Leçons germaniques. Le parti de la nouvelle gauche allemande existe enfin : « Die Linke » ( La gauche) par Marc Dormoy Courant UNIR de la LCR)

mardi 24 juillet 2007.
 

Il suscite des interrogations et un certain étonnement de la part de la gauche française car regroupant l’ensemble des forces politiques à gauche de la social-démocratie, il représente un contre modèle à l’éclatement et la division actuellement en cours.

Comprendre l’émergence de nouvelles organisations politiques du mouvement ouvrier est déjà assez difficile en soi dans la période de grands bouleversements que nous vivons. Mais dans le cas de l’Allemagne, il existe une difficulté supplémentaire : l’obstacle linguistique.

En effet, alors que peu de militants de la gauche française ne lisent ni ne parlent l’allemand, les informations qui nous parviennent sont la plupart du temps des commentaires ou des analyses de français qui vont sur place ou qui s’intéressent à la situation politique allemande. Mais il est évident que rien ne saura remplacer la connaissance directe de la réalité du nouveau parti.

En conséquence, vue que « die Linke » ne constitue ni une parenthèse, ni un événement mineur, mais qu’au contraire il s’agit d’une sorte de retournement de l’histoire - dans son discours au congrès, Oskar Lafontaine indique, à juste titre, que le mouvement ouvrier allemand a été le creuset du mouvement ouvrier

Actuellement, les sondages indiquent que 14% des Allemands voteraient pour « Die Linke » en cas d’élections.

Depuis le congrès de fondation il y a quelques semaines, 4500 nouvelles personnes ont adhéré au parti, donc 80% à l’Ouest. Après le SPD et la CDU, le parti de gauche est devenu le troisième parti politique en Allemagne.

« Die Linke »

Une vision quantitative - et superficielle - du nouveau parti est vite faite : 70 000 membres, dont 11 000 du WASG et 60 000 du PDS ; quelques milliers d’élus municipaux et régionaux notamment sur l’ancien territoire de la RDA ; 54 députés au Bundestag (l’assemblée nationale) suite aux 8,7% lors des dernières législatives ; plusieurs centaines de permanents soit au siège national ( Karl-Liebknecht Haus ; avant 1933 l’immeuble était déjà le QG du KPD), dans les régions ou pour la fraction parlementaire ; un quotidien (« Neues Deutschland », dans la continuité de l’ancien organe du SED portant le même nom) ; une multitude de revues marxistes ; un institut marxiste de recherche et de débat très actif et ouvert à tous les courants de la gauche critique (Rosa-Luxemburg Stiftung) ; une influence de plus en plus grande au sein des syndicats de branche, de la base jusqu’au sommet .

Le congrès de fondation viens d’élire une direction composée de 44 membres, repartit à égalité entre le WASG et le PDS et a désigné deux présidents : Lothar Bisky et Oskar Lafontaine.

Au sein du parti, plusieurs « courants interne-externe » sont actifs avec leur propres publications, sites et réunions. Parmi beaucoup d’autres, on peut en distinguer trois plus importants :

* la « Antikapitalistische Linke » (gauche anticapitaliste) regroupant l’aile gauche du WASG et quelques membres du PDS avançant une critique substantielle de toute participation gouvernementale et se positionnant pour un combat contre le système capitaliste ;

* la « Sozialistische Linke » (gauche socialiste), le courant majoritaire et hégémonique du WASG, regroupant surtout les syndicalistes qui ont rompu avec le SPD et ayant des références explicites marxistes et keynésiennes - assez critique par rapport à la coalition avec le SPD à Berlin ;

* le « Forum demokratischer Sozialismus » (Le forum socialisme démocratique), courant de « droite » du PDS rassemblant une partie importante des élus du PDS à l’Est et pratiquant une politique social libérale au Sénat de Berlin. (2)

Les différentes organisations historiques du trotskisme allemand ont pour leur part et dans leur grande majorité rejoint « die Linke » et ont intégré la « Antikapitalistische Linke » ou la « Sozialistische Linke ».

Actuellement, les sondages indiquent que 14% des Allemands voteraient pour « Die Linke » en cas d’élections. Depuis le congrès de fondation il y a quelques semaines, 4500 nouvelles personnes ont adhéré au parti, donc 80% à l’Ouest. Après le SPD et la CDU, le parti de gauche est devenu le troisième parti politique en Allemagne. Il bénéficie clairement de la plus grande dynamique et est perçu comme une véritable menace pour l’ensemble des autres partis représentés au Bundestag.

Ce tableau est d’autant plus surprenant et positif que l’état de la gauche allemande pendant les 50 dernières années a été déplorable. Après tant de défaites et de démoralisation, les classes populaires en Allemagne retrouvent enfin une représentation politique indépendante et une perspective globale.

Mais l’essentiel ne se situe pas dans le poids quantitatif de la nouvelle gauche - mais dans la dynamique politique que traduit l’émergence du nouveau parti et qu’en retour il contribue à renforcer.

Les ruptures...

Le point de départ de « Linke » se situe en 1997, au moment de la constitution du gouvernement Schröder. Après 16 ans de gouvernement de droite, la victoire de l’alliance « Rouge - Verte » lors des élections législatives, est accompagnée d’un certain espoir du côté des salariés et des chômeurs. Les trois hommes qui symbolisent le nouveau gouvernement sont Gerhard Schröder, Joschka Fischer et... Oskar Lafontaine. Mais très vite les orientations politiques du gouvernement s’attaquent frontalement aux acquis de « l’Etat providence » instauré depuis 1945. Ce que Kohl n’avait pas osé faire pendant ses 16 années de chancellerie, Schröder et Fischer le font à grande vitesse : coupes radicales dans les allocations chômages, augmentation de l’âge de la retraite, démolition du droit de travail, privatisation de la grande partie du service public etc. La nouvelle équipe au pouvoir met en oeuvre un véritable programme « thatchérien », qui provoque la stupéfaction du côté du mouvement syndical, historiquement très lié au SPD, et plus généralement la base sociale traditionnelle de la social-démocratie se sent trahie.

A cela s’ajoute le fait que pour la première fois depuis le 3ème Reich, un gouvernement allemand envoie des troupes à l’étranger. La participation de l’Allemagne à l’intervention de l’OTAN en ex-Yougoslavie constitue un alignement sur l’offensive impérialiste des Etats- Unis.

Cette politique social libérale, militariste et impérialiste de la coalition « Rouge- Verte » est de plus en plus insupportable pour des secteurs du syndicalisme combatif et des courants de la gauche critique qui étaient polarisés par le SPD ou les Verts.

A l’Est, depuis 1990, le PDS a certes pu garder un ancrage et une influence importante, en se positionnant comme un instrument en défense des intérêts des « Allemands de l’Est », frappés de plein fouet par l’annexion de la RDA par la RFA. Mais en même temps, et en partie pour les mêmes raisons, il s’avère incapable de gagner le moindre soutien populaire à l’Ouest. Après plusieurs tentatives pendant les années 90, il est clair que le PDS ne pourra jamais, de par sa propre action, se développer an Allemagne de l’Ouest, ce qui le condamne à une marginalisation certaine puisque 62 des 80 millions d’habitants vivent « in den alten Bundesländern » (dans les anciens Länder).

La dérive droitière et libérale du SPD se combine ainsi à l’impasse du PDS et crée ainsi les conditions objectives pour l’émergence d’une nouvelle force politique à gauche.

Les choix politiques

La deuxième phase du gouvernement Schröder était vraiment sombre. Les attaques pleuvaient, les directions syndicales étaient complètement alignées sur l’orientation libérale, la gauche radicale isolée, marginalisée et sectaire. Du coup, même la CDU (le parti de droite) se permettait d’avancer des critiques « sociales » de l’action gouvernementale. C’est à ce moment que deux petits groupes de militants socialistes ou anciennement socialistes, lié à des syndicats combatifs, un à Hambourg et un autre à Munich, ont pris la décision de rompre avec le SPD et de se présenter à des élections municipales en constituant une « alliance électorale pour le travail et la justice sociale » (WASG).

Il s’agissait de la bonne initiative au bon moment, puisque immédiatement des secteurs importants du syndicalisme affichaient leur soutien à cette initiative. Pour la première fois depuis très longtemps, des sections syndicales toutes entières et des dirigeants syndicaux s’engageaient directement sur le terrain politique en confrontation avec le SPD.

L’orientation et le programme de cette alliance électorale n’étaient pas difficiles à élaborer : le refus de l’ensemble des attaques anti-sociales du gouvernement Schröder et l’exigence du retour des troupes allemandes du Kosovo - et plus tard de l’Afghanistan. C’est donc sur un programme antilibéral et en reprenant les revendications traditionnelles du syndicalisme
- revendications trahie par le SPD et par les directions syndicales - et s’appuyant sur les aspirations à une politique pacifique que le WASG a développé son identité politique.

Cela peut sembler évident, mais beaucoup de groupes de la gauche radicale ou issue de la crise du stalinisme voulaient imposer la « perspective socialiste », le « combat anticapitaliste » ou « l’anti-impérialisme » dans les fondements du WASG. Il a fallu se positionner frontalement contre une telle approche pour permettre l’émergence de la nouvelle gauche et garantir son succès.

Et puis arriva ce qui manquait encore : de sa retraite « volontaire » du gouvernement et du SPD, Oskar Lafontaine, avait compris que les conditions pour le retour dans la politique étaient réunies. En même temps qu’il annonçait son adhésion au WASG - adhésion individuelle, puisqu’il n’avait aucun groupe avec lui - il concluait un accord électoral avec le PDS pour les législatives de septembre 2005.

La suite est plus ou moins connue. Quand le PDS et le WASG et Oskar Lafontaine concluent l’accord pour les élections, il est évident pour tous qu’en cas de succès, la seule perspective ne peut être que la fusion entre le WASG et le PDS et la création d’un nouveau parti politique. Mais là aussi il a fallu se battre contre deux positions similaires présentes dans le WASG et le PDS.

* Une partie importante du PDS avait la crainte de perdre son identité « socialiste » parce que la nouvelle gauche se disait simplement de gauche et pas explicitement « socialiste ».

* Du côté du WASG, nombreux étaient les militants qui ne voulaient pas la fusion avec les élus et l’appareil du PDS par crainte de devenir un parti trop « institutionnel ».

Heureusement, les directions du PDS et du WASG et notamment Oskar Lafontaine ont sans relâche expliqué que la seule perspective pour les deux forces se trouvait dans leur dépassement et que les bases politiques communes étaient plus importantes que les différences existantes entre les deux formations.

Perspectives

D’après un sondage du 2 juin, les propositions avancées par Oskar Lafontaine, à savoir le retour de l’âge de la retraite à 65 ans, l’instauration d’un salaire minimum, l’abrogation de « Hartz 4 » et le retrait des troupes allemandes d’Afghanistan sont partagées par 40 % de la population et par plus de 50% des électeurs du SPD.(3)

Dans le cadre de la grande coalition entre le SPD et la CDU, c’est clairement la social-démocratie qui continue de perdre du terrain. Les électeurs, sympathisants et militants du SPD sont de plus en plus désorientés par l’évolution de leur parti. L’émergence de « Die Linke » constitue une véritable menace pour le social-libéralisme.

La leçon est limpide : l’unité de l’ensemble des forces politiques et sociales à gauche de la socialdémocratie permet l’émergence d’une alternative politique qui conteste l’hégémonie du social libéralisme sur les classes populaires.

1. http://die-linke.de

2. www.antikapitalistische-linke.de

www.sozialistische-linke.de

www.forum-ds.de

3. La grande coalition a imposé l’augmentation du départ à la retraite à 67 ans. Le SPD et la CDU refusent toute instauration d’un salaire minimum. Hartz 4 est le nom de la loi adoptée par le gouvernement Schröder qui supprime une grande partie des allocations chômage.


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