18 juin 2007 Daniel Schneidermann (Arrêt sur images) licencié par France Télévision

jeudi 18 juin 2015.
 

L’ère Sarkozy passe les médias au karcher

Durcissement chez France Télévisions : non seulement Arrêt sur images, la seule émission de critique et de réflexion sur la télévision, disparaît des écrans de France 5, mais en outre, son animateur Daniel Schneidermann est licencié pour faute grave, contrairement à tous les usages.

Le monde de la télévision est réputé impitoyable, mais tout de même ! Une certaine tradition voulait que les patrons de chaînes arrêtant une émission, surtout ancienne, manifestent un respect plus scrupuleux du droit du travail. Employé en contrat à durée indéterminé depuis douze ans par France 5, son licenciement présageait que Daniel Schneidermann aurait quelque temps pour se retourner et trouver un nouveau job ou bien simplement élaborer une nouvelle émission. La lettre de licenciement qu’il a reçue hier, malgré les 143 000 signatures d’une pétition exigeant le maintien d’Arrêt sur images, ne lui laisse aucune marge de manœuvre.

La faute grave, chacun le sait, permet à l’Etat, via sa chaîne publique France 5, « d’économiser » des dizaines de milliers d’euros. Tout ça parce que l’animateur d’Arrêt sur images a « tenu des propos inadmissibles », alors que « la chaîne ne s’était pas encore prononcée » sur le devenir de l’émission. Il a en effet laissé entendre que l’arrêt de l’émission était lié à des « pressions politiques ». Ces « graves accusations » mettent non seulement en cause « l’indépendance de la direction du groupe France Télévisions et de la chaîne, mais aussi l’indépendance et la qualité du travail de certains journalistes d’autres chaînes du groupe ».

Selon la lettre de France 5, Schneidermann aurait organisé « de façon délibérée une campagne de dénigrement à l’encontre des dirigeants de la chaîne et du groupe allant jusqu’à des attaques personnelles envers son président Monsieur Patrick de Carolis dans le but de faire pression ». Il a « insinué que la décision de l’arrêt de l’émission résultait d’une volonté de vengeance ». Il a écrit « quel effet ça fait, Carolis, de porter si longtemps votre vengeance ? ». Enfin, Daniel Schneidermann a osé écrire sur son blog que sa « direction était nulle ».

Il ne faut pas s’y tromper. La décision de licencier Daniel Schneidermann est un message précis et menaçant à l’endroit d’une profession - les journalistes - en délicatesse avec le pouvoir et souvent en rébellion contre ses actionnaires, grands groupes cotés au CAC 40. Ce licenciement survient au moment où Bernard Arnault, PDG de LVMH, premier annonceur français, ami et témoin de mariage de Nicolas Sarkozy, s’apprête à mettre la main sur la premier quotidien économique français, Les Echos ; au moment où Vincent Bolloré, qui a eu la délicatesse exquise de prêter son yacht au nouveau président, se propose d’acheter La Tribune à Arnault pour faciliter celui des Echos ; au moment enfin où Alain Minc, autre convive du fameux dîner de la victoire de Nicolas Sarkozy du 6 mai, s’accroche à la présidence du Conseil de surveillance du Monde alors qu’il ne dispose pas du quorum prévu par les statuts à cet effet et qu’une majorité de journalistes a adopté une motion de défiance contre lui tandis que les lecteurs protestent par lettres et courriels menaçant souvent de se désabonner du journal.

Quel est le rapport entre la décision de France Télévision et tous ces évènements qui concernent des sociétés privées ? Il est très facile à comprendre : l’information sur les médias, la critique des émissions et des actes de censure (on vient d’apprendre que même Le Parisien a censuré un dossier sur Sarkozy et les médias le 21 mai) est l’une des garanties qui protègent le travail des journalistes, dans la mesure où les directions des journaux et des chaînes savent que leurs abus de pouvoir risquent de bénéficier d’une « mauvaise publicité » dans ces émissions (ou ces rubriques). Il faut donc faire taire définitivement cette publicité-là, afin de laisser à la place à l’autre, la vraie, celle qui comme l’a dit joliment Patrick Le Lay exige un « temps de cerveau disponible ». Daniel Schneidermann n’est pas un journaliste conciliant. Ses critiques à l’égard de ses confrères ont certainement dû en agacer plus d’un. Mais s’ils réfléchissent un tout petit peu, ils comprendront vite qu’il défendait aussi la liberté d’exercer leur métier. Voilà pourquoi il ne faut pas laisser passer cette décision.

Philippe Cohen

lien vers pétition à signer :

http://arret-sur-images.heraut.eu/


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