Povera Italia

samedi 14 septembre 2019.
 

Par Denis Collin (La Sociale)

On ne peut s’empêcher de reprendre l’expression de Francesco Guicciardini confronté aux « horrende guerre » qui ensanglantent son pays à la fin du XVe et au début du XVIe siècle. Certes aujourd’hui, plus de « calata dei Francesi » (la descente de l’armée de Charles VIII en 1494 qui commence les longues guerres d’Italie), plus d’intervention directe de l’empereur d’Allemagne dont les soudards ne mettent plus Rome à sac. Mais une lente reculade sur tous les plans et une décomposition politique qui ne peut qu’affliger tous les amoureux du « bel paese ». La crise politique qui conduit à l’éclatement du gouvernement « gialloverde » (M5S – Lega) est une nouvelle étape sur cette route infernale. Seuls les incurables optimistes (ou les idiots qui voyaient dans ce gouvernement un gouvernement fasciste) peuvent s’étonner de l’issue de cette tentative étrange.

L’idée a germé depuis un moment : il faut dépasser l’opposition droite-gauche (ce qui est pertinent) mais pas forcément par l’alliance d’un parti de droite et d’un parti de gauche ! En tout cas, le M5S, par-delà ses ambiguïtés pouvait être considéré comme un parti réformiste à l’ancienne, défenseur d’un certain keynésianisme social et de l’écologie. Le Lega, de son côté, restait bien ancrée à droite, non seulement dans une idéologie bric-à-brac typique de ce genre de partis mais aussi dans une rhétorique non dépourvue de clins d’œil vers la période mussolinienne. Ce qui scellait l’alliance Salvini-Di Maio-Conte, c’était un euroscepticisme de bon aloi et une volonté, au moins affirmée en paroles, de défendre l’indépendance nationale et la souveraineté italienne. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, « La Sociale » a toujours refusé de rejoindre le chœur de la gauche « buonista » qui dénonçait le « fascisme » de Salvini.

Deux facteurs ont fait éclater la coalition. D’une part Salvini a été le grand gagnant de l’alliance alors que Di Maio a souvent été réduit à jouer les utilités. Salvini a pu mettre en œuvre sa politique de « fermeté » à l’égard des immigrés, ce qui lui a valu une hausse de popularité importante. Le M5S de son côté a commencé à mettre en œuvre sa politique sociale mais avec tant de restrictions et de reculs que cela ne lui a pas été profitable électoralement. Les européennes ont permis à la Lega de doubler son pourcentage par rapport aux législatives pendant que le M5S perdait une bonne partie de ses électeurs. La Lega a fait une razzia chez les électeurs de la droite classique (les berlusconistes de Forza Italia) et dans l’électorat catholique pratiquant qu’il flatte avec constance (en dépit de se divorces et son goût pour les starlettes). Dans le même temps, de nombreux électeurs M5S retournaient au PD. Fort de son succès, Salvini a entrepris de jouer sa propre carte et de tenter un coup de force en faisant éclater le gouvernement dont il était vice-premier ministre.

Mais au-delà de ses ambitions (parfois inquiétantes, puisqu’il veut « les pleins pouvoirs ») Salvini reçoit l’appui d’une partie du patronat qui, faute de venir à bout directement du gouvernement « gialloverde » organise la « trahison » de Salvini, c’est-à-dire le retour aux fondamentaux de la Lega. Diminuer les impôts et donc les ressources de l’État, favoriser l’autonomie de régions, tout cela pour « libérer les énergies » et « stimuler » l’économie italienne : ce sont des recettes bien connues. On dirait même du Macron ! Diego Fusaro évoque un autre aspect : Salvini fait éclater le gouvernement au retour de son voyage à Washington. Comme Conte voulait développer les relations avec la Chine dans le cadre de la stratégie chinoise de la « route de la soie », Salvini aurait reçu l’ordre et le soutien de la Maison Blanche pour empêcher qu’une telle stratégie ne progresse en Europe… Qu’en est-il au juste ? Ce sont des spéculations qui demandent un peu plus d’arguments que quelques conjectures hasardeuses. Une autre pomme de discorde est l’affaire du TAV Lyon-Turin (train grande-vitesse), que Salvini avec presque toute la classe politique italienne et le patronat défend mordicus. L’UE a d’ailleurs décidé de donner un coup de main financier au TAV. Bref, tout se passe comme si les ambitions politiques de Salvini entraient en syntonie avec les desiderata de l’UA et du capital italien.

À mon ami Fusaro, qui a tendance à renvoyer maintenant tout le monde dos-à-dos, je dois dire que le « traître », c’est Salvini. Mais il ne trahit que ceux qui ont cru à sa rhétorique. Maintenant, l’Italie est au bord d’une nouvelle crise structurelle. En effet, soit se dégage une nouvelle majorité parlementaire, une majorité PD-M5S pour un nouveau contrat de gouvernement, soit on retourne aux élections avec la possibilité très préoccupante d’une majorité Lega-Fratelli d’Italia appuyée éventuellement par les rescapés du berlusconisme. La première branche de l’alternative signifie le retour au pouvoir de la combine et des corrompus du PD et un réalignement sur l’UE… et préparerait les futurs triomphes de Salvini. La deuxième hypothèse ouvrirait la voie à un gouvernement libéral-autoritaire de type Orban avec une bonne touche maffieuse pour colorer le tout. Cependant, à long terme, la première hypothèse serait la plus désastreuse parce qu’elle achèverait la démoralisation politique du pays alors qu’en se lançant sérieusement dans la bataille électorale, le M5S a une chance de sauver les meubles et de résister à l’ascension d’Arturo Salvini. Les « antifascistes » sans fascisme sont déjà sur le pied de guerre et font pression pour faire prévaloir la solution PD-M5S, voire une solution PD-FI-M5S directement inspirée par la majorité au parlement de l’UE, pour laquelle œuvre le triste Prodi, agent patenté du capital, grand liquidateur de l’État social italien.

Entre la peste et le choléra… Il n’y a malheureusement pas d’alternative politique sérieuse en Italie. Les groupes de la gauche et de l’ultra-gauche ne comprennent rien à la question nationale. Le PD est le grand foyer d’infection de la démocratie italienne et aucun pôle socialiste ou communiste sérieux n’existe depuis que les chances représentées par le parti Rifondazione Comunista ont été dilapidées voilà deux décennies. Dans l’idéal, il faudrait s’atteler à la (re)construction d’un parti communiste-socialiste républicain, défendant la souveraineté du peuple. Il existe de petits groupes qui défendent cette orientation, mais tout aussi dispersés que leurs équivalents français. Mais la lutte de classes ne souffre pas d’interruptions et gageons que la classe ouvrière italienne n’a pas encore dit son dernier mot. Et pour nous, Français, n’oublions pas : De te fabula narratur (c’est de ton histoire dont il s’agit).

Le 26 août 2019 – Denis Collin


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