Voeux : Macron et la "dégradation" du langage. Par Roland Gori1

vendredi 10 janvier 2020.
 

Au moment où je terminais un essai sur Walter Benjamin, le Président de la République adressait ses vœux de Nouvel An aux citoyens français. Quelle ne fût pas ma surprise d’y découvrir l’un des plus beaux exemples de cette dégradation du langage théorisée par Benjamin.

En pleine crise sociale liée aux mouvements s’opposant à la réforme des retraites de son gouvernement, Emmanuel Macron leur donne une leçon de morale les exhortant à la « solidarité », à adhérer à son « projet de justice et de progrès social », à « ouvrir la décennie de l’unité retrouvée de la Nation », à faire « ensemble de la décennie qui s’ouvre une décennie française et européenne »(2) Il vante dans une étonnante posture d’autosatisfaction les mérites de son bilan, il fait l’éloge de l’exceptionnelle capacité de son gouvernement à répondre à la crise des Gilets Jaunes : « avec le Grand Débat National, face aux colères exprimées par le mouvement des gilets jaunes, nous avons su instaurer un dialogue respectueux et républicain, sans précédent dans une démocratie ».

Il poursuit sur les avantages économiques de sa politique qui, « dans le concret de nos vies, [a produit] les premiers résultats de l’effort de transformation engagé depuis deux ans et demi », « plus de 500 000 emplois ont été créés depuis mai 2017 […] ». Il continue par un panégyrique de son action en soulignant son courage de ne pas renoncer « à agir avec vigueur, pour ne surtout plus mécontenter personne à l’approche des futures échéances électorales ». Il ira jusqu’au bout de la réforme et « ne cédera rien au pessimisme, ou à l’immobilisme ».

Il dirige ce « peuple de bâtisseurs, conscient de sa vocation universelle », qui a le « sens de l’Histoire » et « quand l’Histoire s’accélère l’esprit français ne cède rien à la fatalité. » Ignorant les mouvements de colère et de révolte des fonctionnaires des services publics, des « stylos rouges » et des « blouses blanches » il poursuit, imperturbable, sur « l’Etat et les services publics [qui] ont un rôle essentiel pour renforcer cette unité française », bien que toute sa politique depuis le début de son mandat tend à imposer à l’Etat et aux services publics une conversion à la religion du capitalisme, une hybridation avec le secteur privé (3).

Nous sommes ici dans une technique de communication ravalée au rang de « bavardage » avec une « dégradation » du langage sans précédent ! Passons rapidement sur les éléments d’autopromotion de ce discours au sein duquel nous voyons les résultats économiques suivre l’agenda électoral (« depuis mai 2017 ») en effaçant comme à son habitude la dette à l’endroit de son prédécesseur. Passons sur les mouvements de manche vantant le caractère d’« exception » de son entêtement après un mois de grève dans les transports et une année de mouvements sociaux (« d’habitude, c’est le moment du mandat où on renonce ») accentuant le mépris à l’endroit de ses prédécesseurs et le caractère exceptionnel de sa personne.

Venons-en à l’essentiel. Nous constatons que la plupart des fragments de son discours recyclent des éléments de langage de sa communication électorale sans grand changement, en évidant la signification des mots, - « Etat » et « services publics », « solidarité », « universel », « dialogue respectueux et républicain, sans précédent », « justice et progrès », « apaisement », « politique ambitieuse pour l’hôpital », « l’unité de la Nation »… -, et en empruntant à un langage de « faux universel (4) » et de progressisme social autoproclamé qui ne passe plus. Qui passe d’autant moins qu’il est en flagrante contradiction avec la réalité sociale. Face à des mouvements de colère et de révolte réactionnels à une involution des services publics et des protections sociales, le Président de la République se présente comme leur garant.

Nous sommes dans une situation de communication paradoxale dont les conséquences politiques peuvent s’avérer calamiteuses aujourd’hui, demain… ou plus tard. Le discours présidentiel témoigne d’une autosuffisance rare, il est vrai, et d’une croyance assez exceptionnelle à prétendre incarner la vérité. Telles les œuvres d’art lorsqu’elles sont mises au service de la propagande, nous assistons à une disparition disséquante de la capacité à dire le monde. Il n’y a plus de message dans un tel discours, seulement de la communication. Une communication à l’imagination appauvrie qui recycle au nom de la mode et du futur (« nos enfants [et ] et leurs enfants après eux ») les lunes mortes d’un néolibéralisme vieilli.

Un tel discours se consume en se consommant, il ne requiert en aucune manière cette « prière de l’âme » que l’on nomme « la faculté d’attention ». Lorsqu’en politique un élu se risque dans les hésitations, les doutes et les tremblements de son discours à chercher l’attention de ceux qui l’écoutent, ceux-là savent qu’ils sont respectés et se trouvent invités à lui faire confiance. La confiance est affaire de foi, de sacré, - comme le dit l’étymologie -, et toute confiance commence par une confiance dans le langage. C’est, peut-être, ce qui se perd ici de plus précieux pour sauver la démocratie des tentations illibérales.

1. Professeur honoraire de Psychopathologie clinique à l’Université d’Aix-Marseille, Psychanalyste. Derniers ouvrages parus, Homo drogus (avec Hélène Fresnel, 2019, Harper Collins), La nudité du pouvoir Comprendre le moment Macron (2018, LLL), Un monde sans esprit. La fabrique des terrorismes, 2017, Paris, LLL.

2. Vœux du Président de la République aux Français pour l’année 2020, site de l’Elysée.


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