Occupé par plus de 5 000 manifestants, l’aéroport de Hongkong est paralysé

dimanche 18 août 2019.
 

Plus de deux mois après le début du mouvement de protestation, le niveau de violences a augmenté de part et d’autre.

Tous les vols au départ de l’aéroport de Hongkong ont été annulés lundi 12 août dans l’après-midi, alors que des milliers de personnes dénonçant les violences policières étaient rassemblées dans le bâtiment. Au moins 5 000 manifestants, selon la police, ont envahi les halls des départs et des arrivées pour un sit-in prolongé, accueillant les visiteurs en scandant des slogans comme « Ne faites pas confiance à la police de Hongkong » ou « Police noire [corrompue], rendez-nous un œil ».

La veille, une infirmière avait été éborgnée par un tir de « sac à pois » [1] effectué par la police lors de l’évacuation d’un rassemblement près de la station Tsim Sha Tsui. La police a tiré des gaz lacrymogènes à l’intérieur de la station de Kwai Fong, alors que les gaz ne sont censés être utilisés qu’en plein air. L’intervention brutale de policiers déguisés en manifestants a aussi particulièrement choqué.

Plus de deux mois après le début du mouvement de protestation contre un projet de loi d’extradition vers la Chine, aujourd’hui suspendu, le niveau de violences a augmenté de part et d’autre : les manifestants construisent désormais systématiquement des barricades et lancent des projectiles sur la police, qui répond en tirant de plus en plus de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc.

Blindés à Shenzhen

La décision de poursuivre l’occupation de l’aéroport, pour le quatrième jour consécutif, a été prise tard dans la nuit sur les forums en ligne où se retrouvent les manifestants. Lundi peu après midi, ils étaient des milliers rassemblés dans l’enceinte de l’aéroport pour dénoncer les violences policières. Sur les murs, sur des affiches tenues par les manifestants, les images des violences de la veille étaient exhibées aux voyageurs.

La photo de la jeune femme à terre, saignant de l’œil, et une autre montrant le projectile encore coincé dans ses lunettes de protections, étaient les plus diffusées. D’autres montraient des policiers antiémeutes tirant des projectiles « moins létaux », comme les balles en caoutchouc, à quelques mètres de manifestants qui fuyaient dans un escalier mécanique, provoquant une bousculade.

Lundi après-midi, les autorités chinoises ont rejeté la faute sur les manifestants, lors d’une nouvelle conférence de presse du bureau des affaires de Hongkong et Macao, l’agence responsable de ces deux régions administratives spéciales à Pékin. « Les manifestants radicaux de Hong Kong ont à plusieurs reprises eu recours à des objets extrêmement dangereux afin d’attaquer des policiers, ce qui constitue déjà un crime grave et révèle de premiers signes de terrorisme », a accusé depuis Pékin Yang Guang, le porte-parole de cette agence gouvernementale.

Il évoquait des billes tirées au lance-pierre et des cocktails Molotov. Lundi, plusieurs médias d’Etat chinois ont diffusé une vidéo de troupes paramilitaires de la Police armée du peuple (PAP), qui dépend de l’armée chinoise, menant de nouveaux exercices à Shenzhen, la mégapole chinoise qui fait face à Hongkong, un avertissement évident. On y voit des colonnes de blindés sur les autoroutes.

Pour beaucoup de manifestants, c’est le nouvel épisode de violence de dimanche qui les a décidés à se rendre à l’aéroport. Un jeune homme de 32 ans, ingénieur informatique, a posé un jour de congé pour venir :

« Moi, je n’ai pas participé au mouvement au début. Je pense qu’il y avait du pour et du contre au sujet de la loi d’extradition. Mais après l’attaque de Yuen Long, le 21 juillet, j’ai commencé à manifester moi aussi. »

Ce jour-là, des membres des triades de Hongkong ont attaqué des manifestants et des passagers du métro, faisant 45 blessés, sans que la police intervienne.

« J’étais fou de rage »

« La police et le gouvernement travaillent main dans la main avec la mafia, s’insurge le jeune homme. Hier soir, j’ai suivi les événements en ligne. J’étais fou de rage. Comment peut-on tirer sur les gens comme ça, à quelques mètres ? Je n’en ai pas dormi de la nuit. »

Au plus fort de la mobilisation, entre 15 heures et 17 heures, les passagers devaient se frayer un chemin au milieu d’une foule épaisse de contestataires. Beaucoup étaient surpris, certains agacés. Deux Américains en voyage d’affaire avaient l’air perdus, leur contact censé les accueillir n’ayant pas pu accéder à l’aéroport. A l’arrivée de passagers chinois, les manifestants passaient de l’anglais au mandarin pour clamer leurs slogans.

Un couple de chinois du Guangdong, la province qui fait face à Hongkong, avait connaissance du mouvement. « Tant que le mouvement est non violent et ne gêne pas le fonctionnement de l’aéroport, j’approuve complètement », glissait l’homme, insistant pour rester anonyme. Mais alors que tous les vols avaient été annulés vers 17 heures, un passager originaire du Fujian, bloqué à l’aéroport, ne cachait pas son agacement : « Ce sont des gens qui ont le ventre plein et qui n’ont rien à faire », glissait-il. Plusieurs affiches disaient « désolés pour le dérangement, mais nous nous battons pour notre survie ». La plupart des manifestants ont quitté les lieux vers 18 heures, après qu’une rumeur a suggéré que la police se préparait à évacuer les lieux.

« Lieu sûr »

Beaucoup de manifestants pacifiques, effrayés par la violence de certains rassemblements, étaient rassurés par le lieu choisi lundi. « L’aéroport est un lieu sûr pour diffuser l’information de manière non violente », estimait Yedda, une jeune assistante sociale qui se tenait devant une grande affiche montrant une photo de l’infirmière surmontée du slogan « œil pour œil ! »

« Avant ce qui s’est passé hier, je n’étais pas d’accord avec l’usage de la violence, mais je comprenais, continue Yedda. Mais hier soir, après avoir vu des policiers déguisés en manifestants, je me demande si certaines actions attribuées à des manifestants n’ont pas été commises par des agents provocateurs de la police. » Elle aussi a suivi les affrontements de la nuit diffusés en direct par les médias locaux. Elle n’a pas beaucoup dormi.

Simon Leplâtre (Hongkong, envoyé spécial) P.-S.

• Le Monde. : https://www.lemonde.fr/internationa...

Notes

[1] Un projectile en sachets ou un sac à pois (traduction de l’anglais : bean bag rounds, littéralement : « cartouches à sac de haricots ») sont des munitions pour armes à feu, dont les cartouches contiennent des sachets. Ces sachets peuvent contenir du plomb, du sable ou des billes d’acier. Une fois tiré, le sachet se déplie et frappe la cible par le côté plat. Ces munitions peuvent contenir de la teinture pour repérer la cible par la suite, ou bien des agents chimiques pour l’affecter directement. Les cartouches peuvent être tirées depuis un fusil ou un lance grenade (Wikipédia).


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message