« Vivre ensemble, c’est urgent » : plus de 13 000 personnes marchent à Paris contre l’islamophobie

jeudi 14 novembre 2019.
 

La manifestation de dimanche a dénoncé les actes antimusulmans, après avoir divisé la gauche et suscité les critiques du Rassemblement national.

« L’islamophobie n’est pas une opinion, c’est un délit », peut-on lire sur l’une des pancartes de tête. Le défilé contre l’islamophobie visant à dénoncer les actes antimusulmans s’est élancé dimanche 10 novembre à Paris, après avoir divisé la gauche et suscité de vives critiques de la part du Rassemblement national (RN) toute la semaine.

La manifestation, à l’appel de plusieurs personnalités et organisations comme le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) ou encore le Collectif contre l’islamophobie en France, a démarré à 13 heures de la Gare du Nord, s’achevant place de la Nation. « Vivre ensemble, c’est urgent », ont clamé les quelque 13 500 personnes rassemblées, selon les calculs du cabinet d’études indépendant Occurrence. « Oui à la critique de la religion, non à la haine du croyant », « stop à l’islamophobie », pouvait-on aussi lire sur des pancartes de manifestants réunis devant la Gare du Nord, où de nombreux drapeaux français étaient brandis. « Solidarité avec les femmes voilées », ont scandé des participants.

« Stigmatisée au quotidien »

Sonia (son prénom a été changé à sa demande) a 26 ans et prépare le concours du barreau. Cette jeune femme élégante témoigne que, durant toute sa scolarité et ses études, elle n’a jamais été confrontée à des actes ou des remarques anti-musulmans. En revanche, elle a commencé à en rencontrer depuis qu’elle est dans le monde du travail. Elle a perçu des réactions dictées, analyse-t-elle, par la « peur de l’islam » et s’est sentie « réduite à ça ». « On m’a aussi critiquée lors de dîners parce que je ne buvais pas d’alcool », dit cette future avocate venue sans voile.

Fatouma, 21 ans, est venue de région parisienne avec deux copines, Nina, 17 ans, et Amina, 22 ans. Deux sont voilées, pas la troisième. Fatouma se sent « stigmatisée au quotidien par les regards » au travail, dans le métro, dans la rue. « C’est fatigant, on ne sait pas si c’est des interrogations ou de la peur. Quand il y a des attentats, les collègues ne veulent pas en parler devant nous, alors qu’on est aussi peinés que les autres. » Elle se sent aussi stigmatisée par « les journalistes ». « Ils parlent de nous et ne nous invitent même pas sur les plateaux pour nous donner la parole », accuse cette chargée de clientèle dans une entreprise de courses. Elle en veut aux médias d’avoir, assure-t-elle, « beaucoup moins parlé » de l’attaque de la mosquée de Bayonne que d’autres actes du même ordre.

Henriette Zoughebi arbore quant à elle un badge du Parti communiste français. Cette femme, dont la famille est juive, est venue manifester car elle ne « supporte pas qu’on puisse tirer sur des musulmans parce que musulmans ». « Il faut être intransigeant contre la haine raciste, car il y a un danger. De par l’histoire de ma famille, je sais où ça mène », affirme cette femme qui a adhéré au PCF « au moment de la guerre d’Algérie ». « Je ne cautionne pas certains mots d’ordre, mais il fallait qu’il y ait de la diversité » dans cette manifestation, ajoute cette fondatrice du salon du livre de jeunesse de Montreuil, ancienne conseillère régionale.

Le message initial de cette manifestation était de dire « STOP à l’islamophobie », à la « stigmatisation grandissante » des musulmans, victimes de « discriminations » et d’« agressions » dont « l’attentat contre la mosquée de Bayonne (…) est la manifestation la plus récente ». Mais depuis l’appel à manifester lancé le 1er novembre dans le quotidien Libération, quatre jours après l’attaque de Bayonne et sur fond de débat ravivé sur le port du voile et la laïcité, la classe politique se déchire autour de la participation à ce rassemblement, notamment en raison de l’identité de certains signataires de l’appel comme le Collectif contre l’islamophobie (CCIF), accusé de liens avec les Frères musulmans.

« Il y a des personnes indésirables »

La notion même d’« islamophobie » ainsi que l’identité de certains signataires de l’appel a conduit une partie de la gauche à ne pas s’y associer, au PS ou au PRG, ou encore à relativiser leur soutien initial, comme le député européen Europe- Les Verts (EELV) Yannick Jadot et le député La France insoumise François Ruffin.

Juste avant le début de la manifestation, le chef de file de LFI, Jean-Luc Mélenchon, qui y participe, a appelé à ne pas « confondre quelques personnes avec la valeur de la cause qui est servie ». Faisant valoir que « dans d’autres manifestations, il y a des personnes indésirables », le député de Marseille a aussi déploré que l’on finisse « par oublier l’événement fondateur » de ce défilé, à savoir « la tentative de meurtres devant la mosquée de Bayonne ».

« S’il y a en effet ici des gens qui nous dérangent, il y a aussi des gens avec qui on est plus à l’aise », a souligné M. Mélenchon, en évoquant ainsi la présence de la CGT. Quant aux réserves exprimées au sein même de LFI par François Ruffin et Adrien Quatennens, « nos appréciations personnelles peuvent différer », a-t-il admis.

Au même moment sur BFM-TV, déplorant la participation de M. Mélenchon qui « a été un grand laïc », la députée Aurore Bergé, porte-parole de LRM, s’est élevée contre « une marche qui attaque l’Etat et qui utilise un terme [islamophobie] dont on sait bien qu’il est utilisé à des fins politiques ».

Pour la présidente du RN Marine Le Pen, « tous ceux qui vont se rendre à cette manifestation seront main dans la main avec les islamistes, c’est-à-dire ceux qui développent dans notre pays une idéologie totalitaire qui vise à combattre les lois de la République française ».

« Nous sommes fiers d’être musulmans et fiers d’être citoyens français »

« Il y a une volonté de saboter la manifestation, évidemment », a réagi le conseiller municipal de gauche à Saint-Denis, Madjid Messaoudene, un des initiateurs de l’appel. Dans le cortège, l’ancien directeur exécutif du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), Marwan Muhammad, ne dit pas autre chose. « Le traitement politique et médiatique de la manifestation illustre le traitement de la question musulmane en général », accuse le militant. « On s’attaque aux signataires et au terme islamophobie. Parlons plutôt de la réalité du phénomène ! », souligne-t-il encore.

En approche de la place de la République, Marwan Muhammad a pris la parole, debout sur une camionnette. « Salam aleikoum. Ça veut dire que la paix soit sur vous, pas la peine d’envoyer la brigade antiradicalisation », a-t-il lancé en déclenchant les rires de la foule. Puis il fait répéter à plusieurs reprises aux manifestants « Allahou Akbar », car « on en a marre que les médias fassent passer cette expression pour une déclaration de guerre » – elle est notamment prononcée par les terroristes passant à l’action. « Nous sommes fiers d’être musulmans et fiers d’être citoyens français », lance-t-il encore.

Cécile Chambraud (avec AFP)


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