Danielle Simonnet : « Je suis bien placée pour fédérer les Parisiens »

dimanche 28 juillet 2019.
 

A moins d’un an des élections municipales, Danielle Simonnet, conseillère FI de Paris et candidate, nous livre sa vision politique de la capitale, son bilan des années Hidalgo ainsi que sa stratégie à gauche et vis-à-vis des autres organisations de gauche.

Regards. Quel est le climat au sein de la France insoumise ?

Danielle Simonnet. Comme après tout échec électoral, c’est douloureux pour tout le monde car le chemin que prend notre pays est inquiétant. Et quand on regarde à l’échelle de l’Europe, c’est encore plus alarmant. En interne, le résultat aux européennes a provoqué des débats que j’ai trouvés assez caricaturaux au début, par médias interposés, mais depuis notre assemblée représentative, nous avons en partie répondu aux inquiétudes et nous allons poursuivre notre travail. J’évolue chaque jour au sein de la FI. Je n’ai pas de certitudes, j’écoute tout le monde et je change. Ça sert à ça le débat : chercher à convaincre et parfois être convaincue. Aujourd’hui, je suis plus intéressée par les analyses sur la décroissance, comme sur le communalisme. Je crois toujours également que l’enjeu est de faire évoluer nos pratiques militantes qui sont toujours insuffisamment questionnées et transformées. Je reste une passionnée des méthodes de l’éducation populaire et de l’auto-organisation. Je suis d’ailleurs fière que la France insoumise organise cette année sa deuxième édition du « Off’ Insoumis » au festival d’Avignon, avec des nouvelles conférences gesticulées et j’y jouerai « Paris vendu ».

Sur les pratiques, on vous reproche souvent de ne pas avoir un fonctionnement démocratique à la FI. La désignation d’Adrien Quatennens à la tête de la FI, lors l’assemblée représentative et à la surprise de tous, n’a rien arrangé…

Je plaide avant tout pour qu’on ait des cadres collectifs d’échanges au service de l’action. Ce qui ne veut pas dire que je ne partage pas certaines critiques sur le fonctionnement interne de la FI mais je ne suis pas pour transformer notre mouvement en parti. Nous devons faire en sorte que le plus de monde participe et il y a eu des avancées notables en ce sens : la création d’un forum sur les sujets de fond, l’organisation des votes nationaux sur les sujets à trancher, la création d’un espace des groupes d’actions… Il faut créer du collectif partout, territorial, mais aussi thématique. Tout ne peut pas se réduire au vote. La question du vote désigne une majorité et une minorité : c’est une méthode tranchée qui n’est pas unique. Il y a d’autres façons de fonctionner, de débattre et délibérer. Nous sommes un jeune mouvement en évolution permanente, mais nous avons un fonctionnement bien plus démocratique que toutes les organisations que j’ai pu traverser depuis longtemps.

Vous êtes candidate à Paris. Quel est le processus de validation de votre candidature ?

Je ne souhaite pas être la candidate de la FI à Paris. Je souhaite être la candidate de listes citoyennes. Pour cela, nous devons impulser un processus de listes citoyennes et populaires qui sera soutenu par la FI. On travaille avec des militants associatifs, des personnes impliquées dans des collectifs citoyens, des syndicalistes que je rencontre chaque jour, dans les luttes, pour être capables dès la rentrée de septembre de lancer les « Assemblées des communs » dans chaque arrondissement parisien, qui ont vocation à perdurer au-delà du scrutin et quel que soit son résultat. Nous avons décidé de lancer cette campagne autour de cette idée : décidons nous-mêmes. Rien n’est figé et les assemblées devront se saisir de tout dès septembre quand elles auront été constituées. Le programme se fera sur le terrain par des porteurs de paroles, des porte-à-porte, des enquêtes ou encore des collectes des exigences populaires et par le biais des 29 groupes thématiques que nous avons créés dès l’hiver dernier et qui ont déjà auditionné nombre d’associations. Il faut écouter et entendre ce qu’on à dire les Parisiens. Ils veulent participer à l’élaboration des politiques et ne plus les subir comme l’incarnent le mouvement des gilets jaunes ou encore les grèves et marches pour le climat.

Mais si vous proposez de vous structurer autour d’un mouvement citoyen, pourquoi ne pas choisir une candidature issue de la société civile ?

Je mets ma candidature en débat. Je pense qu’en ayant été une élue d’opposition et en ayant relayé de très nombreuses luttes parisiennes, je suis bien placée pour fédérer les Parisiens et leur proposer de co-élaborer notre projet commun : qu’il s’agisse des gens du 15ème qui se sont battus contre la Tour Triangle ou la centrale à béton de Lafarge et celles et ceux qui se battent contre les expulsions locatives ou contre la bétonisation de la moindre friche dans les quartiers populaires, en passant par les syndicalistes, travailleurs qui luttent pour la défense des services publics ou contre l’ubérisation, sans oublier le mouvement féministe, les collectifs de solidarité avec les migrants ou de lutte contre les discriminations... Au-delà de ma propre candidature, il va falloir que l’on valide la méthode d’élaboration du programme, de désignation de l’ensemble des candidats. Et ça n’est pas à la FI de le définir. Au final, ces municipales vont être un véritable terreau d’expérimentation des méthodes de l’éducation populaire. Plutôt que d’organiser un processus constituant dans la FI tourné sur lui-même, je préfère un processus constituant à l’échelle des municipales, résolument tourné vers l’extérieur. C’est à travers ces assemblées communalistes que le peuple de Paris peut faire irruption. Cette démarche est d’ailleurs à initier partout !

Quelle place faites-vous aux autres organisations de gauche dans ce processus ?

J’appelle celles et ceux qui sont en rupture avec la majorité municipale, conduite par Anne Hidalgo, à prendre part à cette démarche. En trois mandatures de l’actuelle majorité on en est arrivé à un phénomène de gentrification, de bétonisation et de privatisation de Paris. Sous ces trois mandatures, le choix a été fait de prétendre préserver la dette publique, contre toute perspective écologique et sociale. Le problème des îlots de chaleur urbains, par exemple, est lié à l’hyper bétonisation de Paris. Cette majorité a préféré vendre du foncier à des promoteurs plutôt que de préserver l’environnement et prendre en compte l’urgence climatique et de se dire que la dette écologique est plus importante. Résultat, Paris se vide de ses habitants qui ne peuvent plus payer les loyers. À préserver la dette publique, c’est la dette privée qui explose et l’air qui devient irrespirable ! Et dans le même temps, le choix du privé, comme pour le chauffage urbain ou la gestion des parkings, nous coûtent cher et enrichit le privé. Nous souhaitons permettre l’irruption du peuple pour construire une alternative. Assumer le bilan en votant chaque budget ou rompre : à chacun de choisir.

Ça veut dire que les écologistes ou les communistes, qui participent actuellement à la majorité municipale, n’ont pas leur place à vos côtés ?

Que je sache, ils votent chaque budget et donc les orientations municipales. Vont-ils enfin voter contre le prochain budget ? J’en doute. Ça n’est pas ce qu’ils donnent à voir. Partons du concret, des actes posés. Personne à gauche ne s’était ému il y a un an du choix de poursuivre en délégation de service public par exemple la gestion du crématorium du Père-Lachaise et du futur imposé à Pantin. Je fus la seule à voter contre, craignant que l’appel d’offres ne profite au privé. Aujourd’hui, PCF, EELV et Génération.s se réveillent face à la privatisation via Funecap et votent contre, mais trop tard. Être dans cette majorité les amène à tout accepter jusqu’à valider le projet fou d’une place Jérusalem. J’ai été la seule là aussi à expliquer pourquoi on ne pouvait pas y être favorable dans le contexte international et à exiger par amendement un sous-titre à la plaque « Avec le vœu qu’elle devienne capitale des deux États » pour respecter le droit international et le symbole de cette ville trois fois sainte. Ils se sont abstenus, renonçant à s’opposer à Hidalgo alors même qu’elle s’aligne sur l’extrême droite israélienne sur le sujet.

« Je souhaite que la question du référendum d’initiative citoyenne locale, incluant le droit de révoquer les élus, soit une proposition centrale de notre programme. »

Qu’est-ce qui a changé entre l’ère Delanoë – où vous siégiez dans les rangs de la majorité – et l’ère Hidalgo – où vous siégez dans l’opposition – ?

Je pense d’abord que c’est moi qui ai changé et pas forcément eux seuls. La première mandature, 2001-2008, on pensait que tout était possible en termes de changement. On a foncé. C’est cette majorité qui a d’ailleurs porté la création du conseil des résidents extracommunautaires pour défendre le droit de vote aux élections locales ou encore la régie publique de l’eau. La deuxième mandature a commencé par la poursuite de la privatisation de la collecte des déchets. C’est à ce moment-là que je suis entrée en rupture avec le PS et cette majorité. Ils étaient macronisés avant même que Macron n’existe. Le PS a créé Macron et il est macron-compatible depuis bien longtemps. Il s’est progressivement mais sûrement converti au libéralisme et ça se traduit dans des politiques municipales de fait soumises à la finance et aux intérêts privés.

Vous rejetez toute idée de compromis en politique ?

La cohérence, c’est ce qu’il y a de plus important en politique, donc la compromission, jamais. Il faut des choix et des projets clairs. Le bilan social de la ville de Paris est catastrophique, des sous-effectifs, de la précarité, de la discrimination et souffrance au travail. Si on pense que le budget de la ville ne va pas dans le bon sens ni écologique, ni social, il ne faut pas le voter. Les gens réclament cette cohérence. On ne peut pas d’un côté dénoncer la politique de casse sociale et de services aux lobbies du gouvernement et faire comme si ça n’existait pas à l’échelle de Paris. La question démocratique va être centrale : il faut consulter largement les Parisiens et qu’ils puissent interpeller leurs élus. On ne leur demander jamais leur avis sur les choix cruciaux. Je souhaite que la question du référendum d’initiative citoyenne locale, incluant le droit de révoquer les élus, soit une proposition centrale de notre programme.

Vous n’avez pas peur de vous retrouver à nouveau très seule dans le prochain Conseil de Paris ?

Je suis très optimiste quant à la prochaine élection municipale à Paris. Pendant toute la mandature 2014-2020, beaucoup avaient fait le pari que je serai invisibilisée ; je ne pense pas l’avoir été. Et je pense que ma détermination à relayer nombre de luttes et à bosser les dossiers, et c’est épuisant – une cinquantaine d’interventions en Conseil de Paris à moi toute seule à chaque séance, c’est-à-dire plus qu’un groupe réuni –, va faire boule de neige. Après, il est une chose certaine : je ne signerai jamais d’accord de majorité dans lequel on me demande, les yeux bandés, de voter le budget. La dernière fois, j’ai refusé et je recommencerai s’il le faut. Mais j’aimerais bien savoir ce que les autres forces feront si c’est nous qui sommes en tête. Car tout est possible d’ici mars prochain.

« Le temps des accords de coin de table au mépris de la cohérence d’un programme entre formations politiques en fonction des scores à une élection pour celles et ceux qui veulent sauver leur poste, c’est pour moi révolu. »

Si vous êtes choisie, vous serez une candidate de gauche ?

Je suis de gauche. Personne ne peut douter une seule seconde que je ne sois pas de gauche. Mais ce terme-là, pour plein de gens, ça ne veut plus rien dire. Prenez les prises de position que j’ai eues sur les questions animales à Paris : elles ont été saluées par des personnes qui se latéralisent, d’autres qui ne se latéralisent pas… Pareil sur la bataille sur le TEP de Ménilmontant (un terrain partagé en accès libre que la Mairie avait décidé de bétonner) : le premier argument que l’on m’a donné au Conseil de Paris dans différents groupes, c’est « Danielle, arrête, t’es avec des gens de droite » parce qu’un noyau d’habitants du 11ème arrondissement qui s’opposait au projet avait été catalogué comme de droite ! Je ne m’en suis pas effrayée et j’ai continué à soutenir ce qui me semblait juste. Et je vois que cette bataille a permis de fédérer plein de gens et a gagné.

Vous allier avec la droite, ça ne vous fait donc pas peur ?

Ce que je pense, c’est que les gens peuvent à un moment voter à droite et, dans une bataille, leur conscience évolue. Sur la question de la Tour Triangle ou sur le TEP Ménilmontant, je me suis rendue compte de la façon dont les gens ont réussi, par la prise en considération des questions écologiques, à se poser d’autres questions sur l’organisation de la ville et se sont opposés à la financiarisation de la ville, même s’ils n’oseront jamais utiliser le mot « anticapitaliste » pour décrire cette financiarisation. Le vrai enjeu, ce n’est pas de mettre d’abord l’étiquette « je suis de gauche et venez à moi ceux qui ont déjà les codes et qui me ressemblent » dans une logique quasi sectaire à l’ancienne, mais c’est, par les contenus, le programme, les enjeux et les batailles que l’on pourra emmener des gens à vouloir créer un destin commun.

Et dans vos Assemblée des Communs, le PCF et Génération.s sont les bienvenus ?

Ma réponse est claire et je l’ai dit : qu’ils rompent avec cette majorité. Des militants de leurs formations ont déjà franchi le pas ! Nous, on propose une démarche citoyenne dans laquelle chacun peut s’inscrire en cohérence. Mais le point de départ, c’est construire l’alternative au carcan austéritaire imposé aujourd’hui par l’actuelle majorité et la contractualisation budgétaire de Macron. Quelle résistance celles et ceux que vous citez ont réussi à opposer ? Ni Génération.s ni même le PCF n’ont voté contre la contractualisation de Macron alors que Paris aurait pu s’y opposer. La capitale a capitulé. Le temps des accords de coin de table au mépris de la cohérence d’un programme entre formations politiques en fonction des scores à une élection pour celles et ceux qui veulent sauver leur poste, c’est pour moi révolu.

Le programme et la démarche citoyenne d’abord. Si on est contre le bilan bétonisation/gentrification/privatisation, ça veut dire qu’on souhaite préserver la pleine-terre, qu’on veut préempter les logements vides pour en faire des logements sociaux et qu’on défend des modes de gestion publics des services et équipements publics. C’est une base claire pour fédérer les énergies citoyennes. Ce n’est pourtant pas compliqué ! Si des forces politiques sont d’accord avec ça et décident de sortir de l’ornière dans laquelle elles sont avec la majorité parisienne macronisée actuelle, tant mieux ! Mais aujourd’hui, ce n’est pas le cas : le PCF, avant même les européennes, a déjà donné les signaux qu’il irait avec Anne Hidalgo dès le premier tour.

« Les écologistes doivent comprendre que, pour défendre les sujets dont ils prétendent se saisir, on ne peut pas se cantonner à un accompagnement du système, mais qu’il faut le changer ! »

Vous n’avez pas peur qu’on vous accuse de faire perdre la gauche ?

Je suis déjà accusée de cela et je le serai de nouveau. Je pense qu’il y a autant de différence entre Benjamin Griveaux et Anne Hidalgo qu’entre François Hollande et Emmanuel Macron. Donc la vraie question, ce n’est pas « ou l’un ou l’autre » mais comment on organise l’irruption du peuple pour défendre l’intérêt général. Et pas seulement pour Paris mais aussi pour les étapes d’après. Il s’agit de trouver les moyens d’arrêter de se faire déposséder des usages de la ville et de notre droit démocratique à penser et à vivre la ville par la finance et une poignée d’élus qui jouent les commissaires-priseurs d’un Conseil de Paris réduit en salle des enchères. L’enjeu est vital : il y a plus de 6000 morts prématurées par an à cause de la pollution, la disparition des moineaux à Paris illustre la sixième extinction des espèces bien commencée, les classes populaires sont reléguées toujours plus loin de Paris. On avait 36% d’ouvriers et d’employés à Paris en 2001 et aujourd’hui, ils ne sont plus que 25% !

Et EELV, ils sont les bienvenus ?

Les écologistes doivent comprendre que, pour défendre les sujets dont ils prétendent se saisir, on ne peut pas se cantonner à un accompagnement du système, mais qu’il faut le changer ! Ils me semblent à Paris bien alignés sur la ligne de Yannick Jadot. La règle verte est pour moi plus importante que la règle d’or. Et qu’est-ce que cela veut dire sur le budget d’une ville ? Mieux vaut rompre avec les douze ans de remboursement et s’endetter sur vingt ans pour vraiment faire en sorte de sortir vite du tout-voiture, de préserver et étendre la pleine terre, de penser la réhabilitation thermique des logements (pour les périodes de canicules autant que pour réduire les consommations énergétiques l’hiver) et de réduire enfin les distances domicile-travail… et pour ça, il faut que les ouvriers, les employés et les femmes de ménage puissent vivre à Paris et pas à vingt bornes ou une heure de trajet. Assumer une ville décroissante, qui arrête sa course effrénée de l’attractivité touristique anti-écologique, qui annule les JO par référendum ! On ne peut pas non plus prétendre défendre les services publics et voter pour leur gestion par le privé ! Municipalisons enfin Vélib’ et défendons réellement la gratuité.

« Fédérons le peuple plutôt que les appareils ! Le problème, ce n’est pas de rabibocher les partis. C’est de créer une dynamique citoyenne et populaire. »

Quel regard vous portez sur les initiatives qui, à gauche, appellent à vous fédérer ?

Fédérons le peuple plutôt que les appareils ! J’ai toujours cru que l’action était ce qui permettait de fédérer. Ce n’est pas le débat hors-sol, en dehors du temps et de l’espace qui pourra déboucher sur quoi que ce soit. Il faut la perspective d’une action, d’un débouché, comme Aéroports de Paris par exemple. À titre personnel, je préfère dire à celles et ceux qui étaient présents au Cirque Romanès : venez dans les luttes, retroussons nos manches et allons dans les quartiers faire du porte-à-porte et dans les Assemblées des Communs, imprégnons-nous des méthodes l’éducation populaire et mettons en pratique ! Je n’ai aucun mépris pour cette initiative, mais elle me rappelle tellement d’autres appels convenus qui n’ont débouché sur rien à part de la confusion. Sur le terrain, les gens qui souffrent, qui sont excédés du mépris de celles et ceux qui décident pour eux et contre eux, ils s’en moquent. Le problème, ce n’est pas de rabibocher les partis. C’est de créer une dynamique citoyenne et populaire.

Propos recueillis par Pierre Jacquemain et Pablo Pillaud-Vivien


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