Pourquoi je suis gilet jaune (par Chantal Mirail)

jeudi 25 juillet 2019.
 

Parce que c’est un mouvement historique inédit. Je ne veux pas être en dehors de l’Histoire.

C’est un mouvement en réponse à une crise sociale sans précédent, ce n’est pas la crise des gilets jaunes mais un mouvement en réponse à la crise. (vente des services publics, perte des acquis sociaux, pauvreté, SDF)

Un mouvement d’une grande force symbolique : Nous portons le gilet (obligatoire) de « visibilité en cas de danger » car nous sommes en danger. Nous nous retrouvons dans les ronds-points, lieu de passage par essence.

Un mouvement pacifiste intrinsèquement, foncièrement et se revendiquant comme tel. Si on devait passer à la lutte armée, on vous le dirait mais on a fait un autre choix. Les black blocs, des groupes anarchistes qui ont choisi de s’attaquer aux symboles du pouvoir, ont rejoint le mouvement. Nous définir par ces groupes minoritaires et existant en dehors du mouvement est une tactique de propagande. Les dire violents est une perversion de langage, ils ne font que répondre à la violence qui nous est faite. C’est une « légitime violence ». La violence est du côté de ceux qui nous gouvernent, qui depuis des années nous jettent à la rue, vendent nos services publics chèrement acquis et financés par nous, font des guerres et détruisent des pays pour leurs profits. Je condamne la violence sociale et policière. Et je condamne aussi le silence face à cette violence. « Il y a des silences qui assassinent. » Je ne condamne aucune réponse à la violence, même si elle casse quelques portes et quelques symboles, l’arc de triomphe de Napoléon ou le Fouquets. Les gilets jaunes n’ont tué personne. Ils ont été tués, par des policiers (Zineb) ou par des automobilistes criminels jamais dénoncés comme tels. Avez-vous remarqué que nous avons réinventer le mot pacifiste ? Nous ne sommes pas pacifiques, c’est trop passif, pas non-violents. Pacifiste, qui veut la paix pas la guerre, s’est trouvé une nouvelle définition.

Un mouvement d’ampleur, le temps avec nous ! Pendant 8 mois, 240 jours, 37 samedis Tous les jours sur les ronds- points au moins 2 heures, entre 10 et 50 gilets jaunes, 30 en moyenne. Tous les samedis de 10h à 18h entre 30 et 100 avec les temps forts de manifestations entre 200 et 5000 Dans toutes les villes de France. Considérons seulement les 2000 villes de plus de 5 000 habitants On compte ? Le mouvement s’essouffle ? (240 x 2 x 37) + ( 37 x 8) + (37 x 3 x 1000) X 2000 = beaucoup beaucoup beaucoup ! Le temps, ce n’est pas de l’argent, personne ne peut le vendre ni l’acheter ! Le temps, il est à nous ! La spécificité du mouvement, son lieu, c’est les rond-points et les péages, pas les manifs. Or « on » continue à ne compter que le nombre de manifestants.

Un mouvement sans chef. Et ça les affole, tous ces adeptes du management, de célébrité, de têtes de listes et autres cheffaillons. Ils ne savent pas penser autrement ! Nous, nous pratiquons la fraternité, nous laissons la paternité aux enfants et le paternalisme aux patrons. La fraternité, c’est l’horizontalité dans la gestion de la cité. C’est l’Anarchie, oui !

Un mouvement a-partisans C’est un mouvement politique bien-sûr mais qui se défie de tous les partis, de tous ces politiciens qui n’ont plus rien à voir avec la politique, du grand cirque des élections. Nos idéologies très différentes donnent lieu à des débats parfois houleux, des ruptures, des changements de rond-point. Mais nous découvrons avec surprise nos points communs qui sont nombreux. J’ai toujours été sidérée de voir l’hypocrisie des bien-pensants tous unis contre l’extrême-droite et en adoptant eux-mêmes les idées. Nous sommes décidés à mettre au-dessus de tout ce qui nous est le plus précieux : notre bien commun, nos revendications basiques et essentielles. Et c’est peut-être une chance de passer au-dessus des clivages.

Les gilets jaunes posent 2 revendications :  Le pouvoir au peuple par le peuple pour le peuple. Concrètement le RIC.  La lutte contre les inégalités fiscales et sociales. Concrètement l’ISF. Est-ce qu’on peut ne pas être d’accord ? Est-ce qu’on peut ne pas être gilet jaune ? Qui peut souhaiter qu’on décide pour lui, veut continuer à élire des représentants qui feront le contraire de ce pour quoi on les avait choisis ? Qui peut ne pas s’indigner que les riches s’enrichissent en pillant les pauvres, leur travail et leur sueur ? Est-ce folie d’exiger qu’on prenne l’argent là où il est au lieu de le prendre là où il n’est pas ?

Un mouvement de classes populaires Le terme même de classe sociale avait été banni et on redécouvre, au moment où le mépris de classe est à son paroxysme, que les classes sociales ont toujours existées. Et voilà que les classes populaires nous dévoilent leur immense force de résistance. Tranquillement, paisiblement, partout, longtemps, nous sommes là. Ceux qui ont connu toutes les vicissitudes de la vie, qui ont su résister à la misère année après année, les cabossés de la vie nous donnent une leçon : dire non et camper sur nos positions.

Du pain et des roses J’ai entendu ici et là que les classes populaires sont trop occupées à leur survie et ne peuvent avoir de revendications qui seraient plus « nobles », écologiques entre autre. Quel mépris de classe ! Nous, gilets jaunes, avons clamé notre fierté citoyenne, notre refus du mépris des puissants. Nous avons créée sur les ronds-points une vraie fraternité dans le partage. La révolution tunisienne de 2011 mettait en premier la dignité. Et en 1909 aux Etats-Unis des ouvrières, des femmes, manifestaient en réclamant « Du pain et des roses » (Bread and roses) Oui, nous voulons des roses, aussi !

Un condensé de toutes nos luttes sociales et engagements depuis des décennies. Nous nous sommes battus syndicalement (pour moi SUD santé) contre la destruction des services publics et la réforme des retraites. Au sein d’ATTAC, depuis 20 ans, nous réclamons plus de justice sociale avec la taxation des transactions financières. Aujourd’hui sur les ronds-points on dénonce la spéculation comme ce qu’elle est : un délit ! Nous nous sommes battus politiquement contre les violences policières qui ont été testées, ne l’oublions pas, dans les banlieues. J’ai dénoncé avec le collectif du 21 octobre la première nasse policière : à Lyon en 2010, les manifestants ont été triés au faciès et enfermés place Bellecour. La dictature était déjà en marche, elle s’attaque toujours aux périphéries d’abord et en l’absence de réaction continue en s’attaquant à tous. Au niveau associatif au sein d’une « accorderie » nous avons inventé une organisation de vie solidaire, basé sur le temps et non l’argent, sur le partage, dans un mélange des mondes où toutes les classes sociales se retrouvent à égalité. Le succès du film Demain montre qu’un peu partout on réinvente le monde. Tout ceci se retrouve dans le mouvement des gilets jaunes, même si pour moi et certains d’entre nous ces revendications sociales ne peuvent s’inscrire que dans une démarche politique révolutionnaire anticapitaliste. Nous, les militants de toujours, ne pouvions pas être ailleurs que là, au côté de ceux qui n’avaient jamais milité.

En endossant mon gilet jaune, je n’ai fait que mettre une couleur nouvelle à toutes mes luttes, toutes mes revendications, tous mes rêves d’un autre monde possible et toutes mes colères, pour les porter là où aujourd’hui elles sont visibilisées


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