Sécurité alimentaire : 820 millions de personnes souffrent de la faim

mardi 14 janvier 2020.
 

Le rapport sur l’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2019, publié par la FAO en juillet 2019, aurait dû susciter davantage d’écho médiatique et politique. Las, les rapports se succèdent d’année en année, faisant état de chiffres dramatiques sur la prévalence de l’insécurité alimentaire dans le monde, sans pour autant que les enseignements sur les causes de cette insécurité soient correctement tirés et que les politiques commerciales, agricoles et sociales soient mises au service de l’éradication de la faim dans le monde.

Une situation que se dégrade

En 2018, 820 millions de personnes souffrent de la faim à l’échelle de la planète. La faim progresse dans toutes les sous-régions africaines, en Amérique latine, dans les Caraïbes et en Asie de l’Ouest. Cette tendance a repris depuis 2015 à rebours des évolutions enregistrées au cours de la décennie précédente. Plus encore, le rapport estime que 2 milliards de personnes (soit 25% de la population mondiale !) ne disposent pas d’un accès à des aliments sains en qualité suffisante si l’on tient compte à la fois des personnes qui souffrent de la faim et de celles qui sont en « situation d’insécurité alimentaire modérée », c’est à dire qui n’ont pas d’accès régulier à une alimentation suffisante. L’Asie détient le triste record du plus grand nombre de personnes sous-alimentées (500 millions), suivie du continent africain (260 millions), et tout particulièrement l’Afrique sub-saharienne. Les pays à revenu élevé ne sont pas épargnés par l’insécurité alimentaire : 8 % de la population d’Amérique du Nord et d’Europe est concernée par une insécurité alimentaire modérée.

Insécurité alimentaire et mal-bouffe

Le rapport de la FAO comporte un développement sur les liens entre les situations d’insécurité alimentaire modérée et la malnutrition qui se traduit par la forte augmentation des personnes en surpoids ou obèses dans les pays à revenu intermédiaire et les pays à revenu élevé. Dans ces pays, le fait de vivre dans un ménage exposé à l’insécurité alimentaire constitue un facteur prédictif de l’obésité chez les enfants d’âge scolaire, les adolescents et les adultes. Cela s’explique par le coût plus élevé des aliments sains et leur remplacement par des aliments moins chers à forte teneur en graisses et en sucre, le stress associé à un accès incertain à la nourriture, et les adaptations physiologiques aux restrictions alimentaires. Le problème de l’obésité tend à se déplacer vers les couches plus démunies de la population à mesure que les pays opèrent leur transition nutritionnelle (alimentation plus carnée et offre accrue d’aliments ultra-transformés).

Le libre marché facteur d’insécurité alimentaire

Le rapport constate aussi que la plupart des pays ayant connu un accroissement de la sous-alimentation de 2011 à 2017, notamment parmi les pays à revenu intermédiaire, ont souffert d’un ralentissement ou d’un fléchissement de leur économie dans la même période. Quant aux crises alimentaires qui ont éclaté en 2018, si elles restent majoritairement liées à des conflits ou des catastrophes climatiques, les chocs économiques concomitants (hausse du chômage, pénurie d’emplois stables, dépréciation de la monnaie et hausse des prix des produits alimentaires) ont accentué la gravité des crises pour 96 millions de personnes.

Autre fait prégnant, la majorité des pays qui ont connu une recrudescence de la sous-alimentation sont des pays présentant une forte dépendance à l’égard des produits de base pour leurs exportations ou importations, et par conséquent une grande vulnérabilité aux fluctuations des prix mondiaux. Beaucoup d’entre eux, qui dépendent en grande partie des recettes tirées des exportations de pétrole et d’autres matières premières, ont subi de plein fouet le net recul des prix des produits de base depuis 2011. La forte dépendance aux produits de base a des effets négatifs sur le développement social et économique, accroît l’instabilité économique et politique et s’accompagne souvent d’inégalités de distribution. En cela, le rapport offre une analyse assez fouillée des effets de la baisse des prix internationaux des produits de base sur la sécurité alimentaire, en détaillant les différents mécanismes économiques sous-jacents qui déstabilisent les grandes variables économiques (dégradation des termes de l’échange, dépréciation de la monnaie, dégradation des finances publiques) pour se répercuter in fine sur le prix et l’accessibilité des denrées alimentaires.

Des inégalités aux effets aggravants

À la lecture du rapport, on a craint que la FAO s’enferre dans les poncifs habituels, partant du constat que la sous-alimentation progresse dans les pays où la croissance s’est ralentie ou l’économie s’est contractée. Mais, cette fois-ci, le rapport souligne explicitement que l’incidence des fléchissements économiques sur la sécurité alimentaire ne peut être isolée des causes fondamentales de la faim et de la malnutrition que sont la pauvreté, les inégalités et la marginalisation. La pauvreté extrême est l’une des causes sous-jacentes de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition. Mais cela n’explique pas tout : un grand nombre de personnes souffrant de la faim vivent dans des pays à revenu intermédiaire, où la pauvreté extrême a régressé au cours des dernières années. L’exacerbation des inégalités de revenus, d’accès aux services de base et aux moyens de production explique pourquoi le recul de la pauvreté extrême ne se traduit pas nécessairement par une amélioration de la situation sur les plans de la sécurité alimentaire. Dans les pays où règnent de fortes inégalités, les périodes de ralentissement économique ont un effet négatif disproportionné sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle. La prévalence de l’insécurité alimentaire aiguë est près de trois fois plus élevée dans les pays à fortes inégalités de revenus.

Un diagnostic éclairant mais des recommandations timorées et inabouties

Sans surprise, les recommandations que dressent in fine le rapport en matière de politiques publiques, se portent vers la nécessité d’agir sur le court terme et à plus long terme. Avec le risque de paraître incantatoire. À court terme, les pays doivent assurer la protection des revenus et du pouvoir d’achat, notamment des ménages les plus vulnérables, au moyen de programmes de protection sociale, des transferts monétaires, des programmes de travaux publics et des politiques visant à atténuer les fluctuations excessives des prix des denrées alimentaires. À plus long terme, le défi doit être relevé en misant sur une « transformation structurelle inclusive et favorable aux pauvres », notamment dans les pays caractérisés par une dépendance forte à l’égard du commerce des produits de base. Le rapport esquisse enfin quelques éléments sur la lutte contre les inégalités sociales et les enjeux autour de l’ouverture aux échanges et les accords commerciaux, sans pour autant s’affranchir de la pensée dominante libre-échangiste. Tout juste recommande-t-elle de faciliter le commerce tout en s’assurant que cela n’ait pas d’effets préjudiciables sur la sécurité alimentaire.

Bref, un diagnostic éclairant mais des recommandations timorées et inabouties sur la refonte des politiques agricoles et commerciales.

Anne Sampognaro


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