malade, ne choisit pas directement, c’est le médecin qui choisit en rédigeant son ordonnance. En France, il peut sélectionner un produit parmi les spécialités existantes. Aux États Unis, il choisit dans une liste de médicaments pris en charge par l’assurance du patient, cette liste n’étant pas identique pour un malade ayant souscrit une assurance différente.
Ensuite, toujours en France, le pharmacien délivre le médicament prescrit ou un générique, s’il existe, et dans ce cas le choix du générique est fonction des marges que le pharmacien a pu obtenir chez tel ou tel fabricant. Enfin, ce n’est pas le malade qui paye directement, même si le reste à charge est de plus en plus important, mais la Sécurité sociale et les mutuelles. La fixation des prix
Un industriel peut fixer librement le prix de son médicament mais, s’il veut qu’il soit remboursé, il doit s’adresser à l’HAS, la Haute autorité de santé. Le dossier est alors pris en charge par une commission, dont le nom doit être le résultat d’une blague entre énarques puisqu’elle s’appelle Commission de transparence, alors que les discussions qui s’y déroulent ne sont pas publiques et sont même légalement protégées par le secret.
La Commission de transparence est chargée de noter le médicament en fonction du SMR, le service médical rendu, c’est-à-dire globalement son efficacité. Cela conditionne le taux de remboursement à 65 %, 30 %, 15 %, ou exclut le remboursement, si le service médical rendu est insuffisant. Puis une deuxième note est attribuée, celle de l’ASMR, l’amélioration du service médical rendu, en comparant le médicament à d’autres produits équivalents, s’ils existent. Pour finir, le prix est fixé par un Comité économique des produits de santé (CEPS) sur la base des avis de la Commission de transparence, des volumes de ventes envisagés et des prix pratiqués à l’étranger. Tout cela dans le cadre de véritables négociations avec l’industriel.
À noter le cas particulier des médicaments homéopathiques, qui bénéficient d’un statut dérogatoire à tous les niveaux. Des traitements homéopathiques sont remboursés à 30 % par la Sécurité sociale, alors qu’ils ne font l’objet d’aucune évaluation de leur efficacité et encore moins de leur amélioration du service médical rendu. Ils sont dispensés des essais cliniques, obligatoires pour les autres médicaments. Et pour cause : comparer un placebo à un placebo est plutôt difficile. En effet, dans les granules supposés contenir des principes actifs dilués à l’extrême, il n’y a plus rien, sinon du sucre. Aucune des études réalisées depuis des dizaines d’années n’a pu démontrer comment ces traitements pourraient fonctionner. Les défenseurs de l’homéopathie disent qu’absence de preuve ne signifie pas preuve de l’absence. C’est comme pour Dieu : il suffit d’y croire !
En France, depuis novembre dernier, un collectif de médecins s’est prononcé contre le remboursement de l’homéopathie, qui a coûté 129 millions d’euros à la Sécurité sociale en 2017. Les partisans du remboursement répondent que cela ne représente que 0,65 % du budget médicaments de l’Assurance maladie et que ces médicaments, s’ils ne sont pas efficaces, ne font pas grand mal.
La ministre de la Santé devrait rendre son verdict dans les prochaines semaines.
Ce qui est certain, c’est que pour les finances de la Sécurité sociale le problème n’est pas l’homéopathie, mais un certain nombre de nouveaux médicaments, vendus hors de prix.
Ces traitements, en général issus de biotechnologies et dits innovants, s’adressent à des patients atteints de maladies rares ou jusque-là incurables, comme des cancers avancés. Sous prétexte qu’ils sont indispensables, ces médicaments ont obtenu le droit d’échapper à un certain nombre de règles, et notamment celles qui régissent la fixation du prix. Leur prix est le résultat d’un pur marchandage.
Dans la négociation, la question que se posent les industriels est de savoir quelle est la somme maximale qu’un organisme de protection sociale peut se permettre de payer. Ils appellent cela « la propension à payer ». Ainsi en 2014 le Sovaldi, un traitement efficace contre l’hépatite C, avait été lancé sur le marché américain au prix de 84 000 dollars le traitement, soit 73 000 euros. Les pouvoirs publics français avaient refusé de payer une telle somme. Après négociations avec le fabricant, ils ont obtenu le traitement pour 42 000 euros ; il y avait de la marge ! Mais cela restait cher et, du coup, seuls les patients atteints de formes graves d’hépatite C avaient droit au médicament. Il a fallu la mobilisation d’associations de malades pour que finalement, depuis janvier 2017, tout le monde puisse être soigné.
Depuis, en matière de prix, le Sovaldi a été largement dépassé. Ainsi des traitements contre des maladies rares ou contre des formes particulières de cancers peuvent être proposés à plus de 300 000 euros le traitement. Aux États-Unis, il y a quelques mois, un médicament anticancéreux, le Kymriah, a été approuvé par la FDA au prix de 475 000 dollars le traitement.
Il n’y a pas que les nouveaux médicaments qui sont chers. Même de très vieux produits, très largement amortis, peuvent voir leur prix augmenter, dès lors qu’ils peuvent prétendre à la nouveauté. Un antibiotique connu depuis 1953, la Nitrofurantoïne, a ainsi vu son prix quadrupler aux États-Unis l’été dernier, pour la seule raison qu’il avait une nouvelle indication dans le traitement du cancer de la vessie. Le patron de l’entreprise qui commercialise ce produit a cyniquement expliqué que c’était « un devoir moral de faire de l’argent quand c’est possible et de vendre un produit au prix le plus élevé », concluant : « C’est une économie capitaliste. » La FDA a condamné ces propos, mais elle ne peut guère contester cette évidence.
Le médicament est une marchandise. Il s’adresse donc à un marché qui, du point de vue des industriels, doit être rentable. Pour eux, le marché le plus rentable au monde est celui des États-Unis. En 2017 les dépenses en médicaments y ont été de 1 100 dollars par habitant. En France, c’était 650 dollars, et seulement 200 dollars au Brésil, 110 en Chine et 20 en Inde.
Évidemment ce ne sont que des moyennes, qui masquent le fait que, partout, certains se soignent très bien et d’autres pas du tout. C’est ainsi que les États-Unis, le pays le plus rentable pour l’industrie pharmaceutique, sont classés au 35e rang mondial pour l’espérance de vie. La santé y est pratiquement entièrement aux mains du privé et près de la moitié des Américains sont obligés de renoncer à des soins médicaux.
C’est pourquoi il est révoltant d’entendre des discours sur le fait qu’on consommerait trop de médicaments, alors qu’une grande partie de l’humanité doit s’en priver parce qu’elle n’est pas considérée comme un marché solvable.
Dans nos pays riches, le cancer du sein est une maladie grave mais de moins en moins souvent mortelle. La même maladie chez une femme pauvre, dans un pays pauvre, équivaut pratiquement à une condamnation à mort. D’abord parce que le cancer est souvent découvert à un stade avancé, mais surtout parce que les chimiothérapies sont des traitements hors de prix et donc inaccessibles. De la même manière, la moitié des personnes atteintes du sida ne sont aujourd’hui pas soignées, parce que les traitements restent inabordables dans de vastes régions du monde. Pour l’industrie pharmaceutique, les pauvres ne sont pas des malades intéressants !
L’industrie se désintéresse de secteurs entiers, lorsqu’elle juge que le retour sur investissement n’en vaut pas la chandelle.
C’est le cas du secteur des antibiotiques. Si, il y a une vingtaine d’années, la quasi-totalité des grands laboratoires pharmaceutiques comptaient un département de recherche sur les antibiotiques, aujourd’hui ils sont moins de 30 % à avoir encore des chercheurs travaillant sur ces projets. Pourtant, on voit réapparaître des infections qui ne peuvent plus être soignées, faute d’antibiotiques efficaces, car de nombreuses bactéries sont devenues résistantes à tous les traitements. Les raisons en sont connues : la prescription des mêmes molécules depuis des années, une utilisation massive d’antibiotiques dans l’élevage animal et leur large diffusion dans l’environnement.
Il serait urgent de trouver de nouvelles classes d’antibiotiques, mais cela n’intéresse pas l’industrie car elle estime que la rentabilité n’est pas suffisante. On se dirige donc vers un désastre planétaire et prévisible, avec des infections qui seront de plus en plus graves et contre lesquelles l’humanité sera démunie, non faute de moyens, mais parce qu’on laisse les capitalistes libres de décider.
En revanche, d’autres marchés sont porteurs. C’est le cas des médicaments contre les maladies chroniques comme l’hypertension artérielle, le diabète et les maladies neurodégénératives, car ce sont là des traitements prescrits à vie et à un grand nombre de personnes. Et l’on pourrait aussi parler de tous les médicaments contre l’obésité, la dépression, l’anxiété, les troubles du sommeil ou de ceux qui font chuter le taux de cholestérol.
Dans ces domaines, les grands laboratoires se livrent à une concurrence féroce pour trouver le médicament miracle. Pas un miracle d’efficacité, mais un miracle de rentabilité. L’industrie appelle ces médicaments les blockbusters car, comme les films à grand spectacle, ils rapportent beaucoup, plus d’un milliard de dollars par an. Tous les grands laboratoires ont eu leurs blockbusters. Prozac, Viagra, Mopral, tous ces noms sont très connus parce qu’ils sont ou ont été des blockbusters, des médicaments très prescrits et qui ont fait gagner des fortunes à leurs fabricants.
La concurrence que se livrent entre elles les entreprises capitalistes, quel qu’en soit le secteur, est un véritable gâchis, mais elle est particulièrement aberrante et nuisible dans le domaine de la santé. C’est ainsi que des moyens techniques, des capitaux, l’intelligence de chercheurs, au lieu d’être mobilisés pour de véritables innovations, le sont pour mettre au point des produits quasi équivalents à ceux des firmes concurrentes afin de leur ravir des parts de marché. Ces médicaments, commercialisés sous différents noms mais de compositions quasi identiques, sont appelés des me-too, ce qui signifie « moi aussi » et qui pourrait être traduit par : « Moi aussi je veux ma part de profit ».
Un bon exemple de me-too est celui des traitements contre le cholestérol par des molécules qu’on appelle les statines. Elles sont quasiment toutes les mêmes, la principale particularité de la plus récente étant d’être la plus chère. Au fil des années, le taux de cholestérol sanguin considéré comme normal n’a cessé de baisser. Il y a trente ans, il était de 2,5 grammes par litre de sang, aujourd’hui, il est autour de 2 grammes. Par conséquent, le nombre de personnes ayant un taux de cholestérol supérieur à la normale a augmenté et le marché des statines s’est élargi. C’est ce qu’on appelle un marché porteur.
La publicité
Pour vendre leurs médicaments, et cela d’autant plus qu’ils ressemblent fort à ceux de leurs concurrents, les laboratoires pharmaceutiques ne lésinent pas sur les budgets de marketing et de publicité. Ces sommes représentent au moins 30 à 40 % de leurs dépenses.
Aux États-Unis, la publicité en direction du grand public est autorisée pour tous les médicaments, avec des affiches sur les murs, dans le métro, des spots télévisés, des annonces sur Internet.
En France, la publicité grand public est autorisée uniquement pour les médicaments vendus sans ordonnance. Du coup, les industriels ont appris à jouer sur tous les tableaux. Par exemple le Doliprane, puisqu’il est remboursé, est interdit de publicité. Mais depuis quelques années le fabricant Sanofi a mis sur le marché de nouvelles appellations, comme Doliprane Tabs (comprimés) et Doliprane Caps (gélules). Ils contiennent exactement le même principe actif que le Doliprane original, c’est-à-dire du paracétamol. Mais Sanofi n’a pas demandé leur prise en charge par l’Assurance maladie. Il peut donc en faire la publicité auprès du grand public et en fixer librement le prix.
Les réseaux de visite médicale
En revanche, pour les médicaments remboursés, la seule publicité autorisée est celle qui vise le corps médical, par l’intermédiaire de la presse spécialisée, d’Internet, ou directement en rendant visite aux médecins. En France, 12 000 visiteurs médicaux, toutes entreprises confondues, vont régulièrement à la rencontre des médecins. Les visiteurs médicaux étaient deux fois plus nombreux il y a quinze ans, avant les restructurations dans le secteur pharmaceutique et l’essor de la publicité par Internet.
Aujourd’hui, avec les réseaux de visite médicale, l’industrie cible de préférence les médecins spécialistes les plus connus, ceux qu’elle appelle les leaders d’opinion, plutôt que les généralistes. Ces médecins hospitaliers font référence et ils peuvent influencer les pratiques de leurs confrères. Ce sont également eux qui sont le plus souvent sollicités, dans le cadre de contrats de collaboration avec l’industrie, pour réaliser des essais cliniques pour de nouveaux médicaments ou pour mettre en place de nouveaux protocoles thérapeutiques. Les laboratoires invitent régulièrement ces spécialistes à participer à des congrès médicaux qui, entre autres, ont un rôle important dans la formation des médecins. En effet il n’existe quasiment pas de formation médicale continue publique pour les médecins en exercice. Ils se tournent donc vers celle dispensée par les laboratoires. Évidemment, si ces congrès se tiennent dans des endroits sympathiques, au soleil ou à la montagne, c’est mieux pour tout le monde. Il paraît que le bon air favorise la réflexion.
Des étudiants bien pris en charge
Les étudiants en médecine sont une autre cible privilégiée des laboratoires pharmaceutiques. Ils s’habituent dès leurs études à la présence des firmes privées à leurs côtés. À l’occasion de leurs stages à l’hôpital, ils trouvent naturel de recevoir des brochures et des aide-mémoire édités par les laboratoires et de discuter de façon conviviale avec des visiteurs médicaux qui ont apporté un petit-déjeuner ou un buffet. Les laboratoires les aident dans la soutenance de leur thèse de fin d’études et, jusqu’à tout récemment, Sanofi organisait des examens blancs dans différentes facultés françaises.
Les pouvoirs publics ont pris quelques mesures pour tenter de limiter l’influence des laboratoires. Ainsi, depuis 1993, la loi dite anticadeaux interdit les avantages qui n’ont pas trait à la profession du bénéficiaire. Interdiction d’offrir des bouteilles de champagne en fin d’année, mais pas de financer un voyage pour une conférence scientifique au bout du monde. Les cadeaux autres que les gadgets (stylos, blocs-notes, clés USB…) sont interdits. Les médecins doivent déclarer sur le site Internet transparence santé.fr tout avantage en nature ou en espèces d’un montant supérieur à dix euros. Mais si la déclaration est correctement faite, personne n’a plus rien à redire. La concurrence des génériques
Les brevets sur les médicaments sont en général valables vingt ans. Les capitalistes de la pharmacie estiment que c’est trop court, expliquant que leur secteur est particulier. En effet, entre le moment du dépôt du brevet et l’autorisation de mise sur le marché, il peut se passer huit ou dix ans. Il reste donc à l’industriel une dizaine d’années pour profiter de son brevet. Ensuite, celui-ci tombe dans le domaine public. À ce moment-là, et surtout si le médicament est toujours rentable et pas trop difficile à produire, n’importe quel laboratoire peut le fabriquer à son compte sous une appellation générique. Voilà le drame des industriels : voir leur brevet tomber. Et quand il s’agit d’un blockbuster, un médicament dont la vente rapporte plus d’un milliard de dollars par an, la chute peut être brutale.
Les firmes font donc tout leur possible pour lutter contre la perte de leurs brevets et contre la concurrence des génériques.
Par exemple, de façon tout à fait légale, le laboratoire peut négocier avec les pouvoirs publics un allongement de la durée du brevet, sous prétexte que pour certaines spécialités la recherche aurait été particulièrement longue et coûteuse. Il obtient alors un certificat complémentaire de protection, en général octroyé pour cinq ans de plus.
L’industriel peut aussi décider de changer quelque chose dans le processus de fabrication, modifier un excipient ou changer la présentation de son médicament, et déposer à chaque fois un nouveau brevet. Certains médicaments ont été couverts par plus de cent brevets différents !
Autre solution : le fabricant peut choisir de faire évoluer son propre médicament. C’est ce qui est arrivé au Mopral. Il s’agit d’un médicament contre les brûlures d’estomac qui a été commercialisé en 1989 par l’entreprise Astra. Le Mopral, dont le principe actif est l’omeprazole, est devenu le médicament le plus vendu au monde. En 2000, rien qu’aux États-Unis, il rapportait près de 5 milliards de dollars de chiffre d’affaires par an. Mais le brevet allait tomber dans le domaine public. Qu’à cela ne tienne : Astra, devenu entre-temps Astra Zeneca, a commercialisé un médicament à peine différent, l’Inexium, dont le principe actif est l’esoméprazole. L’Inexium, grâce à une offensive campagne publicitaire, et bien sûr vendu plus cher que son grand frère, a pu devenir lui-même un blockbuster. Puis il a vu, lui aussi, son brevet tomber. Telle est la dure loi du capitalisme !
En réalité, les capitalistes s’adaptent à tout et ils se sont bien adaptés à la concurrence des génériques. Certaines grandes entreprises ont créé leur propre filiale de génériques. Le numéro deux mondial de l’industrie pharmaceutique, Novartis, est devenu le leader mondial des génériques sous la marque Sandoz. Merck s’est associé au laboratoire de génériques Mylan, tandis que Servier vend des produits génériques sous le nom de Biogaran. Quant aux entreprises de médicaments génériques, comme Teva, israélienne, ou Arrow et Rambaxy, toutes deux indiennes, ce sont des entreprises prospères qui, d’ailleurs, ne produisent plus seulement des génériques, mais ont aussi racheté des produits de marque.
Le principal avantage des génériques est leur prix. Cela compte pour les organismes d’assurance maladie et surtout pour les malades des pays pauvres.
Disposer de ces médicaments n’a pas toujours été simple. Les pays dits émergents, comme le Brésil, l’Inde, la Chine ou l’Afrique du Sud, ont dû engager de longues batailles juridiques pour avoir le droit de fabriquer des médicaments génériques. L’exemple le plus connu est celui de l’Afrique du Sud qui, en 1997, quand elle a tenté d’autoriser la production et l’importation de génériques pour traiter le sida, a été traînée devant les tribunaux par trente-neuf des plus grandes compagnies mondiales, pour violations d’accords commerciaux internationaux. Il a fallu toute une campagne internationale pour que finalement les compagnies retirent leur plainte et que les malades sud-africains puissent être soignés.
Plus récemment, c’est le brevet du Sovaldi qui a été contesté. La majorité des patients atteints d’hépatite C vivent dans des pays pauvres, en Chine, en Inde, au Pakistan ou en Égypte. Ils n’avaient pas accès au traitement à cause de son prix. Il a fallu la pression de plusieurs ONG pour que finalement le fabricant choisisse de signer un accord avec des entreprises de génériques qui ont pu produire le médicament et le vendre cinq fois moins cher, mais uniquement dans une zone géographique déterminée. Il n’est pas question que le générique du Sovaldi atteigne pour l’instant les États-Unis ou l’Europe.
La concentration pour constituer de grandes multinationales
La concentration du capital et la formation de monopoles ont été décrits par Lénine dans L’impérialisme stade suprême du capitalisme. C’était en 1916. L’industrie pharmaceutique n’en était alors qu’à ses balbutiements.
Dans ce secteur, la concentration a démarré bien plus tard. En gros elle a commencé dans les années 1960 aux États-Unis et ne cesse ne se poursuivre depuis. À cet égard, l’histoire de la concentration qui a conduit à faire de l’entreprise Sanofi ce qu’elle est aujourd’hui est un peu particulière mais intéressante.
Sanofi ne trouve pas son origine dans la pharmacie, mais dans le pétrole. Tout a commencé en 1973, en pleine crise pétrolière. Ne sachant plus quoi faire de ses capitaux, le futur Elf Aquitaine, entreprise où l’État était majoritaire, cherchait un nouveau relais de croissance, comme disent les capitalistes. Elle confia à une dizaine de cadres la mission de trouver un secteur porteur. Ils cherchèrent et finalement mirent le cap sur le secteur pharmaceutique en fondant l’Omnium financier Aquitaine pour l’hygiène et la santé. Munis d’une première dotation de 500 millions de francs, ils se mirent en chasse d’entreprises de médicaments ou de cosmétiques à acquérir. Cette nouvelle société qui s’appellerait bientôt Sanofi a racheté au fil des années de multiples laboratoires petits et grands, français ou étrangers. Parmi les prises importantes, on peut citer la branche vaccins de Pasteur en 1980, Winthrop, la filiale santé de Kodak en 1994, Synthélabo qui appartenait à L’Oréal, en 1999. Et surtout, en 2004, Sanofi prenait le contrôle du mastodonte de la pharmacie française, Aventis, un groupe lui-même issu des différentes filiales de Rhône-Poulenc Rorer et du groupe Hoechst Marion Roussel-Uclaf. La somme déboursée fut de 55 milliards d’euros, soit cinq fois le trou de la Sécurité sociale de cette année-là, un trou que l’on disait alors abyssal. Sanofi est devenu aujourd’hui, la première entreprise pharmaceutique française et la quatrième au niveau mondial.
Tous les grands groupes actuels dans le monde, ceux qu’on appelle les Big Pharmas, GSK, Merck, Novartis, Johnson and Johnson et autres, sont issus de telles opérations de fusions et rachats. Pourtant, aujourd’hui encore, l’industrie pharmaceutique n’est pas autant concentrée que d’autres secteurs, comme la sidérurgie ou l’automobile. Dans la pharmacie, les cinq premières entreprises mondiales représentent en valeur moins de 25 % du marché du médicament, le reste étant réalisé par des firmes plus petites.
Les opérations de fusion, de rachat, de restructuration se poursuivent à l’heure actuelle, mobilisant d’immenses capitaux. L’an dernier, les sommes dépensées en fusions-acquisitions dans la pharmacie ont représenté plus de 200 milliards de dollars. La dernière grosse opération date du 3 janvier 2019. La firme américaine BMS (Bristol-Myers-Squib) a annoncé qu’elle allait racheter Celgene, une entreprise de biotechnologies spécialisée dans le traitement des cancers, pour 74 milliards de dollars, soit 65 milliards d’euros. Le jour même, le cours de l’action de Celgene grimpait de 30 %.
Dans une économie marquée par la financiarisation, pour une entreprise, l’objectif d’une acquisition n’est même plus de grossir – au contraire elle ferme des usines- c’est uniquement d’accroître la rentabilité à court terme. Les sommes déboursées ne correspondent en rien à la valeur réelle des entreprises acquises, mais uniquement à la frénésie des marchés boursiers, excités par la possibilité de gagner encore plus. Pour être tenu au courant des nouveautés dans le monde du médicament et connaître ceux qui ont le vent en poupe, il vaut mieux aujourd’hui lire des revues économiques et boursières que des revues médicales.
L’industrie pharmaceutique est aujourd’hui le secteur le plus rentable au monde, plus que celui du pétrole. Ce que les investisseurs appellent la marge nette, et qui recoupe globalement ce que les marxistes nomment le taux de profit, est d’environ 20 % pour l’ensemble de l’industrie pharmaceutique. Ce taux de profit a été en 2017 « seulement » de 10 % dans l’industrie pétrolière et respectivement de 3 % et 8 % dans les industries automobiles française et allemande.
En 2017, Pfizer, la première entreprise pharmaceutique mondiale, a réalisé un chiffre d’affaires de 46 milliards d’euros. C’est presque trois fois les dépenses de santé du Nigeria, le pays le plus peuplé d’Afrique. Sanofi, classé au quatrième rang mondial en 2017, a enregistré un chiffre d’affaires de 35 milliards d’euros et un bénéfice net de 8,4 milliards, soit un taux de profit de 24 %. Et sur ces 8,4 milliards d’euros de bénéfices, Sanofi en a distribué plus de la moitié (4,6 milliards) à ses actionnaires sous forme de dividendes.
Les actionnaires bénéficient aussi d’opérations de rachat d’actions. En effet, ne sachant plus quoi faire de leurs bénéfices faramineux, les grandes entreprises rachètent une partie de leurs propres actions pour les détruire. Le groupe diminue ainsi le nombre de ses actions et augmente le dividende qu’il verse pour chacune. Ainsi les actionnaires de Sanofi ont-ils reçu en 2017 plus d’un milliard d’euros au titre de ces rachats d’actions. Et comme une opération bien menée fait monter le cours de l’action en Bourse, cela leur rapporte encore davantage.
Les industriels déclarent consacrer 20 % de leurs dépenses à la recherche et au développement, et ils trouvent que c’est beaucoup. Cette proportion est en réalité équivalente à la part de la recherche dans d’autres secteurs industriels, comme l’aéronautique. Mais surtout ils oublient de préciser qu’une grande partie des dépenses de recherche est, en réalité, supportée par la collectivité.
Les États-Unis, où pourtant l’initiative privée est sans cesse valorisée, ont été les premiers à réaliser des investissements publics massifs dans la santé. C’est ainsi qu’en 1971 Nixon a fait voter une loi fédérale pour lancer un plan cancer. Tout comme Kennedy avait lancé les Américains à la conquête de la Lune, lui les conduirait à vaincre le cancer. Les sommes investies ont été énormes. L’Institut américain du cancer a reçu en 1971 un premier budget de 9 milliards de dollars (en valeur actuelle). Puis, pendant près de cinquante ans, cet institut a bénéficié chaque année de 15 à 20 % des sommes que l’État américain consacre au financement de la recherche publique en santé.
Les résultats des recherches réalisées grâce à ces immenses financements ont permis d’importantes avancées scientifiques et thérapeutiques et ont fait reculer la mortalité par cancer, même si évidemment le cancer n’est pas vaincu. En matière médicale, même pour un président des États-Unis, il ne suffit pas de vouloir pour pouvoir.
Partout, dans tous les pays riches, les pouvoirs publics sont les seuls à financer la recherche fondamentale, celle qui permet l’acquisition de nouvelles connaissances, ouvertes à tous. Les industriels viennent ensuite y puiser les résultats dont ils ont besoin pour effectuer la toute dernière partie du parcours, celle qui est strictement orientée vers le développement d’un produit, et d’un profit.
L’exemple des traitements dits biotechnologiques, qui représentent aujourd’hui plus de 50 % des nouveaux produits mis sur le marché – à des prix exorbitants, on l’a dit –, est de ce point de vue tout à fait parlant. Ces médicaments n’auraient jamais vu le jour sans toutes les découvertes sur l’ADN l’acide désoxyribonucléique, récompensées par les nombreux prix Nobel distribués à des chercheurs du public depuis trois quarts de siècle !
La structure de l’ADN a été identifiée dans les années 1950, le fonctionnement des gènes dans la décennie suivante, l’ingénierie génétique date des années 1970, la manipulation des virus et des cellules des années 1980, le déchiffrage entier du génome humain a été réalisé dix ans plus tard, puis sont apparus les cellules-souches, les ciseaux à ADN et une constellation d’autres découvertes qui font la une des journaux plusieurs fois par an.
Absolument aucun de ces travaux de recherche fondamentale n’a été financé par l’industrie pharmaceutique. Ce qui ne l’empêche pas d’utiliser aujourd’hui ces technologies dans des produits qu’elle vend très cher : des protéines recombinantes, des anticorps monoclonaux, de l’immunothérapie cellulaire anticancéreuse, de la thérapie génique et bien d’autres encore.
Ce que l’on appelle la communauté scientifique n’est certes pas exempte de petits intérêts mesquins et de compétition, mais l’objectif de l’activité de recherche publique est l’acquisition de nouvelles connaissances, ouvertes à tous et partagées avec l’ensemble des chercheurs au travers de publications scientifiques.
Les résultats du déchiffrage du génome humain n’ont jamais été brevetés. Ce déchiffrage a été réalisé grâce à un effort international qui a coûté 3 milliards de dollars de fonds publics, sur une période de presque dix ans. Son résultat a été la constitution d’immenses bases de données permettant à tout scientifique de connaître gratuitement la séquence d’ADN précise d’un gène. Pas un biologiste, qu’il appartienne au public ou au privé, ne peut aujourd’hui travailler sans se référer à ces données et à toutes celles qui ont été recueillies depuis, grâce à cette base de départ. Les industriels qui en font leur beurre aujourd’hui s’approprient les bénéfices d’un effort collectif auquel ils n’ont tout simplement jamais contribué.
Cela ne les empêche pas de se plaindre de ce que leur coûterait la recherche, ce qu’ils appellent le prix de l’innovation, et des risques quasi insupportables qu’ils prendraient tous les jours. C’est de bonne guerre pour réclamer de nouvelles aides aux pouvoirs publics et des prix élevés pour leurs médicaments. Mais en réalité, même ce risque n’est plus supporté par les grandes entreprises, qui l’ont largement externalisé. Depuis vingt ou trente ans, elles ont réduit leurs budgets et fermé ou vendu bon nombre de leurs centres de recherche, notamment en Europe et aux États-Unis.
Ainsi en 2009, Sanofi a engagé un plan de restructuration qui a conduit à stopper 40 % des programmes de recherche en cours. D’autres plans ont suivi, en 2012, 2014, 2017, avec à chaque fois de nouvelles suppressions d’emplois. Aujourd’hui le centre de recherche de Montpellier, dont certains locaux flambant neufs n’ont jamais été utilisés, est fermé, celui de Toulouse a été vendu et celui de Lyon est en passe de l’être.
Les industriels de la pharmacie n’ont pourtant pas l’intention de tuer leurs poules aux œufs d’or en renonçant à mettre sur le marché de nouveaux médicaments. Ils ont juste décidé de faire nourrir les poules par d’autres, qui prennent les risques, et ensuite de récupérer les œufs !
Ce qu’ils nomment une « externalisation de la recherche et développement » s’appuie sur une myriade de petites entreprises de biotechnologie, celles qu’on appelle des biotechs. Les premières sont apparues dans les années 1980 et elles sont aujourd’hui des dizaines de milliers à l’échelle mondiale. Chacune de ces biotechs a été créée, à l’origine, autour d’un scientifique et d’une de ses découvertes. Des investisseurs, sentant qu’il pourrait y avoir là une bonne affaire, lui ont apporté quelques fonds qui lui ont permis de mettre en place une petite équipe et un laboratoire.
On appelle ces financiers des capital-risqueurs, pour bien indiquer qu’ils font un pari et qu’ils ne sont pas là pour financer l’entreprise dans la durée. De fait, ils investissent uniquement si le chercheur les convainc qu’il obtiendra dans un temps très court des résultats vendables sous la forme de brevets. Dans la très grande majorité des cas, puisque c’est très risqué, ça rate et la biotech disparaît. Mais les capital-risqueurs s’en moquent parce qu’ils jouent en même temps sur un grand nombre de ces biotechs. Ils misent sur une réussite de 1 sur 10, en espérant revendre la pépite - c’est le terme consacré - entre quinze et trente fois l’investissement. Ce que deviennent les neuf équipes sur dix qui restent sur le carreau n’est évidemment pas leur problème.
Une biotech chanceuse peut tenter de se développer en recourant à la Bourse. Le fameux NASDAQ, cette Bourse des entreprises de technologie à New York, draine ainsi vers le financement des biotechs les économies de millions de petits et grands bourgeois. Ils spéculent sur des entreprises qui n’ont encore, en général, rien produit d’autre que des résultats scientifiques et des brevets, bref, du rêve. La fin de l’aventure se situe au moment où des malades reçoivent le produit, le médicament, lors d’un essai clinique. Si c’est un échec, la biotech que la Bourse valorisait la veille à plusieurs centaines de millions de dollars peut disparaître en une nuit. Si c’est un succès, elle peut tout à coup décupler la mise et valoir quelques milliards. À ce moment-là seulement, une fois l’essentiel des risques pris, il n’y a plus qu’à ramasser les fruits presque mûrs. Une grosse entreprise pharmaceutique peut alors racheter la biotech prometteuse.
Pour parler encore de Sanofi, en 2011, l’entreprise a racheté une biotech américaine, Genzyme, pour 16,5 milliards d’euros. Et l’an dernier, en 2018, elle s’est payé deux biotechs très spécialisées, pour un total de près de 14 milliards d’euros.
Les grands groupes se débarrassent de leurs usines
Pendant que les capitaux de l’industrie pharmaceutique sont drainés vers la finance, les sommes consacrées aux investissements productifs reculent sans cesse. Des usines sont fermées ou vendues, des installations sont usées jusqu’à la corde, des travailleurs sont licenciés.
Ainsi en l’espace de dix ans, entre 2008 et aujourd’hui, Sanofi a supprimé 5 000 postes en France et a fermé ou s’est débarrassée de quinze entreprises. Il y a un mois encore, il a annoncé un nouveau plan de suppression d’emplois, cette fois en utilisant la possibilité de rupture conventionnelle collective, ouverte par les récentes lois travail. D’ici 2020, 670 travailleurs des fonctions support (informatique, ressources humaines) perdront leur emploi.
Tous les grands groupes ont procédé et continuent de procéder de la même façon. Récemment Novartis a annoncé la suppression de plus de 2 000 emplois en Suisse et projette de faire passer ses effectifs mondiaux de 124 000 à 100 000 d’ici 2022.
En décembre 2018, quelques jours avant de racheter Celgene pour 65 milliards d’euros, Bristol Myers-Squibb (BMS) finalisait la revente de son usine d’Agen dans le Lot-et-Garonne, où 1 250 travailleurs fabriquent des médicaments classiques et pas très chers, comme le Dafalgan, l’Efferalgan ou l’aspirine UPSA. Mettre la main sur des biotechs en vue d’une valorisation boursière, tout en se débarrassant des usines de chimie où l’on produit de vieux médicaments, c’est la politique menée par les grands groupes, aujourd’hui.
La production de médicaments est de plus en plus externalisée
Pour produire des médicaments, il faut d’abord fabriquer les principes actifs, les molécules qui ont un effet thérapeutique. C’est ce qu’on appelle la production primaire. C’est un peu de la cuisine, mais avec des équipements lourds, avec des extracteurs, des réacteurs, des fermenteurs. Les ouvriers manipulent des produits toxiques, allergisants, voire cancérigènes. Ensuite, il faut mélanger les principes actifs à des excipients (du sucre, de l’amidon, des colorants…) en leur donnant une forme particulière : gélule, sirop, crème ou comprimé. C’est l’étape de l’assemblage, encore appelée production secondaire. Puis, il y a toutes les étapes de conditionnement, la mise sous blisters, en boîtes, en flacons, l’insertion des notices. Et aux différents stades de cette production, à chacune des étapes, il y a tous les contrôles de qualité.
Depuis une vingtaine d’années, les grandes entreprises pharmaceutiques ont largement externalisé la production. Une bonne partie de la production primaire, en tout cas celle qui concerne les médicaments issus de la chimie, est désormais souvent réalisée à l’étranger, particulièrement en Chine ou en Inde, où les grandes entreprises profitent d’une main-d’œuvre moins cher et de réglementations sanitaires plus souples.
La production secondaire est encore souvent réalisée sur le territoire, mais de plus en plus cédée à des sous-traitants. Dans le jargon pharmaceutique, comme dans celui de la mode vestimentaire, ils sont appelés des façonniers. Ces façonniers, Fareva, Famar, Delpharm ou d’autres, sont peu connus du grand public. Ils n’ont ni la taille des Big Pharma ni leur richesse, mais ils ne sont pas à plaindre non plus. Ainsi l’entreprise Delpharm emploie environ 3 000 personnes dans neuf usines en France ; son patron, Sébastien Aguettant, est l’héritier du laboratoire lyonnais Aguettant fondé au 19e siècle.
La particularité des façonniers est de produire dans une même usine, parfois sur la même chaîne, des médicaments vendus sous des marques différentes et pour de nombreux clients. Ceux-ci peuvent être les grandes firmes, les Big Pharmas, mais aussi des fabricants de génériques, ou encore des entreprises de cosmétiques, de produits vétérinaires ou de compléments alimentaires.
C’est ainsi que, dans l’usine Famar de Saint-Genis-Laval à côté de Lyon, on produit différents médicaments, comme l’Advil, un anti-inflammatoire commercialisé par Pfizer, et l’Oroken, un antibiotique vendu par Sanofi.
Cette usine appartenait au groupe Sanofi-Aventis, qui l’a cédée en 2004 à Famar. Non seulement Famar n’eut rien à débourser (juste deux euros symboliques), mais de plus il bénéficia d’une enveloppe pour ses investissements, d’un chiffre d’affaires garanti pendant deux ans, puis d’un portefeuille de produits Sanofi jusqu’à fin 2011. Jusqu’à peu, l’entreprise Famar appartenait à une famille grecque, la famille Marinopoulos, qui, avant de se lancer dans la pharmacie et d’acquérir plusieurs usines en Europe, était surtout connue pour être propriétaire d’une chaîne de supermarchés en Grèce. Depuis l’achat en 2004, quasiment aucun investissement n’a été réalisé dans l’usine. Ces dernières années, connaissant des difficultés en Grèce, la famille Marinopoulos a allègrement pompé les finances du groupe, en prélevant des dividendes et en ponctionnant de l’argent pour acheter diverses sociétés plus ou moins bidon, en particulier dans l’immobilier. Depuis 2013, elle ne paye plus régulièrement ses fournisseurs, ce qui entraîne des retards dans la production et dans les livraisons. Une fois c’est le sucre nécessaire à l’enrobage des comprimés qui manque, une autre fois c’est l’encre pour imprimer les notices. Il y a quelques mois, les usines Famar ont été revendues à un fonds d’investissement grec, Pillarstone, qui risque fort de continuer la curée.
Le mode de production capitaliste a un fonctionnement général aberrant qui entraîne des conséquences graves dans tous les domaines. Mais elles sont particulièrement dramatiques dans le domaine de la santé.
Alors même que l’industrie a largement les capacités de satisfaire l’ensemble des besoins, les pénuries de médicaments sont de plus en plus courantes. En 2017, en France, 530 médicaments se sont trouvés en rupture d’approvisionnement.
Ces pénuries ont différentes causes. Parmi elles, la politique du flux tendu et du zéro stock appliquée dans la plupart des usines, sous prétexte qu’immobiliser des stocks reviendrait cher. Mais il y a aussi l’organisation – il faudrait plutôt dire la désorganisation – mondiale de la production. Il peut arriver en effet que seules quelques usines, voire une seule au monde, fabriquent un principe actif indispensable à plusieurs spécialités ou un excipient utilisé dans des centaines de produits. Des malades peuvent être privés d’un médicament essentiel parce qu’une usine à l’autre bout du monde connaît des difficultés. Ce peut être une chaîne de production arrêtée, des contrôles qualité non conformes ou inacceptables, la mise à l’arrêt d’une usine en Chine à cause d’un pic de pollution atmosphérique. Plus prosaïquement, ce peut être un patron qui arrête de produire une molécule ancienne ne rapportant pas assez, et on ne parle pas là d’un patron chinois !
La plupart des ruptures de stock concernent en effet des médicaments anciens ou des vaccins très classiques et bon marché. Ainsi, depuis quelques mois, 45 000 malades de Parkinson traités par un vieux médicament peu onéreux, le Sinemet, ne peuvent plus obtenir leur traitement. D’après les dires du laboratoire Merck qui commercialise ce produit, le sous-traitant américain fabriquant le principe actif aurait des problèmes pour remettre aux normes sa chaîne de production et les difficultés devraient durer au moins jusqu’en mars 2019. Les malades traités depuis des années se voient donc obligés de modifier leur traitement, avec les risques que cela comporte.
Pourtant un minimum d’anticipation et de planification aurait été possible. On connaît exactement le nombre de malades utilisant ce traitement, on sait exactement combien de doses il faut produire pour répondre à la demande mondiale. Les problèmes d’approvisionnement auraient pu être résolus en exigeant de Merck ou d’un autre laboratoire qu’ils s’engagent à produire les quantités adéquates. Mais, à ce niveau-là, l’État se garde bien d’intervenir.
Pour éviter les pénuries, pour organiser la production de médicaments et de vaccins, qui ont souvent une durée de péremption courte, pour évaluer les stocks, pour répondre aux besoins des malades, la nécessité d’une planification saute aux yeux. Mais, dans cette économie de la concurrence, même ce minimum de planification paraît impossible car il se heurte à la sacro-sainte liberté d’entreprendre.
La devise des capitalistes, c’est « après moi le déluge ». Ils ne se sentent responsables de rien, ni des conditions de travail des salariés, encore moins quand il s’agit de sous-traitants, ni des conséquences environnementales de leur système.
On sait qu’une partie des perturbateurs endocriniens présents dans l’environnement ont pour origine les médicaments, en particulier les hormones des pilules contraceptives. En effet les femmes sous pilule excrètent dans leur urine des hormones qui passent dans l’eau des rivières, où elles perturbent le développement embryonnaire de certains poissons puis, faute de stations d’épuration suffisamment performantes, elles passent dans l’eau du robinet. C’est la même chose pour la plupart des médicaments qui se retrouvent dans l’eau, soit tels quels, soit le plus souvent après avoir été dégradés par notre organisme.
L’industrie pharmaceutique s’en désintéresse complètement. Aucune étude n’a été réalisée pour évaluer les conséquences à long terme sur l’environnement et sur la santé humaine de l’exposition à ces doses certes minimes, mais sur de très longues durées.
Les industriels ne se sentent pas plus concernés par des pollutions encore plus directes et plus visibles. L’été dernier, l’usine de Sanofi à Mourenx dans les Pyrénées-Atlantiques a dû fermer précipitamment. Une inspection avait révélé des dépassements astronomiques de rejets de polluants, dont l’un, le bromopropane, est classé par l’Organisation mondiale de la santé comme cancérogène, mutagène et susceptible d’altérer la fécondité. Les quantités rejetées étaient de plus de 100 000 fois la norme autorisée ! Deux cheminées sur trois du site n’avaient jamais fait l’objet d’aucun contrôle, pourtant obligatoire. En outre, de la Dépakine, le médicament antiépileptique produit sur le site, s’échappait de façon anormale d’une installation vieillie et mal entretenue. Après avoir affirmé que les riverains n’étaient pas exposés à ces rejets toxiques, Sanofi a rétropédalé et arrêté l’usine « pour travaux de maintenance ». Puis elle a redémarré la production pendant quelques semaines, avant un nouvel arrêt, puis une nouvelle reprise en novembre 2018. Depuis, il paraît que tout va bien, c’est le préfet qui l’a dit. On comprend que les riverains et les salariés aient du mal à faire confiance.
Et encore, il existe ici des règles, certes contournées, mais des règles quand même, ce qui n’est pas le cas dans bien des régions du monde.
Un reportage du journal Le Monde décrivait, en décembre 2018, la pollution aux antibiotiques autour d’une ville en Inde, Hyderabad, où se sont installées des dizaines d’entreprises de production de médicaments. On y retrouve toutes les grandes firmes, les Merck, Sanofi, Pfizer, Novartis et leurs filiales. Les concentrations en antibiotiques mesurées dans les rivières, les lacs ou les puits de la région sont de 100 000 à 1 million de fois supérieures à ce qui peut être mesuré dans les eaux usées européennes. Et comme les eaux stagnantes, les mares et l’eau qui sert à l’irrigation sont un lieu de prédilection pour la multiplication des bactéries, celles-ci, au contact des nombreux antibiotiques, deviennent résistantes. Tant pis pour les conséquences à long terme !
Évidemment, le but des industriels de la pharmacie n’est pas de nous empoisonner. Un médicament qui guérit, qui est efficace, c’est beaucoup mieux pour tout le monde, y compris pour les profits. Mais, les profits passent avant tout et cela ne peut qu’aboutir à des situations où le système dérape et où un nouveau scandale sanitaire éclate.
Il est impossible de faire la liste de toutes les affaires qui ont éclaboussé l’industrie pharmaceutique, mais on peut en rappeler quelques-unes. L’affaire du Distilbène, un médicament prescrit entre 1955 et 1977 à des femmes enceintes pour limiter le risque de fausse couche, qui a été responsable de malformations génitales transmises parfois sur plusieurs générations. Il y a eu l’affaire du sang contaminé en 1985, puis le scandale du Mediator en 2009. Plus récemment, en 2016, ce fut le scandale de la Dépakine, quand on a appris que pendant plus de vingt ans des femmes enceintes ont continué à prendre leur traitement alors qu’on connaissait les effets nocifs du médicament sur le développement neurologique du fœtus. On peut aussi citer le Levothyrox, dont la formule a été soudainement changée par le fabricant, et dénoncer les overdoses à ces opiacés prescrits à des millions de patients américains à grand renfort de publicité en minimisant les risques d’accoutumance. Et, tout récemment, il y a eu le scandale des dispositifs médicaux implantables qui, parce qu’ils ne sont pas considérés comme des médicaments, sont contrôlés par des organismes certificateurs choisis par le fabricant lui-même.
Il est intéressant de revenir sur le scandale du Mediator, parce qu’il est particulièrement révélateur des complicités établies à chaque niveau entre les autorités de santé et les laboratoires, ici le laboratoire Servier, certes de second ordre au plan mondial mais bien implanté en France et disposant de sérieux appuis politiques.
Au départ, en 1976, le Mediator avait été mis sur le marché comme antidiabétique. Avec le temps, il s’est avéré qu’il était un piètre anti-diabétique mais un coupe-faim efficace. Il a donc été prescrit, un peu à des diabétiques mais beaucoup à des personnes voulant perdre du poids, un marché beaucoup plus vaste. En 1997, un autre produit de Servier, de la même famille chimique que le Mediator mais lui officiellement prescrit pour maigrir, l’Isoméride, fut retiré du marché pour ses graves effets sur le cœur, mais pas le Mediator qui prit alors le relais du médicament interdit, et ce pendant douze ans ! Pendant tout ce temps, des médecins ont mis en garde contre l’utilisation du Mediator, averti de l’éventualité d’effets secondaires graves, demandé des compléments d’études. Rien n’y a fait. Le Mediator a continué à être fabriqué, à être prescrit et à être vendu. On estime qu’il a été responsable, en France, de près de 2 000 décès.
Dans le film La fille de Brest, qui raconte le combat de la pneumologue Irène Frachon, on voit quelle détermination lui a été nécessaire pour résister aux pressions de Servier et à ses menaces. Chapeau bas ! Elle a tenu bon, et enfin en 2009 le Mediator a été interdit.
Dans cette affaire du Mediator, les responsabilités des politiques sont évidentes. Les ministres de la Santé, qu’ils soient socialistes comme Aubry et Kouchner ou de droite comme Bachelot et Bertrand, tous, ont laissé faire. Ils se sont aplatis devant Servier et l’ont soutenu. C’est que Jacques Servier était un des fleurons du capitalisme français. Il était un habitué des salons gouvernementaux. Il fut décoré par Mitterrand en 1985, par Strauss-Kahn en 1992, par Chirac en 2002 et par Sarkozy en 2009.
À chaque fois, de nouveaux organismes de contrôle
À chaque nouveau scandale sanitaire, les journalistes puis les autorités déclarent : « Plus jamais ça ! » Ils mettent en évidence parfois de pures malversations, souvent des actes de corruption, et toujours des failles dans la surveillance par les organismes de contrôle. Il s’ensuit alors, soit une nouvelle loi, soit le toilettage d’une ancienne, soit la mise en place d’un nouvel organisme de contrôle ou d’une nouvelle commission.
C’est ainsi qu’en 1978, après le scandale du Distilbène, fut mise en place la Direction de la pharmacie et du médicament, placée sous contrôle direct du ministère de la Santé. En 1993, suite à l’affaire du sang contaminé, fut créée l’Agence du médicament. En 1999, après la crise de la vache folle, elle fut remplacée par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS). Puis en 2012, après l’affaire du Mediator, elle est devenue l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Quel sera le nom de la prochaine agence ? Les paris sont ouverts.
En réalité, il est bien difficile pour ces organismes, quel que soit leur nom, d’exercer un réel contrôle et d’empêcher les industriels, à la recherche d’un profit rapide, de prendre des risques avec notre santé. L’ANSM dispose de moins de 1 000 salariés, qui ont bien d’autres missions que le contrôle des médicaments. Le plus souvent, ce sont des experts extérieurs qui sont mandatés pour réaliser les évaluations médicamenteuses.
Exiger, comme le font certains, que les experts n’aient aucun lien avec l’industrie pharmaceutique n’a pas de sens. C’est aujourd’hui impossible. En effet les experts sont choisis - et c’est heureux - parmi les médecins spécialistes les plus compétents dans leur domaine thérapeutique, dans leur spécialité. Ils travaillent avec et dans les laboratoires de l’industrie pharmaceutique, ces laboratoires qui mettent au point les nouveaux médicaments et les nouveaux protocoles thérapeutiques. Il n’y a donc pas à s’étonner si au bout du compte le contrôleur et les contrôlés sont les mêmes personnes. Sans même parler de corruption directe, c’est tout le système qui est biaisé par des intérêts financiers.
Avant de conclure, il faut d’abord réinsister sur le fait que la fabrication de médicaments, de vaccins, de produits de santé, a représenté et représente toujours un progrès fantastique.
En France, l’espérance de vie a doublé depuis cent vingt ans, passant grosso modo de 40 ans en 1900 à 80 ans aujourd’hui. Le taux de mortalité infantile, c’est-à-dire le nombre d’enfants n’atteignant pas l’âge d’un an, est passé de 15 % en 1900 à 5 % en 1950 et à 0,35 % aujourd’hui. L’hygiène, l’accès à l’eau potable et à des aliments de bonne qualité sanitaire ont joué un grand rôle dans cette amélioration. Mais la baisse de la mortalité infantile a surtout eu pour origine la généralisation de programmes de vaccination et l’utilisation d’antibiotiques. Et si l’on peut vivre aujourd’hui jusqu’à 80, 90 voire 100 ans - cela évidemment à condition de ne pas être pauvre, usé par le travail ou les conditions de vie difficiles -, c’est en grande partie grâce aux progrès des traitements médicaux et chirurgicaux.
Pourtant, depuis ces dernières années, une partie de l’opinion publique, écœurée, choquée par les scandales à répétition et par la complaisance ou la complicité des autorités sanitaires, en arrive à remettre en cause l’utilité de certains médicaments, tout particulièrement des vaccins.
Et ce n’est pas le moindre des dégâts du capitalisme que d’engendrer ainsi des idées profondément réactionnaires au sens plein de terme, c’est-à-dire au sens d’un retour vers le passé. Même quand elles se présentent comme une critique à l’égard du capitalisme, ces idées ne sont pas les nôtres.
Remarquons que tous les médicaments fabriqués par l’industrie ne sont pas logés à la même enseigne. Ainsi, il est rare d’entendre des critiques à propos des chimiothérapies anticancéreuses, qui pourtant entraînent des effets secondaires particulièrement lourds et pénibles. Mais l’utilité de ces traitements et le prix à payer pour une éventuelle guérison sont majoritairement admis. En revanche, les accusations à l’encontre des vaccins et de leurs éventuels effets indésirables sont beaucoup plus fréquentes. C’est probablement en partie parce que, dans nos pays riches, on a oublié la mortalité liée aux maladies infectieuses. On ne se souvient pas de ce qu’était une société sans vaccin et sans antibiotique, quand les enfants mouraient en bas âge et quand pour les femmes chaque grossesse, chaque accouchement pouvait être mortel. Si on ne s’en souvient pas, c’est justement grâce à la vaccination, qui a fait que ces maladies ne sont plus visibles. Avant la généralisation du vaccin contre le tétanos, cette infection était responsable de 1 000 morts par an en France. Quand le vaccin contre la diphtérie n’existait pas, cette maladie touchait chaque année 40 000 enfants, dont une bonne partie mourraient. On sait que, si on arrête les vaccinations, les microbes, qui eux n’ont pas cessé de circuler, causeront à nouveau des maladies mortelles.
Il est certain que les laboratoires pharmaceutiques s’enrichissent en produisant de nouveaux vaccins et de nouveaux médicaments, dont l’intérêt peut parfois être contesté. Dans notre société, toutes les marchandises, qu’elles soient utiles ou pas, et dont la plupart sont bien moins utiles que les médicaments, enrichissent les capitalistes. Certains disent qu’il faudrait que les médicaments ne soient plus de simples marchandises. Mais c’est impossible dans cette société.
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