Lula libre. Retour aux causes.

dimanche 15 septembre 2019.
 

Il est possible que vous ayez vu mon direct Facebook à la sortie de la prison où est enfermé Lula à Curitiba au Brésil dans l’État de Paraná (le Brésil est un État fédéral). Vous retrouvez ici le lien qui vous y conduit. Mais je ne crois pas que je me répèterai de trop.

Lula est en prison depuis 516 jours. Il purge une peine de 12 ans et 11 mois. Pour un crime qu’il n’a pas commis. Son incarcération se fait au siège de la police fédérale de l’État et non dans un établissement pénitencier. Sa cellule a été aménagée à partir du local où dormaient auparavant à tour de rôle les gardes de cet édifice. Au pied de l’immeuble, ses amis ont loué un terrain où est établi un campement permanent de militants. Chaque matin à sept heures ils se retrouvent pour crier « Bonjour Lula ». Chaque jour à quatre heures, ils lui crient encore tous ensemble « Bon après-midi Lula », chaque soir à 19H 30 « Bonne nuit Lula ». Le reste du temps, ils font des cours de formation et des activités les plus diverses. Un aimable folklore existe aussi. Certains ne se coupent pas la barbe jusqu’à la libération de Lula, d’autres cousent des motifs sur des drapeaux ou pancartes « Lula Libre ». Et bien d’autres choses. Mais au total, la dimension humaine de l’emprisonnement du dirigeant politique est totalement partie prenante de la lutte qui se mène pour sa libération.

Je crois qu’il est utile pour ceux qui entrent seulement dans ce sujet de connaitre d’abord quelle est cette affaire.

Jaïr Bolsonaro, le président d’extrême droite a prévenu : « Lula pourrira en prison ». Le milliardaire président exulte. Car Lula a été condamné six mois avant l’élection présidentielle à laquelle il était candidat, et favori. Deux mois avant cette élection, en conséquence de cette condamnation, il a été déclaré inéligible. Le fasciste Bolsonaro a remporté l’élection et le juge Sergio Moro, qui a condamné Lula, est devenu son ministre de la justice.

Il faut sans cesse s’en souvenir : Lula est innocent. Il est victime d’une machination politique judiciaire visant à empêcher son retour au pouvoir. Moro l’a accusé d’avoir reçu un « pot de vin » de l’entreprise Petrobras. Il s’agirait d’un appartement triplex « avec vue sur mer ». Mais il n’a jamais apporté la preuve de ce qu’il avançait. Où est ce triplex ? Pour mener à bien son opération, il a dû inventer une théorie judiciaire de la condamnation « malgré l’absence de preuves » de culpabilité. Lula est donc condamné pour corruption « pour fait indéterminé ». Je tiens à le préciser. Ce point me parait crucial.

En effet je constate un détail navrant dans les revues de presse que je suis bien obligé de lire. Je dis obligé car en réalité, depuis trois mois, je ne lis quasiment plus aucun journal français, en tous cas plus aucune rubrique politique, ni ne regarde une télé ou n’écoute une radio française. Dans ces revues de presse je note un grand appétit à reproduire mot par mot l’accusation sans que jamais un « détail » crucial soit mentionné : personne n’a jamais vu, ni connu, ni entendu parler de ce triplex où que ce soit au Brésil ou ailleurs dans le monde. Et cela pour une raison simple : il n’existe pas.

Je ne suis pas étonné. La technique de la guerre judiciaire inclut la manipulation médiatique comme un élément essentiel de son action. Le « juge » Moro explique sans fard comment les fuites de presse et la diffusion de pseudos informations privilégiées sont un moyen de pression sur les victimes à persécuter. Les manipulateurs comptent sur un effet de système. Pas besoin que les milliardaires qui possèdent la presse téléphonent à qui que ce soit dans la rédaction. Goût du scandale, appétit de clics et parti-pris politique : les mécanismes du dénigrement médiatique fonctionnent en pilotage automatique. La manipulation de la presse par les juges a joué à plein contre Lula, au mépris le plus complet des droits de la défense.

Dans un article où il explique ses stratégies, Moro a théorisé le fait d’utiliser les fuites dans la presse et les mises en scènes médiatiques afin de mettre la pression à sa victime. Depuis les révélations qui ont prouvé les manipulations du « juge » Moro, certains médias ont fait leur mea culpa. C’est au point que certains n’ont eu d’autres choix que de manger leur chapeau. L’une des premières télés, Globo, a dû présenter ses excuses pour la désinformation à laquelle ses journalistes ont activement participé. En France aussi, le journaliste international de France inter Anthony Bellanger a fait ce mea culpa totalement inhabituel et inconnu dans sa profession : « Oui, j’ai cru en l’indépendance de la justice brésilienne et j’ai eu tort. Le petit juge Sergio Moro, avait bien un agenda politique ». Un cas unique en Europe et qui mérite d’être salué comme tel. Aucune contagion en vue cependant.

Pour la persécution de Lula, on a vu se déployer toutes les techniques caractéristiques du « Lawfare » qui ont depuis été réutilisées partout et dorénavant en France aussi. Le Lawfare c’est « la guerre judiciaire ». La destruction des adversaires politiques par la judiciarisation de la politique. Tout commence par une dénonciation venant d’un personnage perturbé. La presse reprend l’accusation et fait le tam-tam par goût du scandale. Un juge prend en charge la dénonciation et ouvre « une enquête ». Alors le rouleau compresseur se met en marche. Sans pause ni trêve. Le piège est armé. Tous les coups sont permis, sans recours, sous les apparences du fonctionnement indépendant de « la justice ». En coulisse prévaut le piétinement de l’État de droit en toute connivence et impunité.

Ainsi, au Brésil, les policiers, les procureurs et les juges sont censés former des corps indépendants les uns des autres. Dans le cas Lula, tous ont au contraire travaillé sous la direction directe du « juge » Sergio Moro. C’est lui qui supervisait les enquêtes, déterminait les peines à requérir et les prononçait. Mais il a surtout utilisé la méthode des « délations récompensées » selon laquelle des personnes condamnées voient leur peine réduite si elles pointent du doigt le coupable que le juge leur désigne. Grâce à cette méthode, dans le cadre de « l’enquête » du « juge » Sergio Moro, un riche patron, vraiment corrompu, a pu réduire sa peine de 19 ans à 2 ans et demi. Il avait auparavant dans le passé nié en trois occasions différentes avoir eu à faire avec Lula. Dès qu’il a eu changé d’avis sur le sujet il a été immédiatement récompensé par une mise en liberté anticipé. Quand on lui a demandé pourquoi il avait changé son discours, il a répondu : « parce que mon avocat m’a conseillé de le faire pour pouvoir être libéré ».

Mettre Lula en prison n’aura pas suffi à satisfaire la hargne du système contre lui. Le but des opérations de Lawfare est de briser psychologiquement ses victimes. Depuis son incarcération, les humiliations continuent pour Lula. En janvier dernier, avaient lieu les obsèques de son frère. La permission qu’il a demandée pour y assister lui a été accordée. Mais la cérémonie était déjà commencée quand elle lui est arrivée. Lula n’a donc pas eu l’occasion d’accompagner son frère défunt. Il n’a pas pu non plus veiller au chevet de son petit-fils de 7 ans, décédé en mars dernier d’une méningite.

Rafinement anxiogène : début août, la juge d’application des peines qui s’occupe de son cas, Carolina Lebbos, a cru bon d’ordonner son transfert dans une prison connue pour accueillir les criminels et tueurs en série les plus honnis du Brésil. On craignait clairement pour sa vie dans un tel environnement propice à toutes les manipulations. Pour justifier sa décision, madame Lebbos a déclaré qu’il fallait « réduire les coûts humains et financiers » de l’incarcération de Lula. Le transfert a été in extremis refusé par la cour suprême dans l’attente du jugement d’une demande de liberté déposée par les avocats de Lula. Au Brésil comme partout en pareil cas. Passés les premiers temps de la jouissance des coups portés à un personnage politique aussi typé que Lula, des gens se ressaisissent. L’image d’un pays où la justice est une comédie de cette nature n’est bon ni pour les affaires ni pour la réputation collective. Dans les milieux de la magistrature et dans celui des affaires aussi certains commencent à trouver la comédie trop coûteuse. « Il ne savent plus quoi faire de moi » m’a dit Lula. Le garder en prison est infamant pour la classe dominante, le relâcher est ingérable.

Rappelons tout de même qui est Lula pour le Brésil. Il est l’homme qui a mis en place les programmes « bolsa familia » et « faim zéro », qui sont parmi les plus amples plans de lutte contre la pauvreté jamais mis en œuvre par un gouvernement dans le monde. Sous ses mandats, 40 millions de brésiliens sont sortis de la pauvreté. Il a donné accès aux médicaments de base à 43 millions de personnes qui en étaient privées. Il a considérablement augmenté le taux de scolarisation et le niveau général d’éducation dans son pays. En 2010, il fut nommé par le programme alimentaire mondial de l’ONU « champion mondial dans la lutte contre la faim ». Après 8 ans de présidence, il a quitté le pouvoir avec 90% d’opinions positives. Avec Nestor et Cristina Kirchner, Evo Morales, Hugo Chavez et d’autres, il a aussi travaillé à sortir l’Amérique du sud de l’alignement complet sur les États-Unis et de l’obéissance aux grossiers proconsuls dont ce pays accable ses voisins.

Aujourd’hui, les éléments s’accumulent pour montrer que Lula est bel et bien la victime d’un complot politique. En Juin 2019, le journaliste Glenn Greenwald, responsable des révélations sur la façon avec laquelle la NSA américaine espionne le monde, en a publié des preuves accablantes dans le magazine The Intercept. Il s’agit de conversations privées entre le procureur Moro et les juges qui ont condamné Lula. Ils montrent que le premier fournissait des conseils et des instructions aux seconds tout le long de la procédure au mépris de tous les principes qui font un procès équitable. Dans ces échanges, les juges disent explicitement qu’ils ne disposent pas de preuves de la culpabilité de Lula. Il s’agissait donc bien d’un tissu de mensonges, d’une attaque politique déguisée en affaire judiciaire. Pour la démocratie brésilienne, le mal est fait et il s’appelle Bolsonaro. Mais pour que des Bolsonaro soit possibles il faut avant qu’il y ait des « juges » Moro, Lebbos et ainsi de suite dont les manœuvres mensongères ont été relayées sans recul ni réserve par des journalistes aussi corrompus moralement qu’eux.

Toutes ces méthodes ont été appliquées à Cristina Kirchner en Argentine. Peu s’en est fallu qu’elle soit elle aussi incarcéré. Car avant elle, ce fut le cas de son ex vice-président, Amado Boudou, désormais en prison. Certes, depuis, il a été lavé de toutes les accusations de corruption qui pesaient contre lui. Mais il reste détenu pour le crime incompréhensible de « fausseté idéologique ». J’en passe et des meilleures.

Au Brésil comme en Argentine la réplique a parfois tardé à se mettre en place. Depuis, elle fonctionne à plein régime. J’ai rencontré les groupes d’avocats qui dans les deux pays tiennent la dragée haute aux procureurs et juges moralement corrompus qui rabaissent la justice de leur pays au niveau de ce genre de triste règlement de compte politique. Nous même en France, nous avons mis beaucoup de temps à comprendre que le « lawfare », la guerre politique judiciaire, était engagée contre nous. Je prends ma part de responsabilité dans ce retard. Jusqu’à l’affaire de Nice et celle de Nantes, et jusqu’au refus de Belloubet d’ouvrir une enquête pour sanctionner la vente d’information à la presse sur la procédure qui nous concerne, jusqu’à l’instrumentalisation des procédures pendant la campagne électorale européenne et la diffusion des comptes rendus d’audition par deux journaux qui les ont de surcroît manipulés à charge, je n’arrivais pas à croire que la justice de notre pays en soit rendue à ce point. Dorénavant ma conviction est faite et nous en avons tous tiré les conclusions qui s’imposaient.

Lula nous l’a dit : il n’y a pas d’issue judiciaire pour nous dans ce type de situation. Aucune naïveté n’est possible. Tout est politique et la réplique doit être aussi politique et coûteuse pour nos adversaires qu’elle l’est pour nous. Les noms des manipulateurs, leurs réseaux, leurs mensonges et montages doivent être mis à nus. Il faut retourner les procédures contre leurs auteurs. Moro aujourd’hui fait l’objet de plusieurs incriminations judiciaires du fait des révélations sur son attitude secrète. L’attention du public doit être attirée sur les manipulateurs, leurs carrières, comme elle l’est sur les accusations pourtant mensongères dont nous souffrons.

Au plan international, nous avons décidé cet été de nous coordonner et ma tournée y a contribué de façon très directe. Car je ne me suis pas contenté de mener mon enquête à propos du nouveau moment politique dans le sous-continent latino-américain et sur les percées vers le nord jusqu’aux États-Unis. Sur ce thème, ma moisson est importante également.

Mais j’ai fait la tournée des juristes et des responsables politiques qui ont en charge les contre offensives dans le domaine du Lawfare. J’ai appris beaucoup sur ce thème. Il est devenu mondial. Il existe aujourd’hui une école de formation au Lawfare aux Etats Unis où se préparent les agents de cette forme de guerre. Il y a une étroite connexion entre les juges de tous les pays qui coopèrent dans la persécution politique. On croirait voir revenu le mode du plan Condor qui liait les militaires entre eux pour la persécution des militants politiques et syndicalistes dans les années 70. Nous allons donc établir notre propre système de connexion et de lutte en réseau pour aider ceux qui sont les plus isolés et les plus maltraités. Plusieurs ont évoqué l’aide que nous ont déjà apporté les hackers qui ont permis la révélation des manœuvres secrètes du « juge » Moro. On ne doit donc jamais exclure non plus des possibilités d’appui spontané venant aussi de l’intérieur de l’appareil judiciaires ou des salles de presse où se trouvent des gens qui croient à leur métier et refusent son abaissement à ces pratiques de vendetta. Nous sommes donc en cours d’organisation et il s’agit d’être rapidement au niveau, comme eux, en Europe, en Afrique, en Asie et aux Amériques (nord et sud).


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