La France insoumise : « C’est moi, c’est nous qui sommes violentés »

mardi 24 septembre 2019.
 

Le président de La France insoumise a donné son témoignage de la perquisition au siège du mouvement, en octobre 2018.

Le président Benoît Descoubes n’a « pas vraiment de questions » à poser au président de La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon, premier des six prévenus à répondre, jeudi 19 septembre, de rébellion, provocation directe à la rébellion et intimidation envers des magistrats et des dépositaires de l’autorité publique devant le tribunal correctionnel de Bobigny. « La matérialité des faits qui vous sont reprochés est établie. Les images sont là. »

On les connaît, ces images de la perquisition interrompue au siège de LFI le 16 octobre 2018. On les revoit, on les re-revoit, saisies par les caméras d’une télévision, par les téléphones des militants, par celui de Jean-Luc Mélenchon lui-même, par les policiers présents lors de l’opération. Avec son, sans son, hachées, continues, sous tous les angles. Leur diffusion dure une matinée entière dans la salle d’audience.

On en sait toutes les répliques depuis l’arrivée tonitruante de Jean-Luc Mélenchon au siège de son mouvement. Montée rapide des escaliers. « Allez, enfoncez-moi cette porte ! On va voir si on va m’empêcher d’entrer dans mon local ! » Eructations face au gendarme impavide qui garde l’entrée. « C’est pas de la police que vous êtes en train de faire, Monsieur ! Ne me touchez pas ! [« C’est vous qui me touchez », répond calmement le gendarme] La République, c’est moi ! Poussez-vous de là ! Allez ! On va voir qui va avoir le dernier mot ici ! »

La porte oscille sous la poussée du groupe emmené par Jean-Luc Mélenchon, celle d’en face s’entrouvre, le groupe se précipite : « Allez, on pousse ! On est chez nous ici ! », répète-t-il. On entend des cris, une table se renverse, un policier et un militant tombent, le député Alexis Corbière vocifère, on le retient, il crie plus fort. Dans un autre angle de la pièce, Jean-Luc Mélenchon plaque le procureur contre la porte, un policier s’interpose. Encore quelques échanges salés, puis l’atmosphère se détend, mais la perquisition est interrompue. « On ne peut pas continuer dans ces conditions », constate un enquêteur.

Le président a tout de même une question : « Quelque chose m’étonne. Vous montez avec des militants et, tout de suite, vous criez. Pourquoi ne demandez-vous pas à rentrer calmement ? »

Jean-Luc Mélenchon a des réponses, beaucoup de réponses. « Les images ? Mais elles mentent depuis deux mille ans les images ! Et dans la vie il n’y a pas que les gros plans. » Il évoque d’abord son réveil, le matin même, chez lui, à 7 heures, par des « personnes armées qui fouillent [ses] affaires, siphonnent [son] téléphone. C’est un moment d’extrême violence, de confusion, de sidération. Je reçois des informations sur ce qui se passe au siège de mon parti, je ressens un extraordinaire sentiment d’humiliation. Je suis président d’un groupe d’opposition. J’ai une responsabilité morale qui m’engage par rapport à tous ceux qui m’ont confié leurs noms, prénoms, coordonnées. Je ne peux pas ne pas avoir à l’esprit l’environnement politique de tout ça ».

« C’est moi, c’est nous qui sommes violentés »

Tous ceux qui, dans les scènes qui ont suivi, ont cru percevoir la perte de nerfs d’un élu – avec l’effet désastreux qu’elles ont produit dans l’opinion sur l’image d’un candidat aspirant aux plus hautes fonctions de la République – se sont trompés. Par manque de culture, par ignorance politique. Ce qui s’est produit ce jour-là, au siège de LFI, était en réalité le fruit d’une histoire et d’une stratégie, explique Jean-Luc Mélenchon.

Pour comprendre la fameuse phrase qu’il a lancée aux policiers lors de la perquisition de son domicile – « Ma personne est sacrée » –, il faut remonter à la grève des tribuns du peuple quatre cents ans avant l’ère chrétienne, à Mirabeau et aux Etats généraux. Pour saisir le sens de sa colère, il faut savoir que « la politique, la polémique, sont des violences symboliques » alors que lui, Jean-Luc Mélenchon, est « sujet de violences en permanence ». Et il ajoute : « C’est moi, c’est nous qui sommes violentés. »

Le prévenu martèle : « Ce procès est un procès politique parce que les motifs sont politiques ; On voulait me nuire et me flétrir. Je n’ai bousculé, frappé, violenté personne. Je n’ai fait que rappeler les règles de la République. Je me suis comporté comme un militant politique dans une situation politique. » Il ajoute : « Accuser un “insoumis” de rébellion, c’est quelque part un pléonasme. »

Et puis, oui, reconnaît-il, il parle fort. « Je suis d’une génération de militants politiques qui parlait très fort et faisait parfois plus que parler très fort. » A l’adresse des « pauvres policiers » et du « malheureux gendarme » qui se plaignent d’avoir été agressés, Jean-Luc Mélenchon affirme qu’il n’a fait que leur rappeler « le respect dû aux députés, non pas à leur personne, mais à leur fonction. Voilà ce que ça donne quand l’Etat se décompose ! » Il ironise : « Maintenant, si quand on est policier on tombe malade parce que quelqu’un parle trop fort… alors vous allez embastiller des milliers de gens ! »

L’un évoque la loi, l’autre l’histoire

Du banc des parties civiles, Me Eric Dupond-Moretti, qui défend l’un de ces policiers, est le premier à se lever. Jean-Luc Mélenchon guette avec gourmandise ses questions. Les deux hommes, qui ont déjà polémiqué à distance les jours précédents, se reniflent. « Quel est le problème, Me Moretti ? Où voulez-vous en venir ? Arrêtez de me tailler vos petites questions en rondelles comme ça. Soyez offensif, quoi ! » La salle, tout acquise au président de LFI, soupire d’aise. L’avocat s’agace : « On ne va pas inverser les rôles. C’est moi qui pose les questions. » Le prévenu feint la confusion : « Ah, c’est vrai, je ne connais pas les usages, je n’ai jamais été condamné. Je ne vais pas vous promettre d’apprendre. »

Me Dupond-Moretti évoque la loi, le droit, Jean-Luc Mélenchon répond histoire et révolution : « J’ai préjugé que Me Moretti arriverait à comprendre un discours qui vient du fond des âges… Je ne me mouche pas tous les jours avec le code de procédure pénale. » « Présentez-vous vos excuses aux policiers ? », l’interrompt l’avocat. Jean-Luc Mélenchon se tourne vers ceux qui ont porté plainte : « Je regrette profondément de vous avoir perturbé par mon niveau de décibels au point qu’il vous a fallu sept jours pour vous en remettre. »

Les autres avocats des parties civiles, Me François Saint-Pierre et Me David Lepidi, se heurtent à leur tour à la redoutable dialectique du tribun. « Ce n’est pas une agora, ici, c’est une enceinte judiciaire ! », lui lance l’un d’entre eux. « Une agora, c’est respectable. Vous apprendrez que c’est le lieu de naissance de la démocratie ! », réplique Jean-Luc Mélenchon.

A la procureure Juliette Gest qui lui demande quelle distinction il opère entre insoumission et infraction, il répond par un cours d’étymologie latine et une leçon d’histoire du consentement à l’autorité, de Dieu à la démocratie. Ses coprévenus répètent ensuite, avec moins de talent, les arguments de leur chef.

Réquisitoire et retour au code pénal pour tous, vendredi 20 septembre en fin de journée.

Pascale Robert-Diard


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