À Hong Kong, une jeunesse éprise de liberté (été 2019)

vendredi 13 mars 2020.
 

Bien des mouvements pacifistes ont marqué Hong Kong depuis la rétrocession à la Chine. Cette fois, la solidarité prévaut au sein de toute une génération luttant pour la démocratie.

Le 28 août, la cheffe de l’exécutif Carrie Lam a déclaré qu’elle n’avait pas renoncé à l’éventualité d’un recours à des législations d’urgence pour mettre fin à la contestation.

Le nombre de manifestants a longtemps servi au gouvernement de baromètre de l’opinion publique, et il lui servait à ajuster sa politique en conséquence ; il est très rare qu’il n’en ait pas tenu compte. Ainsi, lors de la grande manifestation du 1er juillet 2003 [500 000 personnes contre un projet de loi antisubversion, en conséquence abandonné] ou en 2012 lors de celle contre l’introduction de cours d’éducation patriotique dans les programmes scolaires [indéfiniment reporté], les défilés ont réussi à pousser les autorités à revenir sur leurs projets. Lorsqu’ils se remémorent ces différents mouvements sociaux, la plupart des Hongkongais approuvent le choix de manifester de façon “pacifique, raisonnable et non-violente” pour exprimer ses revendications et contraindre le gouvernement à reculer.

De la prison pour les leaders du mouvement des parapluies

Un tel consensus a perduré jusqu’au “mouvement des parapluies” de 2014. Bien que les trois grandes figures du mouvement d’occupation du quartier de Central à Hong Kong [Benny Tai, Chan Kin-man et Chu Yiu-ming] aient appelé à la désobéissance civile, ils ont veillé à ce que leur démarche reste non-violente et n’enfreigne les lois que de manière limitée, en évitant les confrontations musclées. Cependant, quand l’Assemblée nationale populaire (ANP, Parlement chinois) a publié le “cadre législatif du 31 août “[prévoyant un “suffrage universel” dans lequel les candidats à la fonction de chef de l’exécutif de Hong Kong seraient choisis par Pékin], une scission est apparue entre la faction radicale (le “clan des audacieux”) et les partisans d’une démarche “pacifique, raisonnable et non-violente”, ce qui a sonné le glas du mouvement.

Une enquête menée en 2015, deux mois après le “mouvement des parapluies”, sur un échantillon de personnes âgées de 18 à 24 ans a montré que plus de 20 % d’entre elles souffraient d’une forme plus ou moins aigue de dépression. Les dernières années ont marqué une période de creux de la vague des mouvements sociaux à Hong Kong, et un sentiment d’impuissance a envahi la jeunesse. Contre toute attente, celle-ci s’est une nouvelle fois mobilisée contre la loi autorisant les extraditions vers la Chine, en tirant les leçons des expériences passées.

En 2014, pacifistes et radicaux s’opposaient

Après le tourbillon de protestations des mois de juin et de juillet contre le projet d’amendement sur l’extradition, Billy a encore du mal à accepter l’indifférence du gouvernement face aux citoyens qui se sont sacrifiés pour ce combat : “Leur posture est inacceptable ; ils regardent les gens de haut, l’air de dire : ‘je n’ai rien fait de mal’ !”

Au moment du “mouvement des parapluies” [qui s’est soldé par un échec], Billy, qui était encore lycéen, n’avait pas bien compris tout ce qui se passait, mais avait constaté malgré tout l’absence de solidarité et la confusion qui régnaient entre les “grands tribuns “, les partisans d’un mouvement pacifique et les factions radicales. Il se félicite qu’aujourd’hui, malgré la présence de quelques “excités”, la plupart des gens soient animés par le même objectif sans fraction interne.

Lui, qui se présente comme un “pacifiste, raisonnable et non-violent”, n’a pas beaucoup d’expérience des mouvements sociaux. Le 12 juin, c’était la première fois qu’il défilait jusqu’au LegCo [Legislative Council, le Parlement hongkongais]. Il portait juste un masque chirurgical et, quand les grenades lacrymogènes sont tombée de plus en plus près de lui, il a inspiré, complètement paniqué, une grande quantité de gaz :

“Ça sentait un peu comme du vinaigre, l’odeur n’était pas très forte, mais j’avais du mal à respirer.”

Une enquête réclamée après la répression du 12 juin

Il a vu des manifestants s’effondrer par terre, inanimés, et un adolescent, qui éteignait un feu de poubelle, être pourtant aspergé de gaz poivre par la police. Plusieurs jours après les incidents, Billy a toujours du mal à masquer son indignation :

“Quand on utilise plus d’une centaine de grenades lacrymogènes contre juste cinq émeutiers, peut-on vraiment parler de brigade d’élite ? La police n’a-t-elle pas abusé de sa force ? Le gouvernement n’a toujours pas mené d’enquête à ce sujet.”

Billy a discuté à maintes reprises avec ses amis de la nécessité de faire monter leur action d’un cran, mais il n’a pris conscience de l’importance d’intensifier la pression pour forcer le gouvernement à réagir que ce jour-là, alors que le texte de loi allait être soumis en deuxième lecture au Parlement [le débat a finalement été ajourné]. “S’il n’y avait pas eu ces affrontements, le texte serait sans doute adopté aujourd’hui grâce aux partis “royalistes “[pro-Pékin].”

Alors qu’il se reposait un peu dans une petite rue, exténué après toute une journée d’affrontements, Billy a reçu un coup de téléphone de sa famille le pressant de rentrer chez lui. Depuis, la question est souvent cause de disputes avec ses parents. Il regrette que les gens plus âgés ne comprennent pas les jeunes et qu’ils aient peur que l’étiquette de “fauteur de troubles” ne leur nuise plus tard, mais Billy ne mâche pas ses mots : “C’est vraiment dommage, je trouve, de vivre en ne pensant qu’à son propre avenir. Je ne souhaite pas une vie qui n’ait pas de sens, ni qu’elle se résume à aller au boulot pour gagner de l’argent. Je veux la liberté et la démocratie pour la génération suivante.”

Que Hong Kong ne devienne pas la Chine

Mi-juin, Chan Kin-por, le président de la commission des finances du LegCo, a souligné qu’en cas d’adoption de la loi seuls 200 Hongkongais tout au plus risqueraient d’être extradés chaque année, soit “rien du tout”, et il est allé jusqu’à dire que les jeunes manifestants étaient en train de détruire leur propre “période de moisson”. Billy n’est pas du tout d’accord : il estime que l’adoption d’une telle loi créerait un précédent risquant d’encourager par la suite le gouvernement à accentuer la restriction des libertés individuelles ; par ailleurs, il ne veut pas que les générations suivantes pâtissent de son indifférence politique et que ce soit pour lui une source de regrets : “Je ne souhaite pas que Hong Kong devienne comme la Chine populaire.”

Gary Tang Kin-yat, lecteur à la faculté de sociologie de l’université Hang Seng de Hong Kong, fait remarquer ironiquement que, face à un pouvoir dictatorial, les échecs à répétition des mouvements sociaux sont tout à fait normaux ; si ce n’était pas le cas, la démocratie serait depuis longtemps en vigueur. Mais, pour lui, si le gouvernement persiste à refuser de prendre en compte la volonté populaire, on peut prévoir la multiplication des formes extrêmes de protestation à l’avenir. “En 2014, l’occupation de Harcourt Road a été un grand événement, alors que maintenant on la juge insignifiante !” Selon lui, des actes considérés comme marquant une escalade tels que l’occupation de rues et l’intrusion dans le LegCo [le 1er juillet] risquent de devenir des pratiques courantes : “La première fois en amène toujours une seconde !”

Les deux périodes des manifestations hongkongaises

Si l’on observe l’ensemble des “violents remous de juin “, on constate que les protestataires ont appelé à plusieurs reprises à “ne pas se diviser, ne pas se dénoncer, ne pas se désolidariser”. Chaque fois, on a eu l’impression d’assister à un match de foot avec une première mi-temps dominée par les “pacifistes raisonnables et non-violents” bénéficiant du soutien de l’opinion publique dont ils expriment les revendications, et une seconde mi-temps où les “audacieux” passent à l’attaque en encerclant des édifices gouvernementaux ou en veillant toute la nuit.

“Or les deux clans donnaient auparavant l’impression de s’opposer, mais maintenant ils agissent de concert”, explique Gary Tang. La pérennité du combat des “audacieux” va dépendre de leur capacité à obtenir le soutien et l’adhésion de la population. Un indicateur important pour le savoir est le nombre de personnes présentes dans les défilés. Si les manifestants font l’objet d’une réprobation générale, ils pourraient spontanément se remettre en question.

D’un autre côté, si le gouvernement ne cherche pas à réparer les fractures et ne reconnaît pas ses fautes, en réformant notamment l’IPCC [Independent Police Complaints Council, la commission indépendante d’examen des plaintes concernant des policiers], “je ne serais pas surpris de voir de nouvelles formes extrêmes de protestation apparaître”, dit l’universitaire.

Cheng Wan-fung

Courrier International


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