A Hongkong, « jour après jour, nous perdons nos libertés »

samedi 10 août 2019.
 

Devant le refus total de dialogue du gouvernement, le mouvement de protestation se mue en un face-à-face de plus en plus violent entre manifestants et policiers.

A Hongkong, « jour après jour, nous perdons nos libertés »

mercredi 31 juillet 2019, par CEBRON Valentin, DEFRANOUX Laurence

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« Soudain, les policiers ont demandé aux manifestants de partir, les poussant violemment, les frappant à coups de matraque », raconte Matthew, 30 ans, secouriste bénévole joint par téléphone à Hongkong. « Je suis venu en aide à une vingtaine de personnes, certaines avaient été frappées au visage, la plupart ont reçu du gaz poivre dans les yeux. »

Mardi 30 au soir, des centaines de manifestants s’étaient rassemblés malgré un vent violent devant le commissariat de Kwai Chung, à Hongkong, pour protester contre l’inculpation pour « émeutes » de 44 personnes arrêtées après la manifestation de dimanche 28.

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« Elles n’ont rien fait d’autre que manifester, et elles encourent jusqu’à dix ans de prison. Jour après jour, nous perdons nos libertés », s’insurge le jeune vétérinaire.

Cocotte-minute

Au fil de l’été, le territoire chinois semi-autonome de 7,4 millions d’habitants s’est transformé en une cocotte-minute dont la soupape de sécurité serait bloquée. Depuis deux mois, des centaines de milliers de personnes défilent chaque week-end pour réclamer le retrait formel d’un projet de loi qui permettrait l’extradition des Hongkongais vers la Chine continentale et les mettrait à la merci des méthodes autoritaires du Parti communiste chinois.

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Face à eux, Carrie Lam, la cheffe de l’exécutif prochinois, s’obstine à promettre que le projet de loi est « mort » sans le retirer formellement. https://www.liberation.fr/planete/2...

« Nous sommes face à une absence totale de dialogue à tous les échelons officiel », explique la journaliste et écrivaine hongkongaise Ilaria Maria Sala. « En pratique, le seul représentant du gouvernement est désormais la police. Or, celle-ci a recours de plus en plus à la violence, et de plus en plus rapidement. En 2014, lors du mouvement des parapluies, la population avait été choquée lorsque la police avait utilisé des gaz lacrymogènes. Désormais, c’est presque tous les jours, avec des tirs de balles en caoutchouc et de « bean bags » [des sachets de billes de plastique qui sont projetées dans toutes les directions, ndlr]. »

Des camions à eau antiémeutes, de fabrication française, qui ne devaient être mis en service qu’en novembre, ont même été ostensiblement testés cette semaine.

« Fuck da popo »

Face au silence entêté de Carrie Lam, qui ne donne des conférences de presse que pour dénoncer les débordements des manifestants et annule les apparitions publiques où elle devrait répondre aux journalistes, les prodémocrates font eux aussi monter la pression.

En plus des immenses et populaires défilés chaque week-end, le mouvement est devenu protéiforme :

- affichages sauvages appelés « murs de Lennon »,

- happening géant dans l’aéroport international vendredi 26,

- rassemblements interdits tout le week-end,

- blocage du métro,

- jet de peinture et d’œufs sur le bureau de liaison avec Pékin,

- confrontations systématiques avec la police.

Une grande manifestation de fonctionnaires est même prévue pour vendredi 2, et un appel à la grève générale a été lancé pour le 5 août.

Dans la si conservatrice Hongkong, le « fuck da popo » (nique la police) tagué à même une rue du centre-ville n’émeut plus personne, tout comme les pavés scellés à grand renfort de colle avant chaque manifestation.

Voiture aux fausses plaques

« On commence à s’inquiéter de l’indépendance de la justice » , reprend Ilaria Maria Sala. « Les magistrats ont désormais recours à de vieilles lois coloniales qui n’avaient même pas été utilisées par les Britanniques. Elles leur permettent de menacer des manifestants avec des peines hors de proportion, jusqu’à dix ans de prison pour « émeutes », alors que des vidéos prouvent qu’ils n’ont absolument rien fait, même pas menacé un policier avec un parapluie. »

Parallèlement, il n’y a eu que douze personnes arrêtées pour simple « rassemblement illégal » lors de l’attaque des passagers par des centaines d’hommes de main des triades dans le métro de Yuen Long, la semaine dernière, qui a blessé 45 personnes dont 5 gravement.

Et selon deux témoignages directs recueillis par Libération, la police n’a de nouveau pas bougé quand des feux d’artifice ont été lancés à tir tendu sur des manifestants mardi 30 au soir à Tin Shan Wai depuis une voiture portant de fausses plaques d’immatriculation. Un nouvel incident choquant qui a blessé une dizaine de personnes et renforcé l’idée d’une connivence entre police et voyous.

L’inégalité de traitement est aussi particulièrement flagrante dans la réponse du gouvernement, Carrie Lam s’étant rendue au chevet de policiers blessés mais n’ayant fait aucun geste pour les passagers du métro tabassés à coups de bâtons et de barres de fer.

« Arme réelle »

Pendant ce temps, Pékin reste plutôt mesuré. Un porte-parole du gouvernement central chinois s’est contenté dans une conférence de presse, lundi, de rappeler son « soutien total » au gouvernement et à la police de Hongkong, et d’appeler à « punir rapidement » les coupables et à rétablir « un environnement propice aux affaires ».

Tous les regards sont tournés vers Beidaihe, une plage à 300 kilomètres de Pékin où se réunissent chaque mois d’août les caciques du Parti communiste, président compris, et où cette épineuse « crise de juillet » devrait être débattue. Car la situation à Hongkong est désormais dans une impasse dangereuse, avec un gouvernement buté qui refuse d’ouvrir une enquête indépendante sur les violences policières et des jeunes qui partent manifester en disant « ne plus rien avoir à perdre ».

Un mort d’un côté ou de l’autre pourrait faire exploser le statu quo. « L’un des policiers a pointé une arme réelle sur nous [chargée de balles en caoutchouc », ndlr] », témoigne Wayne, un travailleur social de 22 ans, qui se trouvait lui aussi à Kwai Chung mardi. « Mais ça ne me fait pas peur. » P.-S.

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