G7 de 2019 : L’inégalité est le problème de demain, beaucoup plus que les missiles iraniens ou coréens

samedi 28 novembre 2020.
 

Le G7 s’est achevé ce lundi 26 août à Biarritz. Que faut-il en retenir ? Est-ce que ça a servi à quelque chose ? Et Macron dans tout ça ? On en parle avec Bertrand Badie.

Regards. Que retenez-vous de ce G7 ?

Bertrand Badie. On a du mal à retenir quelque chose d’un G7, dans la mesure où on est la plupart du temps dans l’informel, dans l’écume des choses. Ces réunions n’aboutissement pas traditionnellement à des décisions majeures et spectaculaires, elles laissent des traces par des contacts discrets voire secrets entre chefs d’Etat. Cette année, on a été servis en matière d’images fortes. Le problème quand on est face à un spectacle, c’est qu’on se demande ce qu’il va en rester dans les mois et les années à venir. Tout cela conduit à la prudence dans l’évaluation de ce qu’il s’est produit.

« Le G7, c’est la nostalgie de l’époque où les vieilles puissances s’accordaient pour régir le monde. »

À quoi ça sert un G7 ?

Au départ, on le savait de manière assez précise. Quand Valéry Giscard d’Estaing l’a créé en 1975, c’était pour réguler les économies occidentales qui étaient en crise du fait du choc pétrolier et de la crise du dollar. Aujourd’hui, le contexte est complètement changé. Avant, le G7 faisait sens comme instance de l’hémisphère occidental et expression d’une hégémonie économique, aujourd’hui il disparaît dans la mondialisation. Non seulement le G7 n’a plus d’efficacité dans la régulation de l’économie mondiale, mais il peut être contre-productif dans la mesure où l’exclusion des émergents et des économies du Sud viennent déséquilibrer l’édifice. En réalité, le G7, c’est la nostalgie de l’époque où les vieilles puissances s’accordaient pour régir le monde au-delà de leur rivalité.

Quel impact peut avoir la démarche d’Emmanuel Macron sur ses homologues du G7 ?

Sur la critique du G7, qu’il a lui-même amorcé à travers sa représentativité, je ne crois pas que le périmètre de cette institution puisse être modifié à terme. Je crois qu’il ne s’agit que d’un constat lucide et formel mais qui ne peut déboucher sur rien. Sur l’Iran, qui a été la partie émergée de l’iceberg, il faut être prudent parce que l’Iran est paru être l’invité de la France et non celui du G7, parce que l’Iran n’est pas entré dans la concertation du G7, ses représentantes ont simplement rencontré des membres de délégations allemandes et britanniques. C’est un peu léger pour parler d’un effet d’entraînement global sur le G7. Mais il faut quand même être lucide, ce qu’il s’est passé avec l’Iran a d’ores et déjà un double effet : premièrement, il donne une nouvelle dimension au contentieux américano-iranien dans la mesure où pour la première fois clairement d’autres acteurs internationaux s’en sont emparés, alors qu’on était dans une situation de léthargie depuis un an. Deuxièmement, c’est un échec pour l’hégémonie américaine. Démonstration a été faite à monsieur Trump que l’hégémonie ne s’accomplissait pas de la manière aussi automatique et consensuelle qu’il avait crue au départ.

Pourquoi les grandes puissances nucléaires refusent que l’Iran possède aussi la bombe ?

J’ai un collègue allemand qui disait du TNT que c’était un club d’ivrognes qui voulaient interdire à tous les autres de boire de l’alcool. On en est là. En terme de légitimité et d’éthique, cette interdiction n’est fondée sur rien. Il n’y a aucune raison de penser que l’Iran serait moins habilité que les Etats-Unis ou la Chine à détenir l’arme nucléaire. N’oublions jamais que dans l’histoire, le seul état qui ait fait usage de l’arme nucléaire, ce sont les Etats-Unis. Considérer que le fait que des régimes non-démocratiques disposent de l’arme nucléaire soit une menace, c’est revenir à lire l’histoire de manière quelque peu simplifiée. En réalité, le club des Etats dotés de l’arme nucléaire est un club ultra-protectionniste qui, certes, peut toujours avancer l’argument logique du danger de la prolifération, mais qui ne pourra jamais expliquer pourquoi certains ont le droit d’entrer dans cette prolifération – je pense en particulier à Israël, à l’Inde ou au Pakistan – et pourquoi d’autres ne l’auraient pas. Il ne faut pas se demander pourquoi l’Iran ne devrait pas avoir l’arme nucléaire, mais quelles sont les raisons stratégiques et politiques qui font craindre cette détention de l’arme nucléaire par l’Iran ? La réponse est assez claire : le grand Moyen-Orient se caractérise par le monopole de l’arme nucléaire par Israël. Si d’autres venaient à l’obtenir, et notamment l’Iran, ce serait une recomposition totale de la donne moyen-orientale. La puissance israélienne serait équilibrée par la puissance iranienne et Israël devrait partager la tutelle politico-militaire sur la région. Ce qui est considéré par les Etats-Unis comme quelque chose de totalement inadmissible.

Inégalités sociales et économiques, égalité entre les femmes et les hommes, écologie, etc. Le G7 est-il le bon endroit pour évoquer ces sujets ?

Il n’y a pas de mauvais endroit pour poser la clé des relations internationales de demain. Je me félicite que ce thème – les grandes inégalités mondiales – ait été mis à l’ordre du jour du G7, parce que c’est le problème de demain, beaucoup plus que les missiles iraniens ou coréens. La mondialisation a engendré le système social le plus inégalitaire de l’histoire. Dans un temps d’extrême visibilité, ces inégalités risquent de généraliser la violence. Je ne me fais aucune illusion, rien ne sera décider dans ce domaine au G7, mais le fait qu’on alerte certains gouvernements qui ne veulent pas en entendre parler, c’est un point positif.

Propos recueillis par Loïc Le Clerc


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